La présentation de cette communication s'inscrit dans le cadre du système des référents thématiques de notre commission. Avec mon collègue Philippe Juvin, notre portefeuille comprend la politique européenne de la santé, qui fait l'objet d'une attention croissante de la part de l'Union européenne depuis le déclenchement de la crise sanitaire.
Pour cette première communication, j'ai choisi de me concentrer sur la proposition de règlement, présentée par la Commission européenne le 3 mai 2022, visant à créer un espace européen des données de santé, dénommé « European Health Data Space » ou « EHDS ». Choisir ce sujet en première communication se justifie par le fait que le numérique est un prérequis pour connecter les parcours de soins et avancer vers l'Europe de la santé.
La mise en place d'un espace européen des données de santé a pour objectif de permettre aux personnes de prendre le contrôle de leurs données de santé et de soutenir l'utilisation des données de santé pour améliorer la prestation des soins de santé, la recherche, l'innovation et l'élaboration des politiques.
Ce projet de règlement s'inscrit dans un cadre plus général d'action au niveau européen qui vise à la fois une meilleure protection des données à caractère personnel des citoyens européens et une meilleure utilisation de la donnée, notamment dans un objectif d'innovation en santé. Dans cette perspective, l'espace européen des données repose sur deux piliers, l'utilisation primaire et l'utilisation secondaire des données de santé.
L'utilisation primaire des données vise à offrir aux personnes la possibilité d'accéder gratuitement à leurs données personnelles de santé par voie électronique (dossiers de patients, images médicales, résultats de laboratoire…), de les corriger, de les partager avec les praticiens de leur choix et de visualiser les opérateurs qui ont accès à ces données. À ce titre, la proposition de règlement rend la participation obligatoire à l'infrastructure commune centralisée « MaSanté@UE », pour la fourniture et la réception de données de santé dans le cadre du parcours de soins. La France, qui a adhéré en juillet 2021 au réseau MyHealth@EU en lançant le service Sesali (proposé par l'Agence du numérique en santé), devra étendre ce service pour permettre l'échange de données de santé dans le cadre de prestations de soins.
Des éléments normatifs seraient introduits pour permettre ces échanges dans un espace sûr et sécurisé et améliorer l'interopérabilité des données. Ce pilier se traduirait, en termes de gouvernance, par une obligation pour les États membres de mettre en place une autorité de santé numérique afin d'assurer le respect des droits des individus.
L'utilisation secondaire des données de santé est un accès pour les chercheurs et l'industrie afin de promouvoir l'innovation et la recherche.
Dans un contexte d'absence de valorisation d'un volume important et croissant de données, qui auraient des bénéfices économiques et sociaux importants, la proposition de règlement prévoit également l'utilisation secondaire des données de santé afin de permettre aux chercheurs et à l'industrie d'accéder aux données électroniques relatives à la santé et de promouvoir ainsi l'innovation et la recherche dans le domaine de la santé. Les données devront être anonymisées et les chercheurs et les industriels devront obtenir une autorisation d'accès à ces données établies dans un environnement sécurisé.
En juillet 2022, un projet pilote de l'espace européen des données de santé a été lancé et confié à un consortium mené par le « Health Data Hub » français. Ce consortium de seize membres réunit l'Agence européenne des Médicaments (« EMA ») ainsi que des infrastructures nationales de santé publique, des infrastructures de recherche, des associations œuvrant dans le domaine de la santé ou encore des plateformes nationales.
Le calendrier est ambitieux : les négociations en cours sur cette proposition de règlement devraient s'achever au plus tôt fin 2023. Le texte prévoyant son application en principe 12 mois après son entrée en vigueur, l'espace européen des données de santé ne serait pas effectif avant 2025 ou 2026. Ce temps d'application pourrait être plus long, compte tenu de sa complexité et des différences de vitesse de déploiement des feuilles de routes nationales plus ou moins complètes des États membres.
Le règlement implique un équilibre nécessaire entre protection et besoins. En effet, afin de conforter la confiance des patients qui est sans aucun doute l'un des aspects clés de la réussite de la mise en place de l'espace européen des données de santé, la proposition de règlement pose des exigences élevées en matière de protection des données. Il est d'abord suffisamment explicite sur les finalités autorisées et celles interdites. En fixant des délais d'autorisation pour l'utilisation secondaire des données, le texte va permettre de faciliter l'accès aux données des chercheurs et industriels, aujourd'hui contraint par des délais de procédure excessifs qui peuvent mettre en échec des projets de recherche.
Toutefois, des incertitudes subsistent en ce qui concerne le traitement des réclamations des usagers, le pouvoir de sanction des organismes responsables de l'accès, l'harmonisation de ces sanctions au niveau européen ou le régime d'autorisation préalable pour la réutilisation des données de santé numériques. En outre, certaines propositions d'améliorations de cette protection ont été suggérées par les autorités européennes dans leur avis conjoint de 2022. Celles-ci portent notamment sur l'utilisation secondaire des données issues des applications de bien-être, l'interaction cohérente avec le règlement général sur la protection des données (RGPD), l'uniformisation des sanctions au niveau européen, ou encore la nécessité de stockage de ces données électroniques personnelles relatives à la santé.
Une coordination au niveau européen semble essentielle pour mettre en œuvre l'interopérabilité des données, mais également pour favoriser le déploiement d'instrument d'analyses et de formations du personnel spécialisé.
De plus, les fonds prévus par l'Union européenne pour accompagner la mise en place de l'espace européen des données de santé, estimé à plus d'un milliard d'euros sont insuffisants. Afin de les compléter, il pourrait être envisagé d'utiliser une partie des fonds de la facilité pour la reconstruction et la résilience, ainsi que favoriser la participation des acteurs privés.
D'autre part, les difficultés des acteurs scientifiques et industriels à évaluer correctement la valeur des données qu'ils échangent constituent un frein indéniable à toute collaboration. Ces aspects ne doivent pas être négligés dans la mise en place de l'espace européen des données de santé. Ils sont pris en compte par la proposition de règlement qui prévoit de les approfondir dans le cadre d'un groupe d'experts.
L'espace européen des données de santé est bien une première étape essentielle à la construction de l'Europe de la santé, qui devra pour réussir, dépasser un certain nombre d'obstacles, dont les freins culturels et financiers, ainsi que susciter la confiance des citoyens et des professionnels dans la protection des données.