Intervention de Bruno Patino

Réunion du mercredi 13 juillet 2022 à 9h35
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Bruno Patino, président d'Arte France :

N'ayant que des points d'accord avec Madame Ernotte, je me contenterai d'y apporter l'éclairage spécifique d'Arte. Arte fête cette année ses trente ans, qui marquent aussi l'anniversaire du traité interétatique qui forme son cadre juridique, puisqu'Arte a été créée par la volonté de deux États, la France et l'Allemagne. Arte échappe ainsi à la régulation de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM), tout en respectant les règles qui en proviennent.

À sa fondation, le but d'Arte était de contribuer au rapprochement des peuples européens par la culture. Cette ambition est révélatrice de la tâche du service public audiovisuel, qui consiste notamment à transformer le public en citoyens. Ce rôle est trop souvent oublié lorsque les modes de financement de l'audiovisuel public sont évoqués. En trente ans, nous avons démontré que nous sommes un outil de démocratisation culturelle et de création artistique, notamment auprès des jeunes créateurs. Cependant, notamment parce que nous échappons aux contraintes de marché, nous avons également su devenir un outil d'innovation technologique. Je combats très fortement l'idée d'une désuétude du service public. Arte a par exemple organisé un concert dans le métavers, la chaîne est présente sur Twitch, et nous avons créé le replay en France. Cette innovation est aussi éditoriale, car les podcasts ont été lancés en 2002 sur Arte en France.

Ces dernières années, Arte a suivi une stratégie en trois points : « l'éclectisation », la plateformisation et l'européanisation. Aujourd'hui, comme France Télévisions, nous arrivons à la fin d'une forme de cycle. Nos audiences sont plus élevées que jamais. En dix ans, l'audience de la chaîne a doublé, tandis que l'audience numérique a progressé de 4 000 %. Il semble ainsi qu'Arte n'a jamais été autant regardé et partagé, notamment par les plus jeunes. Néanmoins, le tarissement des ressources commence à se faire ressentir. Les ressources d'Arte France ont connu une croissance permanente de sa création en 1992 à 2018, date à laquelle elles ont entamé une diminution.

Arte est une société franco-allemande. Arte France et Arte Allemagne sont rassemblées au sein du groupement européen d'intérêt économique (GEIE) à Strasbourg, que je préside. Notre partenaire allemand exprime une très forte incompréhension face à la réforme du financement de l'audiovisuel public en France.

En effet, en Allemagne, les besoins de financement de l'audiovisuel public sont élaborés par une commission indépendante, la Kommission zur Überprüfung und Ermittlung des Finanzbedarfs der Rundfunkanstalten (KEF). La KEF est nommée par de nombreuses autorités allemandes, mais pas par l'État fédéral. Elle évalue les besoins des différentes sociétés de l'audiovisuel public, conformément à la loi votée par les Länder. La KEF établit ensuite un financement pluriannuel voté par les Länder. Ce vote constitue une compétence liée. Ainsi, lorsqu'un Land a décidé de ne pas voter les recommandations de la KEF l'année dernière, le tribunal constitutionnel de Karlsruhe a rendu un avis en juillet 2021 rappelant que l'indépendance de l'audiovisuel public contraignait les Länder à voter les ressources telles qu'établies par la KEF. Les besoins établis sont pluriannuels et s'étalent sur quatre ans. Aucune variabilité n'est possible sur cette période, sauf dans le cas d'un choc économique considérable poussant l'unanimité des Länder à réviser la proposition de la KEF. L'Allemagne est par conséquent très inquiète d'une budgétisation de l'audiovisuel public français, qui s'accompagnerait d'une absence de garanties.

De plus, l'inquiétude de l'Allemagne concerne la visibilité. Nous discuterons avec le partenaire allemand et la KEF des besoins de financement pour la période 2025-2027 dès le mois de septembre. Ainsi, l'Allemagne comprend mal le manque de cadre et de visibilité indicative du financement pluriannuel qui commence en 2023, puisque nos contrats d'objectifs et de moyens (COM) arrivent à terme en décembre 2022.

Enfin, l'Allemagne a décidé d'augmenter l'équivalent de sa redevance il y a deux ans. Elle s'y élève à 18,36 euros par mois par foyer, soit 221 euros annuels. Dans sa délibération de juillet 2021, le tribunal de Karlsruhe a rappelé que le financement de l'audiovisuel public n'avait jamais été aussi nécessaire, en raison du caractère indispensable de ses missions. Trois motifs ont été invoqués par le tribunal de Karlsruhe : la multiplication des fausses informations et des campagnes de désinformation, la fragmentation du débat public, rendant nécessaire la présence de tiers de confiance, et enfin la fragmentation sociale, fragilisant l'accès des populations à la culture du fait de l'apparition d'offres payantes.

L'idée que l'audiovisuel public n'a pas fourni d'effort ces derniers temps est complètement fausse, comme l'a rappelé Madame Ernotte. En dix ans, Arte France a diminué de 25 % ses frais généraux. Ces économies ont été dévolues aux programmes, qui ont bénéficié de 33 % d'augmentation, afin de rendre nos contenus accessibles à tous. La masse salariale d'Arte en euros courants est la même en 2020 qu'en 2013, tandis que notre périmètre a explosé. Le service public est en outre performant, comme le montrent les nombreux prix décernés à nos programmes. La réforme qui est en jeu montrera ainsi si l'instrument de démocratie qu'il représente est pris au sérieux.

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