Intervention de Bruno Lasserre

Réunion du mercredi 20 juillet 2022 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Bruno Lasserre :

Merci beaucoup de toutes ces questions.

Madame Chandler, la loi a voulu introduire une coopération entre la CADA et la CNIL. Si je suis nommé à la tête de la CADA, je siégerai au collège de la CNIL et j'y consacrerai le temps nécessaire, toutes les semaines ; inversement, la CNIL est représentée au collège de la CADA. Cela dit, les deux instances doivent travailler davantage ensemble. En effet, le numérique soulève des questions qui leur sont communes, touchant l'open data, les codes sources ou les algorithmes. Leurs rapports sont bons, de confiance. Ainsi, les deux institutions se sont mises d'accord pour définir leurs compétences respectives concernant l'accès des détenus à certains éléments relatifs aux fouilles à nu dont ils font l'objet : elles sont arrivées, par le dialogue, à trouver une bonne articulation des interventions de chacune.

Dans le passé, certains ont prôné leur fusion au motif qu'il y aurait trop d'AAI. Je suis radicalement contre : les deux sont utiles à la vie démocratique, mais défendent des causes opposées. La CADA assure la transparence dans l'intérêt de tous : il s'agit de forcer l'administration à agir au grand jour en montrant les documents sur lesquels elle travaille. La CNIL protège la vie privée des personnes, en leur permettant d'accéder à leurs données personnelles, mais en prémunissant celles-ci contre l'intrusion de tiers, dont l'État. Fusionner la CADA et la CNIL mènerait tout droit à la schizophrénie. Cela ruinerait l'efficacité de l'institution publique ainsi créée, ainsi que la bonne perception de sa mission.

Quant au Défenseur des droits, il joue un rôle consultatif auprès de la CADA, et peut lui faire parvenir beaucoup d'informations utiles concernant ce qui se passe concrètement sur le terrain, grâce à son réseau de délégués départementaux.

S'agissant de la question récurrente du délai de traitement, on ne peut se satisfaire du délai moyen de 82 jours, même si c'est déjà le fruit d'une réduction considérable – il faut rendre hommage aux équipes qui se sont mobilisées pour cela. Le législateur a prévu un objectif d'un mois et il faut tout faire pour s'en rapprocher. Il existe deux manières d'y parvenir.

D'abord, les moyens. À ce sujet, il faut être courageux, téméraire même, mais pas présomptueux : je ne suis pas en mesure, faute d'avoir analysé le budget en détail, de déterminer quelle somme devrait être consacrée à la communication ; c'est un peu tôt. Sachez cependant que, dans toutes les organisations que j'ai dirigées, je me suis battu pour qu'elles aient des moyens à la hauteur des missions qui leur sont confiées et j'ai obtenu des arbitrages budgétaires souvent volontaristes, sans ménager mon énergie.

Assurément, un budget de 1,5 million d'euros et un effectif plafonné à 17 emplois pour traiter 8 500 affaires par an, sans compter tout le travail de pédagogie et d'animation territoriale et les rencontres sur le terrain, c'est très peu – ce n'est pas assez, je le dis clairement, madame Taurinya. Le mot de sobriété le montre bien : on peut faire mieux. Mais il serait présomptueux de ma part de prétendre arriver avec la solution toute faite. Pour réussir, il faut convaincre la direction du budget et le Premier ministre. C'est un travail de conviction que je mènerai. Laissez-moi seulement un peu de temps pour construire un nouveau budget et analyser les véritables besoins et les délais : ce sera pour les années 2023-2024. Je vous remercie de vous être dite disponible pour voter une augmentation des crédits pour ce budget plus ambitieux.

Quant à la seconde manière d'améliorer les délais, je ferai une analogie avec la médecine : la CADA traite la pathologie – les refus d'accès – mais la vraie réponse est dans la prévention, pour qu'il y ait moins de refus et donc moins de saisines. Cela passe par l'open data – si les données sont publiées sur des sites immédiatement et simplement accessibles à tous, il n'y aura même pas besoin de demander l'accès aux documents –, par le fait d'encourager l'administration à demander un conseil préalable à la CADA et, surtout, par le développement et l'animation du réseau des PRADA, véritables accompagnateurs qui doivent avoir la confiance des collectivités et des administrations auprès desquelles ils sont placés et qui peuvent, au cas par cas, les guider pour prévenir les refus d'accès.

Le rôle des parlementaires est utile et, si je suis nommé à la tête de la CADA, j'apprécierai de rendre des comptes devant vous au rythme dont vous déciderez. J'ai toujours pris beaucoup de plaisir à répondre aux questions – par exemple, monsieur Bernalicis, devant la commission d'enquête que vous présidiez – y compris les plus dérangeantes ou titillantes : c'est le rôle d'une personne chargée d'un mandat public de rendre compte à ceux qui lui ont donné du pouvoir de ce qu'elle en fait.

Monsieur Ménagé, j'aime la communication et je l'ai en effet pratiquée au sein du Conseil d'État pour expliquer que ses décisions concernent les Français dans leur vie quotidienne. La CADA doit s'adresser aux Français dans un langage simple et accessible. Je ne peux pas vous dire quelle somme précise je dédierais à la communication si j'étais nommé, mais il faut faire un travail d'avocat, parler aux médias – un partenariat a été instauré avec La Gazette des communes –, aller sur le terrain, faire des conférences de presse, expliquer le travail de manière simple et pragmatique, et surtout faire des PRADA des correspondants actifs. Cela dit, si la CADA reçoit 8 500 demandes par an, c'est qu'elle n'est tout de même pas complètement inconnue au bataillon !

Madame Taurinya, je crois avoir répondu précisément sur ce que je pense des moyens actuellement alloués à la CADA et sur l'engagement qui serait le mien pour qu'ils soient revalorisés à la hauteur de mes ambitions.

Comment éviter que l'afflux de saisines venues de la société civile, des militants, des ONG, des lanceurs d'alerte, des journalistes et des chercheurs ne préempte les demandes plus ordinaires des Français et ne retarde leur traitement ? C'était la question – difficile – posée par Mme Untermaier. C'est un point auquel je suis très attentif : je souhaite que l'on rationalise les procédures afin de les adapter à la nature de la demande et aussi à son urgence – dans certains cas, les dossiers environnementaux par exemple, on ne peut pas attendre des mois. Sur le modèle du référé dans la juridiction administrative, il faut adapter le temps de la transparence à celui de l'action publique et aux attentes des citoyens. De même, dans le cas des crises et scandales sanitaires, il s'agit moins de savoir si l'on pourra accéder aux documents que de savoir quand. Le délai est donc un élément crucial de ce droit démocratique et la CADA doit tout faire pour le réduire autant que possible.

À votre question sur le taux d'avis favorables, madame la députée, je répondrai que sur les 8 500 demandes annuelles, l'avis n'est défavorable à la communication que dans 12 % des cas, pour des raisons d'incompétence ou d'irrecevabilité, par exemple parce que le document est déjà public ou qu'il ne s'agit pas d'un document administratif.

Monsieur Schellenberger, vous m'avez, vous aussi, posé une question difficile. C'est la jurisprudence de la CADA qui a créé la notion de document préparatoire, maintenant inscrite dans la loi. Ces documents ne sont pas exclus du droit à communication, mais leur communication est retardée jusqu'à l'achèvement de la décision qu'ils préparent ; ensuite, tout ce qui a précédé cette décision devient public. Vous avez raison, la frontière est plus difficile à tracer dans l'univers numérique, où le stade auquel la phase préparatoire est achevée est plus délicat à déterminer. Il faut cependant essayer d'appliquer au numérique les règles de bon sens qui existent dans l'univers papier, en faisant en sorte, au cas par cas, que la date de l'accès ne perturbe pas la sérénité dont l'administration doit jouir pour préparer une décision sensible. Sinon, il risque de ne plus y avoir de documents préparatoires : quand on sait que tout sera mis sur la place publique avant même que la décision ne soit prise, on ne communique plus – on se voit entre deux portes ! Faites-nous confiance pour tracer cette ligne de partage de la manière la plus ouverte et la plus raisonnable possible.

Madame Poussier-Winsback, le pouvoir de sanction est en effet réservé aux cas où le document communiqué est réutilisé de manière contraire à la loi, notamment à des fins commerciales. Il est assez rare que la CADA en fasse usage, parce que, très souvent, l'information sur l'utilisation du document ne lui parvient pas. Ce pourrait être le rôle des PRADA de créer un réseau chargé de transmettre ce type d'informations, afin que la CADA puisse jouer son rôle répressif lorsque la volonté du législateur n'est pas respectée. Mon expérience à l'Autorité de la concurrence montre que je n'ai pas peur d'affronter des lobbys ou des entreprises puissantes, ni même, Mme Untermaier l'a évoqué, des professions bien organisées. La sanction est un outil nécessaire à toute régulation, qui sera mobilisé comme les autres.

Monsieur Rebeyrotte, votre question sur les motifs des avis est très stimulante. Au-delà des avis individuels, il faudrait développer un droit souple – des lignes directrices, par lesquelles la CADA émettrait publiquement sa doctrine sur telle et telle catégorie de document, de manière à guider les administrations. Il est possible de faire le bilan du droit d'accès dans tout une série de matières et la CADA pourrait prendre ainsi les devants, plutôt que d'attendre des avis individuels qui alourdissent son activité quotidienne.

Monsieur Coulomme, la loi est claire : si la présidence de la CADA m'est confiée, je devrai, dans les deux mois, faire une déclaration d'intérêts à la HATVP, ainsi qu'une déclaration de situation patrimoniale. À la différence de celles des parlementaires ou des ministres, elles ne sont ni publiques ni consultables, de par la loi. Mais je n'ai rien à cacher et je peux déjà vous dire que, comme l'a indiqué Mme la rapporteure, je n'ai pas d'intérêts en dehors du service de l'État ni n'en ai eu depuis cinq ans ; je n'ai exercé aucune activité dans le secteur privé, je n'exerce pas de fonctions dirigeantes dans des associations ou dans des organismes privés. J'ai déclaré à Mme la rapporteure l'activité professionnelle de mon épouse, d'ailleurs épisodique et au sein du secteur public. Je crois avoir été transparent, comme il est logique de l'être pour soi-même quand on est un militant de cette cause. De mon point de vue, je ne suis pas en situation de conflit d'intérêts, de sorte que j'irai jusqu'au bout de mes ambitions sans être gêné par quoi que ce soit dans ma situation.

Madame Lechanteux, votre question résumait tout : comment faire que la loi vive ? Les Français sont assaillis de documents, dites-vous ; mais en même temps, ils en demandent ! Ce n'est pas le rôle de la CADA de freiner la production de documents. Il faut que, lorsque l'administration agit – souvent à la demande des citoyens et pour répondre à des besoins d'intérêt général – elle le fasse au grand jour. La transparence n'est pas une condition suffisante de la confiance, mais ce ne sont pas l'obscurité ni le secret qui combleront le manque criant de confiance des Français envers leurs élites et entre eux, c'est bien le fait de publier au grand jour les motifs des décisions, sans peur. Comptez sur moi pour défendre cette cause.

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