« Aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l'avortement. Il suffit d'écouter les femmes ». C'est Simone Veil qui a dit cette phrase, le 26 novembre 1974. Quarante-huit ans plus tard, il faut toujours l'avoir à l'esprit. Les mots prononcés par Simone Veil à l'époque étaient exigeants et nous devons aborder l'ensemble des mesures dont nous allons débattre avec la même exigence.
Ce combat est avant tout celui des femmes, mais il est aussi celui de toute une nation qui croit en des droits fondamentaux et pour laquelle la reconnaissance du droit des femmes à disposer de leur corps est essentielle.
Jusqu'en janvier 1975, l'avortement constituait un délit pénal sanctionné par cinq ans d'emprisonnement. Les médecins pouvaient être condamnés à une interdiction d'exercer, et les femmes concernées étaient contraintes de se rendre à l'étranger ou de recourir à des avortements clandestins. La reconnaissance du droit à l'interruption volontaire de grossesse fut un long chemin. On se souvient des combats publics : celui du manifeste des 343, des revirements judiciaires – l'acquittement de la jeune Marie-Claire – et des débats au Parlement, d'une rare violence, lors desquels Simone Veil, à l'époque soutenue au banc par Jacques Chirac, a défendu avec acharnement son texte, malgré des attaques d'une indignité personnelle absolue. Comme Simone Veil le soulignait si justement en novembre 1974 devant l'Assemblée nationale, l'avortement est un droit immense, autant qu'il est un drame – et cela le restera.
Par sept fois, le législateur a renforcé les dispositions relatives à l'accès au droit à l'IVG, avec la suppression de la notion de détresse, l'allongement des délais d'avortement ou encore le remboursement à 100 % par la sécurité sociale, en 2021, faisant de l'IVG un véritable droit pour la femme, au-delà d'une simple dépénalisation. Chacune de ces conquêtes est absolument majeure, et il n'est pas question de ne pas les défendre pied à pied. Vous nous trouverez toujours aux côtés de ceux qui luttent pour la conservation et le maintien de ces droits.
Faut-il aller vers une constitutionnalisation du droit acquis de l'accès à l'IVG ? Des arguments juridiques, selon lesquels une telle constitutionnalisation est inutile, pourraient être invoqués. Ils ne me semblent pas suffisants pour refuser que nous débattions de ce sujet, et je pense qu'un droit aussi fondamental peut et doit être protégé dans un texte fondamental, c'est-à-dire la Constitution. Il ne faut pas davantage refuser d'utiliser la constitutionnalisation comme un symbole. La Constitution a vocation à garantir des droits, mais aussi à les proclamer. Or ce droit doit être continuellement proclamé haut et fort.
Pour avancer collectivement dans cette voie, nous souhaitons cependant que certaines conditions soient réunies. La première est que nous soyons assurés que la portée constitutionnelle que nous voulons donner à l'accès à l'IVG ne remet pas en cause la conditionnalité à laquelle nous sommes tous attachés. La deuxième condition est de ne céder à aucune caricature, ni d'un côté ni de l'autre. Enfin, nous ne devons pas instrumentaliser ces textes. Je demande ainsi à la rapporteure comme aux députés de la majorité de ne pas faire d'un sujet aussi essentiel un trophée politique.
Ce texte nous donne l'occasion de rappeler ce que notre pays a fait de mieux : la loi Veil est une des grandes lois de la République. Nous souhaitons en inscrire les principes dans la Constitution. À nous de faire en sorte qu'un consensus émerge de nos débats.