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Intervention de Aymeric Caron

Réunion du mercredi 16 novembre 2022 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAymeric Caron, rapporteur :

La proposition de loi dont j'ai l'honneur d'être le rapporteur semble parler des taureaux, mais c'est une illusion. En réalité, elle parle de nous, les humains. Elle parle de chacune et chacun d'entre vous, et elle interroge votre conscience. Elle vous demande : qui êtes-vous réellement ? Êtes-vous de ceux qui cautionnent la torture et l'exécution publique d'un animal ? Ou de ceux qui s'élèvent contre ce qu'il faut bien appeler une barbarie ?

Car, oui, la corrida est une barbarie. Non pas un spectacle où le courage, la bravoure, le respect et les autres valeurs mises en avant par les aficionados s'exprimeraient réellement, mais un acte cruel, indigne de notre époque, une cérémonie hypocrite où l'animal prétendument honoré est massacré avec une précision et un raffinement qui confinent au sadisme, comme le soutiennent les vétérinaires et les psychiatres que nous avons auditionnés dans le cadre de cette proposition de loi.

Si vous en doutez, il est important de prendre quelques minutes pour vous expliquer ce dont nous parlons. Une corrida se déroule en plusieurs temps, appelés « tercios ». Lors du premier tercio intervient un picador monté sur un cheval, armé d'une pique qui mesure 2,60 mètres, au bout de laquelle est fixée une pointe en acier. Le picador fait pénétrer sa pique, à plusieurs reprises, dans le cou du taureau, où elle peut s'enfoncer jusqu'à 30 centimètres.

La pique coupe, blesse et traumatise les muscles, les tendons, les ligaments, les nerfs et les structures osseuses des vertèbres cervicales et principalement thoraciques. Elle peut blesser les côtes, les omoplates et leurs cartilages d'extension. La pique sectionne également de nombreux vaisseaux sanguins, ce qui provoque une hémorragie abondante avec une perte de sang estimée entre 8 et 15 % du volume sanguin. La pique a pour objet, paraît-il, de montrer la bravoure du taureau.

Le deuxième tercio est celui des banderilles – six bâtons agrémentés de froufrous colorés qui mesurent 70 centimètres et qui se terminent en leur pointe par un harpon d'acier de 6 centimètres. Le harpon va s'insérer dans les chairs et les travailler, à chaque mouvement de l'animal, afin de le faire souffrir et de l'affaiblir davantage. Les banderilles sont plantées par paire, en trois fois, dans les zones précédemment blessées par les coups de piques. Les harpons ont également pour effet d'augmenter la perte de sang.

Au troisième tercio entre en scène le torero et sa muleta. Les passes finales finissent d'épuiser le taureau afin de faciliter sa mise à mort, pour laquelle le torero utilise l'estoque, une épée d'une longueur de 88 centimètres, qui est censée s'introduire dans la cavité́ thoracique de l'animal et sectionner toutes les structures anatomiques sur son passage : lobes pulmonaires, bronches, vaisseaux sanguins de plus ou moins gros calibre et parfois, trachée et œsophage. Dans environ 10 % des cas, les coups transpercent le diaphragme et touchent le foie et le ventre. Si l'épée a sectionné la veine cave caudale et l'artère aortique postérieure, le thorax se remplit de sang immédiatement.

Le taureau suffoque en crachant ou en vomissant du sang. Dans les faits, l'estocade est souvent ratée ; l'épée n'a pas suivi le bon chemin dans le corps de l'animal ; elle a du mal à s'enfoncer là où il faudrait ; le matador s'y reprend à plusieurs fois.

Si le taureau met trop de temps à tomber, on utilise une autre épée, un descabello.

À ce moment-là, le taureau n'est pas encore mort : vous verrez donc des toreros frapper la tête du taureau à quatre, cinq ou six reprises, s'acharner presque désespérément parce que l'animal n'arrive pas à mourir. Alors on l'achève avec un petit poignard, appelé puntilla. Cette lame de 10 centimètres est plantée entre l'os occipital et la première vertèbre cervicale, ce qui blesse un centre nerveux important, le bulbe rachidien. Souvent, vous vous en doutez, un seul coup de puntilla ne suffit pas. Ensuite, les taureaux sont parfois traînés encore vivants hors de l'arène.

Voilà le résumé de ce que certains appellent un art et qu'il faudrait, paraît-il, conserver. Pourtant, tout esprit logique comprend aisément que la succession des actions que je viens de vous décrire n'est rien d'autre qu'une séance de torture. Les tribunaux le reconnaissent depuis très longtemps, pointant sans la moindre ambiguïté les souffrances endurées par l'animal.

D'ailleurs, la loi française est extrêmement claire sur le sujet : elle interdit les corridas en France par l'article 521-1 du code pénal, qui punit les sévices graves et les actes de cruauté envers les animaux. C'est en vertu de cet article qu'il est impossible d'organiser une corrida à Paris, à Lille ou à Nantes.

Toutefois, en 1951, un amendement a été introduit dans la loi pour permettre à certaines villes d'organiser malgré tout des corridas, en s'appuyant sur le prétexte d'une « tradition locale ininterrompue ». C'est cette exception absolument inégalitaire, ce passe-droit injuste qu'il faut supprimer.

Les défenseurs de la corrida invoquent l'excuse de la tradition. Or la corrida est une tradition non pas française, mais espagnole. Elle n'a été introduite en France qu'en 1853, pour faire plaisir à l'épouse de Napoléon III, qui était andalouse. De toute façon, la tradition n'a jamais établi la validité morale d'une pratique. L'excision aussi est une tradition ; pourtant, il ne viendrait à l'idée de personne dans cette salle de la défendre.

Il y a quelques jours, un jeune homme a été condamné par la justice française à quatre mois de prison parce qu'il torturait et dépeçait des chats, et qu'il se filmait lors de ce qu'il considérait peut-être comme des performances, voire des performances artistiques, qui sait ? Si cet homme avait organisé tout un décorum autour de ces actes de torture, s'il avait mis un joli costume avec des couleurs bigarrées, s'il avait accompli ses gestes de dissection avec une chorégraphie particulière, s'il avait expliqué que la torture des chats est une vieille tradition familiale ou une tradition de son village, cela aurait-il rendu son geste acceptable ? Je connais votre réponse.

Par ailleurs, si cette tradition s'appuie sur une idéologie et une mythologie propres, sur des croyances singulières, si singulières qu'elles s'affranchissent du droit commun et de la loi républicaine, alors cette tradition devient un séparatisme. Or vous êtes ici nombreux à dénoncer toutes les formes de séparatisme. Pourquoi la torture d'un animal serait-elle le fondement d'un séparatisme acceptable ?

Pour se dédouaner de toute responsabilité, certains prétendent qu'il est inutile de légiférer pour interdire la corrida, car elle est en perte de vitesse et finira par mourir d'elle-même. Outre qu'il est hypocrite, ce raisonnement ne tient pas debout : soit on juge que la corrida est une tradition barbare, cruelle et dépassée, et alors il faut l'abolir ; soit on juge que la corrida est une tradition respectable, auquel cas il faut la défendre, non la regarder mourir sans agir.

Interdire la corrida serait une catastrophe économique. Faux ! Lorsqu'une feria est organisée dans une ville, à Nîmes par exemple, seulement 2 à 4 % des visiteurs de la feria se rendent à une corrida. On peut même considérer qu'interdire les corridas attirerait dans les ferias des gens qui refusent d'y mettre les pieds parce qu'ils savent qu'on y organise des événements dans lesquels on tue des taureaux.

La fin de la corrida entraînerait celle de la culture taurine, en particulier des courses landaises et camarguaises. Faux ! Les courses sans torture ni mise à mort ne sont absolument pas concernées par la proposition de loi.

Interdire la corrida consisterait à mettre le doigt dans l'engrenage insupportable de l'antispécisme. D'une part, beaucoup de ceux qui emploient cet argument ignorent ce qu'est l'antispécisme. D'autre part, interdire la corrida serait en réalité la suite logique de toutes les avancées obtenues pour les animaux depuis la première loi de protection animale, la loi Grammont de 1850. Ce serait une nouvelle étape après la loi du 30 novembre 2021 visant à « lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes », texte voté par les députés En marche, lesquels ne sont pas, à ma connaissance, de dangereux antispécistes. Le ministre de l'intérieur, M. Gérald Darmanin, ne l'est pas davantage, lui qui vient d'annoncer la création d'une division d'enquêteurs chargée de la maltraitance animale. C'est tout simplement la preuve que ces sujets progressent dans la société, car nous en savons plus aujourd'hui sur la sensibilité et l'intelligence des animaux, et nous avons compris que certaines maltraitances sont intolérables.

En réalité, aucune excuse n'est acceptable pour refuser d'abolir la corrida, pas même celle de la manœuvre électoraliste visant à ne pas froisser certains électeurs de régions dites taurines. Près de neuf Français sur dix réclament désormais la fin de ce pseudo-spectacle. En notre qualité de députés, il nous revient de les écouter et de les représenter. C'est même notre devoir.

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