Nous exerçons ce matin l'une de nos prérogatives, qui découle de l'équilibre fragile qui existe, dans la Ve République, entre les pouvoirs du Président de la République et les nôtres.
L'article 13 de la Constitution confère au Président de la République un très large pouvoir de nomination. Il ne me revient pas ici d'analyser l'étendue de ce pouvoir, ni même son opportunité – j'ai eu l'occasion d'écrire des choses à ce propos dans un livre consacré à la VIe République.
Quant à notre pouvoir, en toute hypothèse, il n'est pas négligeable puisque, si trois cinquièmes des membres des commissions compétentes – en l'occurrence les commissions des lois du Sénat et de l'Assemblée nationale – émettaient un avis défavorable à la candidature projetée par le Président de la République, la nomination serait bloquée.
Je remercie Bruno Lasserre de sa présence, ainsi que de sa diligence dans la première phase de la procédure, à savoir les réponses au questionnaire écrit que je lui adressé. Celui-ci comptait dix-neuf points. M. Lasserre a répondu très précisément à presque toutes les questions, tout en respectant les délais impartis. Nous entrons désormais dans la seconde phase, à savoir l'audition. Les documents nécessaires vous ont été transmis, notamment le CV complet de Bruno Lasserre.
La très longue carrière de Bruno Lasserre s'est déroulée exclusivement au service de l'État. Il n'a en effet jamais pratiqué, contrairement à une habitude récente, ce que l'on appelle le « pantouflage » : il n'a accepté aucune proposition émanant du secteur privé, alors que celles-ci n'ont pas dû manquer. En 1979, à sa sortie de l'ÉNA, M. Lasserre a été nommé auditeur au Conseil d'État. Par la suite, il a exercé toutes les fonctions possibles au sein de cette institution – il a été rapporteur, a travaillé au sein de la section du contentieux, avant de devenir vice-président de cette juridiction. Il a également été membre de plusieurs autorités administratives indépendantes (AAI). Il a accompagné la CADA au tout début de son existence, dans les années 1980, puis de nouveau dans les années 2000. Il a, par ailleurs, présidé l'Autorité de la concurrence.
J'ai interrogé M. Lasserre sur sa philosophie en matière de transparence. En effet, la commission des lois doit veiller à ce que la candidature proposée par le Président de la République réponde aux exigences de la mission même de cette autorité, à savoir permettre à tous les citoyens, y compris mus par leur fonction dans la société – lanceurs d'alerte ou journalistes par exemple – d'accéder à des documents, en trouvant un point d'équilibre entre l'importance de cet impératif, d'une part, et celle de protéger le secret, d'autre part. Si la discussion sur cette question peut paraître doctrinale et théorique, l'enjeu n'en est pas moins très concret : l'accès à un document, notamment un contrat, peut changer la vie d'une commune ou la réalité vécue par nos compatriotes.
À cet égard, j'espère que nous aurons l'occasion d'évoquer le secret des affaires. J'ai demandé à M. Lasserre, dans le point 16 du questionnaire, quelle était sa doctrine à ce propos. Le secret des affaires est une des limites à la transparence. La jurisprudence administrative et commerciale a précisé la notion au fil des années et, en 2018, le législateur l'a inscrite dans la loi. J'ai interrogé M. Lasserre sur les évolutions législatives possibles. Dans sa réponse – il pourra préciser sa pensée devant nous – il a nuancé la portée de la notion. Il considère notamment que les agences de l'État et les administrations ne devraient pas pouvoir opposer le secret des affaires lorsqu'elles ne sont pas elles-mêmes directement concernées par lesdites affaires, au sens de la gestion commerciale. Voilà une question que nous devrions approfondir.
Par ailleurs, s'agissant d'une autorité administrative indépendante, il nous faut vérifier si l'impétrant est en mesure d'assurer intuitu personae à la fois l'autorité et l'indépendance de ladite institution. En particulier, nous devons absolument évoquer le fait que, depuis que le Président de la République a proposé sa nomination, le parquet de Paris a requis le renvoi de M. Lasserre devant le tribunal dans le cadre d'une affaire de harcèlement moral. M. Lasserre n'est pas l'auteur principal des faits, je l'indique d'emblée, mais le procureur de la République considère qu'il en est le complice. Bien que nous respections la présomption d'innocence et la séparation des pouvoirs, nous devons nous assurer, en abordant sereinement la question, que M. Lasserre est en mesure de faire respecter pleinement l'autorité et l'indépendance de l'institution qu'il aspire à présider.