L'article 3 de la Constitution dispose : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum. » C'est donc bien la souveraineté que cette proposition de loi constitutionnelle vise à renforcer, en faisant de la Constitution un texte vivant, qui accorde aux citoyens des droits pouvant être effectivement mis en œuvre.
Près de quinze ans après la révision constitutionnelle de 2008, nous pouvons tous convenir que le bilan du référendum d'initiative partagée n'est pas satisfaisant – c'est le moins que l'on puisse dire.
L'article 11 de la Constitution, modifié en 2008, prévoit certes une procédure permettant de soumettre au référendum une proposition de loi soutenue par un cinquième des parlementaires et un dixième des électeurs, si ce texte n'a pas été examiné par le Parlement. Mais le référendum d'initiative partagée est largement resté lettre morte. À ce jour, seule la proposition de loi visant à affirmer le caractère de service public national de l'exploitation des aérodromes de Paris, cosignée par plus de 185 parlementaires, a fait l'objet d'une campagne de collecte de signatures dans ce cadre, en 2019 ; elle a recueilli le soutien de plus d'un million de nos concitoyens, mais cela n'a pas été suffisant pour aller au terme de la procédure. Celle-ci s'avère quasiment impossible à mettre en œuvre à cause des seuils fixés par la Constitution. De surcroît, elle ne peut être engagée qu'à l'initiative des parlementaires, et non des citoyens, lesquels ont uniquement la possibilité de soutenir une proposition de loi préalablement déposée par des députés et sénateurs.
Le 17 novembre 2018, il y a quatre ans quasiment jour pour jour, commençait le mouvement des gilets jaunes. Ces derniers ne s'y sont pas trompés : à côté de leurs revendications sociales, ils ont fait du référendum d'initiative citoyenne l'une de leurs revendications centrales, sous diverses formes – référendum abrogatif, législatif, constituant, révocatoire… L'une des figures majeures du mouvement, Jérôme Rodrigues, a souligné lors d'une audition l'intérêt tant du référendum d'initiative citoyenne que du référendum d'initiative partagée pour redonner de la voix à la France silencieuse et réintéresser nos concitoyens à la chose et au débat publics, à l'heure où l'abstention progresse.
Sans aller aussi loin que les propositions des gilets jaunes, le projet de loi constitutionnelle déposé en 2019, à la suite de ce mouvement, constituait un premier pas vers une plus grande effectivité du référendum d'initiative partagée. Mais le texte n'a malheureusement pas été discuté – pas même au sein de notre commission.
La présente proposition de loi constitutionnelle, cosignée par l'ensemble des membres du groupe La France insoumise-Nouvelle Union populaire, écologique et sociale, reprend deux dispositions de la réforme envisagée en 2019. D'une part, elle abaisse le nombre de soutiens parlementaires et citoyens requis pour le déclenchement de la procédure : 1 million de citoyens, au lieu de 4,7 millions, et 10 % des parlementaires, soit 93 députés et sénateurs au lieu de 185, suffiront. D'autre part, elle permet aux citoyens d'être aussi à l'origine de la procédure, plutôt que de se contenter de soutenir l'action des parlementaires. C'est donc un droit à l'initiative citoyenne qu'il vous est proposé de créer.
Notre proposition de loi constitutionnelle ne remet pas en cause le principe d'un contrôle du Conseil constitutionnel sur la proposition de loi soumise au référendum. Elle ne modifie pas non plus le champ d'intervention du Conseil, par souci de cohérence avec la rédaction actuelle de l'article 11 de la Constitution. Mais elle donne aux citoyens le droit de s'emparer de la procédure, avec une réelle possibilité de succès, grâce à des seuils qui restent exigeants mais deviennent beaucoup plus raisonnables et atteignables.
L'article 11 de la Constitution prévoit déjà qu'une loi organique fixe les conditions de mise en œuvre du référendum d'initiative partagée. Cette loi organique aurait naturellement vocation à être également révisée, en cas d'adoption de la présente proposition de loi constitutionnelle, pour préciser certains sujets – je pense au délai de collecte des signatures citoyennes et parlementaires, à la temporalité du contrôle du Conseil constitutionnel, ou encore au soutien technique apporté aux citoyens dans la rédaction de leur proposition de loi.
Allons maintenant au cœur du débat. Le référendum fait encore trop souvent l'objet de mauvais procès. J'aimerais donc revenir sur quelques avantages qu'il présente, notamment lorsqu'il résulte d'une initiative partagée, et qu'ont évoqués plusieurs personnalités que nous avons auditionnées – juristes, professeurs de droit public et constitutionnel, politistes et figures du mouvement des gilets jaunes.
En faisant en sorte que le référendum résulte d'autre chose que de la simple volonté du Président de la République, dont nous entendons briser le monopole actuel, nous remettrons le citoyen au cœur du débat public et nous préserverons le scrutin du risque de dérive plébiscitaire. Si le processus aboutit à l'organisation d'un référendum, il permettra une expression directe plus fréquente de la souveraineté nationale, qui ne se limitera plus aux seules phases d'élections. À l'heure où l'antiparlementarisme se répand et où la défiance règne souvent entre représentants et représentés, le fait que l'initiative soit partagée permettra également de rapprocher les citoyens des parlementaires que nous sommes.
La participation directe des citoyens à la délibération et à la décision, par le biais de ces référendums, est aussi de nature à améliorer l'acceptabilité et la légitimité des mesures qui en découlent, et donc de répondre plus efficacement aux grands enjeux politiques et environnementaux que l'évolution de la situation internationale et climatique rend encore plus criants. Il s'agit là d'une remarque absolument cruciale, exprimée par plusieurs personnalités auditionnées : le référendum d'initiative partagée permettra d'asseoir la légitimité de décisions qui font débat et qui occasionnent la construction de majorités parfois transversales, en tout cas différentes de celles qui résultent des élections législatives ou sénatoriales singulièrement déformées par le scrutin majoritaire.
Enfin, le référendum d'initiative partagée ne tire pas sa valeur du seul fait qu'il permet l'expression citoyenne le jour du vote ; il sera aussi au service d'une démocratie continue, délibérative, complémentaire de la démocratie représentative qu'il n'est nullement question de remettre en cause. La campagne de collecte de signatures puis, le cas échéant, la période précédant le référendum ont vocation à être des moments de délibération citoyenne et de débat public permettant à la nation de se prononcer librement, souverainement, en étant éclairée.
Certains trouveront notre proposition de loi constitutionnelle trop timorée. Nous y voyons cependant l'occasion de faire, par la réforme de la Ve République, « œuvre commençante » de VIe République, pour paraphraser Jean Jaurès. Surtout, la réforme que nous défendons se veut efficace, significative et acceptable par l'ensemble des groupes politiques qui composent notre assemblée. C'est bien dans cet esprit que nous avons travaillé. Rappelons que le référendum d'initiative partagée a été introduit dans la Constitution sous la présidence de Nicolas Sarkozy, que le projet de révision constitutionnelle dont nous nous inspirons a été déposé par le gouvernement d'Édouard Philippe, lors du premier quinquennat d'Emmanuel Macron, et que les partis politiques composant la Nouvelle Union populaire, écologique et sociale sont de ceux qui se sont emparés de ces initiatives. C'est donc un très large spectre de notre assemblée et, je crois, de la population française qui approuve ce principe.
Je forme le vœu que cette proposition de loi constitutionnelle soit adoptée sans attendre une hypothétique révision constitutionnelle dont le calendrier et les modalités ne sont pas encore connus. La précédente tentative, qui date de 2019, est restée au stade de projet de loi non discuté – pas même en commission. Je vous invite donc à voter ce texte pour ouvrir un droit nouveau à nos concitoyens sans remettre à plus tard ce qui peut être fait aujourd'hui.