Les députés du Rassemblement national sont attachés au bien-être animal, mais sont aussi les premiers défenseurs de nos traditions et cultures locales. Les articles 521-1 et 522-1 du code pénal, tels qu'ils sont rédigés actuellement, tentent d'assurer un équilibre entre ces deux impératifs : ils condamnent la maltraitance et la souffrance animale, tout en permettant le maintien, dans des conditions strictes et sans possibilité d'extension, de traditions faisant partie de notre culture et de notre patrimoine immatériel qui entraînent la souffrance et la mort violente d'animaux. La corrida est l'une de ces traditions. Il n'y a pas de doute, elle provoque de la souffrance animale, et nous n'y sommes pas insensibles. C'est un fait objectif, et une partie des élus RN préférerait qu'elle soit interdite.
La corrida est cependant plutôt en recul qu'en expansion. On peut donc s'interroger sur la nécessité, à un moment où notre pays et nos compatriotes font face à des crises graves, d'interdire purement et simplement cette pratique qui, d'après l'association Pour une éthique dans le traitement des animaux (Peta), entraîne la mort de 700 taureaux par an. Une question se pose : voulez-vous vous attaquer à la souffrance animale ou bien à des traditions et à des identités territoriales que l'extrême gauche exècre ?
Si l'opportunité d'interdire ou non la corrida est subjective, si le sujet divise de nombreux groupes, y compris le nôtre, il est objectif que, contrairement à ce que vous affirmez, la tauromachie est une tradition ancestrale, enracinée dans les régions du sud de la France et documentée depuis 1289. Il est objectif que c'est un patrimoine unique au monde, l'animal dédié à la tauromachie étant le dernier taureau à caractère sauvage. La fin de la tauromachie, ce serait la fin de son élevage et sa disparition, ainsi que celle de tout un écosystème et de sa biodiversité. En outre, il est objectif que la tauromachie contribue grandement à l'activité économique et à l'emploi dans une cinquantaine de villes taurines : pas de corrida, pas de feria ; pas de feria, pas de tourisme. C'est une partie importante de l'activité économique de ces villes qui pourrait être mise à mort.
Par ailleurs, si votre priorité est le bien-être animal, pourquoi votre texte initial maintient-il l'exception des combats de coqs, qui figure aux mêmes alinéas que celle de la corrida ? Probablement parce que c'est une tradition moins ancrée et moins symbolique ; c'est donc le symbole que vous attaquez. Ou peut-être parce que les spectateurs de corrida et de combat de coqs ne font pas partie du même électorat. Si votre priorité immédiate est le bien-être animal, il est surprenant que vous ne fassiez rien pour les 500 000 bovins qui sont abattus sans étourdissement chaque année en France. Les services vétérinaires ont pourtant établi que la perte de conscience était précédée par un quart d'heure de souffrance.
De surcroît, nous ne sommes pas dupes : ce que vous revendiquez comme un petit pas pour l'animal est le premier pas d'un agenda antispéciste extrémiste, avant tout ennemi de nos traditions, qui visera demain à interdire la chasse à courre, puis la chasse le dimanche ou le mercredi, puis le foie gras, puis la pêche au vif, puis les balades à poney, puis la chasse tout court, puis la pêche tout court. D'ailleurs, en dehors de son titre, votre proposition de loi évoque non pas la corrida mais les « courses de taureaux ». Ce sont les prémices d'une attaque en règle contre les courses camarguaises et les courses landaises, toujours ces traditions que vous exécrez.
La question de la constitutionnalité viendra en son temps. La première phrase de l'alinéa 13 du préambule de la Constitution de 1946 reconnaît un droit à la culture. Cette commission et cette assemblée ont-elles le droit de supprimer une culture reconnue par l'Unesco, qui s'étend sur plusieurs siècles et à laquelle sont attachées des millions de personnes ? Plus simplement, et c'est peut-être la question à laquelle nous devons répondre, une majorité a-t-elle le droit de faire disparaître une culture autochtone parce qu'elle est minoritaire ?
Enfin, s'agissant du bien-être animal, on peut se poser une question quasi philosophique : qui souffre le plus ? Le taureau qui vit libre durant quatre ans dans son pâturage de Camargue et meurt violemment en une vingtaine de minutes ? Ou bien les nombreux animaux élevés dans de mauvaises conditions jusqu'à leur abattage ?
Si nous sommes encore une fois objectifs, il est avéré que la vie du taureau de corrida finit dans la violence et la douleur. Il est également avéré que cette violence et cette douleur sont érigées en spectacle. Parce que les élus du Rassemblement national sont représentatifs de régions, d'âges et de catégories sociales très diverses, certains d'entre eux estiment que l'exception faite à la corrida doit être maintenue, mais d'autres estiment qu'il serait préférable d'y mettre fin. L'un de mes collègues proposera tout à l'heure, en tant que porte-parole d'une partie des élus RN, un amendement de rejet de cette proposition de loi ; d'autres collègues soutiendront l'interdiction de cette pratique.