En octobre 2020, il y a un peu plus de deux ans, dans une guerre qui a duré quarante-quatre jours, l'Azerbaïdjan a fait pleuvoir sur les Arméniens du Haut-Karabakh bombes au phosphore et bombes à sous-munitions, faisant 6 500 morts et autant de blessés, lesquels tentent désormais de se reconstruire, avec un courage et une résilience hors du commun.
Aussi, les 13 et 14 septembre derniers, lorsque le régime de Bakou a choisi de bombarder massivement le sud et le sud-est de l'Arménie, au mépris du respect de ses frontières souveraines, le Haut-Karabakh est-il apparu comme le signe avant-coureur d'une agression d'une plus grande ampleur. Aujourd'hui encore, plusieurs dizaines de kilomètres carrés du territoire souverain de l'Arménie sont occupées et des tirs et des explosions continuent de retentir quotidiennement.
Deux ans après l'annexion d'une partie du Haut-Karabakh, c'est l'Arménie elle-même qui est en danger. Il est urgent de sonner l'alerte ! « Le destin de l'Arménie ne concerne pas l'Arménie seule. Si on la considère comme une extension, une ombre projetée de l'Europe au seuil de la steppe, un éclat de nous-mêmes fiché dans l'Orient, alors c'est nous-mêmes qui sommes frappés par ses tourments. » Ces mots de l'écrivain voyageur Sylvain Tesson disent tout de notre lien à l'Arménie, notre lien en tant que Français et en tant qu'Européens. Nous partageons avec ce pays une histoire millénaire, une culture et des valeurs fondamentales : celles de la démocratie et de la liberté, celle aussi de la laïcité.
Ce lien indéfectible s'est affermi quand, durant les années qui ont suivi le génocide, l'exil a conduit les survivants en France, en particulier à Marseille, où ils ont inscrit leur empreinte et leur vie. Ce lien indéfectible s'est écrit avec le sacrifice de Missak Manouchian et de son groupe de francs-tireurs, devenus des héros de la Résistance.
Or, cent ans après le génocide arménien, l'histoire ressurgit et le peuple arménien craint de nouveau pour sa survie, face à des voisins, la Turquie et l'Azerbaïdjan, plus hostiles et puissants que jamais. Petit confetti démocratique et chrétien au cœur d'une grappe d'États autoritaires, l'Arménie est pour ses voisins expansionnistes le verrou qu'il faudrait faire tomber, pour faire aboutir un projet plus vaste, le panturquisme. Ce projet prévoit aussi l'effacement d'un peuple et d'une culture : la destruction du patrimoine arménien en atteste. Les mots sont là, aussi clairs que violents : « Chasser les Arméniens de [leur] terre comme des chiens ! ». Les crimes de guerre sont là, photographiés et célébrés par leurs auteurs : tortures, décapitations, viols, répertoriés dans le rapport du défenseur des droits de l'homme arménien. La menace est là, quotidienne et réelle, encore ces derniers jours.
En tant que coprésidente du groupe de Minsk, la France doit pleinement jouer son rôle de médiateur. C'est le souhait de l'Arménie, mais c'est surtout le gage d'une médiation équilibrée, alors que la Russie, malgré ses 8 000 soldats présents en Arménie, a démontré son incapacité à faire respecter le cessez-le-feu de 2020.
De premiers efforts diplomatiques ont été entrepris en ce sens et nous saluons la rencontre qui a eu lieu à Prague le 6 octobre dernier, à l'initiative notamment du Président de la République. Elle a permis de réunir toutes les parties concernées. Nous sommes également satisfaits qu'un poste d'attaché militaire de défense ait été créé auprès de l'ambassade de France à Erevan et qu'une coopération s'engage.
Toutefois, il convient d'accentuer cet élan pour établir une paix durable dans le Caucase du Sud : or cela ne pourra aboutir qu'en coopération étroite avec l'Union européenne et les États-Unis. L'Union doit donner de la voix pour éviter un nouveau conflit meurtrier aux confins de notre continent. Comme la présente proposition de résolution le souligne, il faut d'abord que soit mis fin à l'occupation du territoire arménien par les troupes azerbaïdjanaises et que l'intégrité des frontières de l'Arménie soit respectée, comme son indépendance.
Nous appelons également à ce que les termes du cessez-le-feu de novembre 2020 soient honorés et à ce que les prisonniers de guerre arméniens soient libérés. Des familles attendent depuis deux ans de revoir les leurs ou d'obtenir le corps d'un proche pour l'enterrer dignement. Au-delà, il faut que la sécurité des populations arméniennes présentes dans le Haut-Karabakh soit effectivement garantie.
Par ailleurs, des témoignages et des vidéos font état d'infractions répétées au droit international humanitaire : elles sont commises par des soldats azerbaïdjanais sur des civils et des militaires arméniens, en particulier des femmes. Afin qu'une enquête internationale et indépendante puisse être conduite, nous invitons la république d'Arménie à adhérer à la Cour pénale internationale pour lutter contre l'impunité.
Si les tensions et les agressions devaient se poursuivre, il importe que l'Organisation des Nations unies (ONU) réagisse et envisage le déploiement d'une force d'interposition internationale capable d'assurer la fin des hostilités dans le Caucase du Sud et la sécurité des populations civiles.