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Intervention de Danielle Simonnet

Réunion du mercredi 16 novembre 2022 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanielle Simonnet, rapporteure :

La richesse des différentes interventions, y compris celles des collègues plutôt défavorables à la proposition de résolution, montre bien que la création de cette commission d'enquête se justifie.

Dès la réception de la lettre du garde des sceaux, j'ai déposé plusieurs amendements pour répondre aux arguments relatifs à l'irrecevabilité de la proposition de résolution, au motif qu'elle mettrait en cause Emmanuel Macron en tant que Président de la République. Le dépôt tardif de ces amendements est lié à la réception elle-même tardive de la lettre.

Il ne s'agit pas de nous substituer à la justice, mais de nous interroger sur la légalité de la pratique du lobbying. Est-il normal et acceptable qu'une multinationale américaine ait pu s'imposer ainsi sans respecter aucunement le cadre légal et développer un lobbying aussi agressif ?

Trouvez-vous que la loi Sapin 2 garantit véritablement la séparation entre les lobbys et l'État ? Il n'en est rien, et la lecture des Uber Files le montre. La HATVP demande depuis des années une révision du décret qui définit les critères d'inscription au registre des représentants d'intérêts, ce qui lui a toujours été refusé, notamment par Bercy. Un rapport d'information sur l'évaluation de la loi Sapin 2 a émis des propositions sur ce point. La commission d'enquête portera sur le cas concret d'Uber et devrait permettre de formuler des recommandations pour mieux protéger notre République de la pression des lobbys.

Le fait qu'il y ait eu dix-sept échanges entre le ministre de l'économie de l'époque et des dirigeants d'Uber, notamment Travis Kalanick, dont aucun n'était inscrit à l'agenda du ministre, n'a rien d'illégal aujourd'hui, mais cela pose tout de même des questions.

J'ai décrit les stratégies très agressives d'Uber pour imposer une activité illégale. La maraude électronique utilisée par la plateforme d'Uber est en effet illégale, et cette société a emprunté la fenêtre ouverte par le statut des capacitaires Loti – loi d'orientation des transports intérieurs – pour pratiquer des activités de VTC sans licence. Uber a délibérément enfreint la loi pour imposer une situation monopolistique et capter des données, dans une nouvelle étape du capitalisme financier. Face à ces développements, certains décideurs sont restés passifs tandis que d'autres ont décidé de les accompagner.

On ne peut pas affirmer qu'Emmanuel Macron n'avait rien à se reprocher en tant que ministre tout en refusant qu'une enquête parlementaire soit menée, au prétexte que nous voudrions nous autoproclamer juges. Nous sommes des élus de la République : nous voulons savoir comment un tel lobbying a été rendu possible et formuler des recommandations pour assurer une séparation entre les lobbys et l'État. Ce sera le premier travail de la commission d'enquête.

Son deuxième objet sera d'étudier les conséquences sociales, économiques et environnementales du développement d'Uber en France et de l'ubérisation. Nous avons maintenant du recul. Il faudrait également comprendre pourquoi l'État était aussi peu préparé à l'arrivée de ces innovations et au chaos qu'elles ont entraîné. Tous les pays n'ont pas réagi de la même façon. La Corée du Sud, pourtant très libérale, a refusé d'accueillir une plateforme américaine qui risquait de déréguler le secteur des taxis. En revanche, les innovations technologiques ont été utilisées au profit de ces derniers. Pourquoi a-t-on considéré en France, comme s'il y avait eu une sorte de maraboutage idéologique, que ces innovations étaient nécessairement bonnes à prendre, sans se demander si elles ne devaient pas s'adapter aux lois de la République, plutôt que le contraire ?

La question de notre droit de tirage est légitime. Cependant, lorsque les révélations des Uber Files ont eu lieu, il nous a semblé que l'affaire était si grave du point de vue démocratique que la réponse devait être transpartisane et que ce n'était pas dans le cadre de notre droit de tirage, pour défendre nos propres orientations politiques, que cette commission d'enquête devait être créée. Tous les élus de la République sont concernés par la préservation de l'intérêt général et par la nécessité que la délibération collective soit menée indépendamment de la pression des intérêts privés.

Un tel sujet ne relève pas du droit de tirage de chaque groupe. C'est par un vote dans l'hémicycle que doit être décidée la création de cette commission d'enquête parlementaire. Si on veut qu'elles soient suivies par toutes et tous, mieux vaut élaborer ensemble, dans ce cadre, des recommandations pour aller au-delà de la loi Sapin 2, afin de nous préserver de l'influence des lobbys et de restaurer l'État de droit, notre droit du travail, notre sécurité sociale et notre fiscalité face à des entreprises à ce point prédatrices, qui tentent d'imposer l'illégalité de l'état de fait à notre État de droit. De même, la décision de créer la commission d'enquête doit être prise par toutes et tous.

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