Intervention de Laurent Vallet

Réunion du mercredi 13 juillet 2022 à 9h35
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Laurent Vallet, président-directeur général de l'Institut national de l'audiovisuel (INA) :

Cette réforme fondamentale pour l'audiovisuel public intervient dans une période où l'audiovisuel se porte plutôt bien. En témoignent les audiences, les équilibres économiques et les grandes transformations de ce dernier. L'INA a su rebondir après la crise de 2020, qui l'a particulièrement affecté, puisqu'il doit assurer près de 35 % de son financement par des ressources propres – c'est l'une de ses singularités. L'INA s'est profondément transformé, en adoptant une politique éditoriale originale, ancrée dans le temps long, d'analyse et de décryptage de l'information et de la culture, à l'aide notamment d'archives, et en développant son audience numérique à travers son site internet et ses pages sur les réseaux sociaux. Ainsi, notre audience numérique est passée de moins de 80 millions de vidéos visionnées par an à 1,3 milliard l'année dernière.

L'INA a également fait évoluer ses missions de formation et de transmission des savoirs. Notre campus de Bry-sur-Marne accueille en permanence 300 étudiants en BTS, en master ou préparant des diplômes spécifiques, dans le cadre de la formation initiale. Nous œuvrons pour la diversité au sein de cette formation, notamment au travers de la classe alpha, à laquelle France Télévisions est associé. Nous avons également développé des perspectives d'intégration à l'université Paris-Panthéon-Assas à l'horizon 2024. Enfin, nous avons renforcé nos liens avec le ministère de l'Éducation nationale, qui a récemment confié à l'INA, en tant qu'éditeur de Lumni Enseignement, la reprise intégrale de son service Êduthèque, plus particulièrement destiné aux professeurs. Ces diverses coopérations sont le signe que l'INA assume pleinement son rôle de média distinctif de service public, et s'affirme en tant que média patrimonial, auquel contribuent nos activités éditoriales et de recherche. L'INA développe des solutions d'intelligence artificielle avec ses chercheurs, qui permettent de combiner l'analyse de contenus audiovisuels en masse, comme ceux gérés à travers le dépôt légal de l'audiovisuel et du webmedia, et la production d'études assez novatrices. Nous avons par exemple mené des études sur la représentation du genre en analysant le temps de parole des hommes et des femmes à la télévision. Cette activité constitue une contribution originale aux contenus informatifs produits par le service public de l'audiovisuel.

Si l'INA est plutôt en avance sur ses objectifs stratégiques et sur la trajectoire de redressement économique qui a suivi les difficultés de 2020, ces acquis restent fragiles. Le contexte d'inflation élevée crée une forte tension sur les charges des entreprises, alors même que la trajectoire 2018-2022 ne l'avait pas anticipée. La réforme de financement de l'audiovisuel public constitue une deuxième source d'incertitude.

En supprimant la CAP pour la budgétiser, le projet de loi de finances rectificative pour 2022 propose une mesure pérenne, dont les effets se feront sentir bien plus tard, alors même qu'en vertu du principe d'annualité budgétaire il ne peut apporter aux entreprises concernées que des garanties partielles et limitées à l'exercice 2022. Le PLFR, tout comme le Gouvernement, évoquait des garanties pour 2023 et les années suivantes. Toutefois, leur valeur juridique est mal assurée, d'abord parce que ces garanties ne relèvent pas du PLFR : il a été évoqué la possibilité d'un fonctionnement inspiré du modèle allemand de la KEF, mais cela relèverait d'un véhicule législatif sectoriel. De plus, si le versement des crédits en une fois, au début de l'exercice, va dans le bon sens, d'un point de vue juridique il n'empêche pas la régulation infra-annuelle. Seule la modification des dispositions organiques permettrait de garantir l'absence de ces régulations.

Madame la présidente, vous avez évoqué la prolongation envisagée des contrats d'objectifs et de moyens, qui interviendrait dans l'attente du débat sur les missions, le périmètre et les conséquences de l'évolution de ces derniers en matière de trajectoire financière à moyen terme, voire, de gouvernance. Ce débat ne pouvant être esquivé, la prolongation des COM semble représenter la seule solution raisonnable, mais encore faudra-t-il qu'elle s'accompagne de la prolongation des ressources correspondantes. Les entreprises ne pourront continuer à atteindre leurs objectifs une ou deux années de plus en disposant de moyens réduits. Les intervenants précédents ont déjà souligné les efforts fournis, notamment par les salariés, pour réaliser des économies conséquentes. Cette stabilité des moyens en phase transitoire ne peut en outre s'entendre qu'en tenant compte de l'inflation, ce qui se traduirait par une hausse des crédits budgétaires à compter de 2023, a fortiori parce que le Gouvernement a demandé aux entreprises d'absorber le choc de l'inflation sur leur exécution budgétaire 2022.

L'article 1er du PLFR soulève donc une question de fond, qu'ont détaillée les autres intervenants. La budgétisation des ressources, en l'absence de garanties juridiques suffisamment solides, risque d'affecter l'indépendance des médias publics que protège la Constitution. En outre, cet article soulève une question de temporalité. La suppression de la CAP intervient avant le débat sur les missions et le périmètre de l'audiovisuel public, qui devra se tenir entre l'automne 2022 et les premiers mois de 2023, et qui apportera à nos entreprises les clarifications et les réponses qu'elles attendent pour poursuivre sereinement leur transformation. Face aux grands acteurs mondialisés de l'audiovisuel et du numérique, ces entreprises doivent en effet construire leurs offres éditoriales de demain, sécuriser leurs équilibres économiques sur une base pluriannuelle et, enfin, apaiser des salariés inquiets d'une mesure dont ils peinent encore à saisir la portée, comme l'a montré le mouvement social récent.

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