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Intervention de Marie Lebec

Réunion du mercredi 16 novembre 2022 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie Lebec :

Notre commission examine la proposition de loi intitulée « abolir la corrida : un petit pas pour l'homme, un grand pas pour l'humanité », défendue par notre collègue de La France insoumise Aymeric Caron. Ce texte vise à modifier le titre II du livre V du code pénal afin de supprimer la dérogation, introduite en 1951 et validée par le Conseil constitutionnel en 2012, reconnaissant et consacrant juridiquement une tradition ininterrompue dans certains territoires. À cet égard, monsieur le rapporteur, vous mentionnez dans votre rapport « une tradition locale factice » et « une dérive identitaire qui ne sait se remettre en question ». Vous avez donc fait le choix de la radicalité et de la caricature.

Je n'entends pas participer au débat récurrent sur les différentes pratiques tauromachiques, ni sur l'éternelle opposition entre ce qui relèverait de l'art et ce qui relèverait de la cruauté, d'une tradition désuète et condamnable moralement. Je n'entends pas davantage tirer de manière anticipée, voire hâtive, les conséquences de la diminution progressive de la fréquentation des arènes, laquelle pourrait fonder, voire justifier que nous décidions d'interdire désormais cette pratique.

Par ailleurs, ayant lu avec attention les dispositions des articles 521-1 et 522-1 du code pénal, je m'étonne que vous ayez fait le choix de mentionner uniquement les courses de taureaux, alors même que les combats de coqs bénéficient des mêmes dérogations. Dois-je en déduire qu'à vos yeux, la vie d'un coq vaut moins que celle d'un taureau ? Devons-nous comprendre que le combat à mort entre deux animaux dotés d'ergots métalliques est plus acceptable qu'un affrontement entre un homme et un animal ? Vous sachant si engagé sur le sujet, je n'ose croire que vous ayez pu méconnaître cette réalité, tout comme je n'ose croire que la présence de nombreux élus de La France insoumise dans les territoires ultramarins et dans le nord de la France, où s'applique cette exception, ait pu vous dissuader de retenir l'interdiction de ces combats. J'ai cependant la faiblesse de penser qu'il n'y a nulle innocence dans cet oubli, qui tend à préserver de fragiles équilibres internes.

Au travers de ce débat, nous nous interrogeons sur la France, celle que nous connaissons, celle que nous souhaitons et celle que nous entendons laisser en héritage. Voulons-nous d'une France monochrome, uniforme et incolore, où tous les territoires répondraient à des injonctions morales et réputées universelles ? Ou bien voulons-nous d'une France plurielle, respectueuse de son histoire et de ses traditions, aussi contestées puissent être certaines pratiques ? Pour notre part, nous ne voulons pas interdire, normer et réguler. Nous sommes fiers de cette France qui vit dans chacun de ces territoires. Nous soutenons celles et ceux qui font la France et qui sont la France. Si nous adoptons ce texte, quelle sera la prochaine tradition régionale que nous interdirons ? Les courses camarguaises ? Les courses landaises ? L'élevage des oies et des canards ?

La vraie question qui se pose à nous porte sur l'idéologie qui sous-tend cette proposition de loi. Elle n'a échappé à personne, pas même à ceux qui pourraient encore s'interroger : c'est celle d'un prétendu universalisme, où toutes les valeurs se confondent, sans autre hiérarchie ; c'est une idéologie de la contestation des traditions multiséculaires, qui font parfois le sel de la vie.

Nos concitoyens nous savent gré de nous soucier, depuis quelques années, de la condition animale, laquelle mérite mieux qu'un débat à la volée sur les courses de taureaux. Nous pouvons être fiers que majorité et opposition se soient pleinement saisies du sujet au cours du mandat précédent : nous avons interdit les delphinariums et l'exploitation des animaux dans les cirques ; nous avons renforcé les règles relatives à l'adoption des animaux domestiques et les sanctions contre la maltraitance qui leur est infligée. Contrairement à ce que vous prétendez, monsieur le rapporteur, personne ici ne pourra nous accuser de ne pas vouloir faire bouger les lignes sur le sujet. C'est donc à un débat plus large que je nous invite : loin des seules et récurrentes discussions sur les pratiques tauromachiques, évoquons tous les enjeux touchant à la condition animale.

Alors qu'en 1968, l'extrême gauche se battait pour le slogan « il est interdit d'interdire », en 2022, il ne se passe pas une semaine sans que la NUPES propose une nouvelle interdiction. L'Assemblée nationale est saisie une nouvelle fois du débat sur l'interdiction de la corrida. Même si la majorité est traversée des mêmes interrogations que notre société, nous nous poserons en défenseurs résolus de la liberté, dans le respect du droit de nos concitoyens à leur culture.

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