Intervention de Erwan Balanant

Réunion du mercredi 16 novembre 2022 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaErwan Balanant :

Le 24 juin dernier, dans une volte-face historique, la Cour suprême des États-Unis a invalidé l'arrêt Roe v. Wade du 22 janvier 1973, qui reconnaissait le droit à l'avortement dans l'ensemble des États fédérés. Ce sévère retournement de l'histoire prive petit à petit les femmes américaines de l'un de leurs droits fondamentaux, celui de disposer en conscience et librement de leur corps. Les conséquences sont dramatiques : les droits reproductifs de ces femmes seront inférieurs à ceux de leurs mères. Cette décision a créé une véritable onde de choc en France et partout dans le monde, à juste titre. Cela doit nous conduire à nous interroger sur notre capacité à anticiper de tels revers.

L'IVG est autorisée dans la majeure partie de l'Union européenne, mais l'accès à ce droit est parfois entravé. C'est le cas en Pologne, où il est cantonné à des cas de viol ou de danger pour la vie de la mère, et en Italie, où le recours à l'IVG est désormais stigmatisé. Le droit d'avorter est fragilisé sur notre continent. Nous devons donc repenser les garanties offertes par notre droit. En France, l'accès à l'IVG est garanti par la loi Veil. La jurisprudence constitutionnelle l'a considérée comme conforme à la Constitution et notre bloc de constitutionnalité, en particulier l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, reconnaît la liberté de la femme. La loi du 2 mars 2022, à laquelle notre groupe a manifesté une large adhésion, a renforcé l'accès au droit à l'IVG en allongeant à quatorze semaines de grossesse le délai de recours.

Fort heureusement, aucun parti politique français n'a verbalisé à ce jour son souhait de revenir sur la loi Veil. Cependant, nous ne devons pas nous contenter de cet état de fait au motif que notre Constitution n'aurait pas vocation à cataloguer des droits individuels, au risque d'ouvrir une boîte de Pandore. Quelle difficulté y aurait-il à renforcer, en ces temps troublés, les gages donnés à la préservation de l'autonomie décisionnelle sur les questions reproductives ? Si nous en débattons aujourd'hui, c'est que ce droit ne bénéficie pas de la protection la plus forte qui soit, à savoir une inscription dans notre norme suprême. Une quasi-unanimité se dessine à ce sujet, tant chez nos concitoyens que sur l'échiquier politique. En effet, huit Français sur dix se disent favorables à cette constitutionnalisation, et tant la majorité que l'opposition ont déposé des propositions de loi constitutionnelle en ce sens.

En ces temps de défiance à l'égard des droits des femmes, cette constitutionnalisation serait un signal fort envoyé au reste du monde, aucune Constitution ne reconnaissant aujourd'hui de façon positive le droit à l'IVG. Cependant, la révision de la Constitution ne doit pas se faire à la légère et nécessite un travail collectif de coconstruction. Le groupe Démocrate s'engage sur ce point. Le texte que nous examinons nous semble répondre au principal objectif de la consécration constitutionnelle du droit à l'IVG, mais la rédaction proposée ne nous satisfait pas complètement. À la suite du travail effectué en commission mercredi dernier, nous vous soumettons une écriture différente, plus protectrice selon nous des droits que nous cherchons à protéger. Par cette rédaction, nous poserons un principe intangible dans la Constitution, ensuite précisé par la loi. Ce principe trouve pleinement sa place à l'article 1er de la Constitution, qui énonce de nombreux droits fondamentaux, ciments de notre contrat social. Néanmoins, nous pourrions aussi imaginer faire figurer cette disposition au titre VIII, si cela permettait d'obtenir l'accord du Sénat.

En tout état de cause, le groupe Démocrate considère que le droit à l'IVG a toute sa place dans notre Constitution et votera en conséquence le dispositif retenu.

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