Tout est question d'interprétation en matière d'irrecevabilité, et les constitutionnalistes sont très divisés à ce sujet. La référence au Président de la République dans votre proposition de résolution ne pouvait qu'aggraver les interrogations en la matière, ce qui vous a conduit à déposer des amendements pour rectifier le tir.
J'estime que le bureau de l'Assemblée devrait travailler à une révision du règlement pour permettre d'informer les auteurs d'une résolution, comme on le fait au sein de l'autorité judiciaire, quand le motif de l'irrecevabilité est sur le point d'être invoqué, et de leur donner ainsi la possibilité d'apporter des rectifications. Nous devons être en mesure de travailler sur des sujets aussi majeurs que ceux que vous soulevez. Opposer l'irrecevabilité à une volonté de transparence est toujours une forme d'échec.
La proposition de résolution pose d'abord la question du lobbying. Les Uber Files ont révélé un système d'influence, sous des formes multiples : fausses tribunes citoyennes de soutien, payées à des cabinets de conseil ; caviardage de pages Wikipédia ; falsification d'articles scientifiques sur les créations d'emploi d'Uber – dont l'un est encore cité sur le site de Pôle emploi – ; assistance de l'administration fiscale néerlandaise à l'obstruction opposée aux administrations fiscales des autres pays européens, notamment le nôtre ; exacerbation organisée des violences entre taxis et chauffeurs de VTC pour produire des images chocs ; obstruction sophistiquée à l'égard de l'administration, de la police et de la justice avec le logiciel Greyball et la technique du kill switch ; soutien à Uber apporté par la commissaire européenne à la concurrence, alors qu'elle savait qu'elle serait embauchée à la fin de son mandat, en violation des règles déontologiques auxquelles nous sommes tous attachés ; enfin, pressions de l'ambassadrice américaine sur les ministres français. Ces méthodes mêlent intimidation politique, juridique et physique, passage en force et tromperie. Nous devons faire la lumière sur ce qui s'est passé afin d'imaginer des mécanismes juridiques permettant d'empêcher que cela se reproduise.
Le modèle promu par Uber est l'autre problème, comme l'a souligné Raphaël Schellenberger. L'ubérisation signifie l'abandon de la plupart des droits sociaux – les congés payés, les arrêts maladie ou encore la retraite – mais aussi l'absence de toute participation à la solidarité nationale. Si ce modèle s'étendait aux travailleurs d'autres secteurs, cela irait à rebours de toute l'histoire de la construction des droits sociaux.
Nous soutiendrons la création de cette commission d'enquête, sous réserve de la question de son irrecevabilité et des corrections qui pourraient être apportées à ce sujet.