Les chiffres sont connus : plus de 12 millions de personnes sont en précarité énergétique aujourd'hui en France. Elles ont froid dans leur logement, faute de pouvoir se payer un chauffage décent. Près de 20 % de la population peine à boucler les fins de mois et peinera encore davantage demain, car l'inflation grimpe, ainsi que les prix de l'électricité et du gaz, qui devraient augmenter de 15 % en 2023. La plupart de ces personnes, assommées par leurs factures, vivent précisément dans les 7 millions de passoires thermiques que compte notre pays.
Ces passoires thermiques nous empêchent également de tenir nos engagements climatiques. Alors que se déroule la COP27, où sont discutées notre responsabilité dans les dérèglements planétaires du climat et leurs conséquences sur des dizaines de millions de personnes, rappelons que le chauffage des logements représente près de 10 % de nos émissions de gaz à effet de serre (GES).
Ces passoires sont des gouffres en matière de consommation d'énergie, alors même que l'Europe et la France ont des difficultés croissantes de production et d'approvisionnement en électricité et en gaz. La rénovation globale des logements permet donc de relever le défi climatique et d'assurer la souveraineté énergétique. Elle est aussi un formidable gisement d'emplois qualifiés et non délocalisables – jusqu'à 250 000 emplois d'ici à 2030 – et un gisement d'innovation pour nos TPE et nos PME.
Le Président de la République a pris un engagement censé relever le défi : 700 000 logements rénovés chaque année grâce au renforcement de MaPrimeRénov', l'aide financière accordée aux propriétaires engageant des travaux de rénovation de leur logement. En réalité, à peine 2 500 logements ont été sortis du statut de passoire thermique grâce à MaPrimeRénov'. Qui le dit ? La Cour des comptes. À ce rythme, il faudra deux millénaires pour faire disparaître les 7 millions de passoires thermiques que compte notre pays !
Le Gouvernement évoquera les 700 000 primes versées pour rénover les 700 000 logements. Mais il ne s'agit, la plupart du temps, que de monogestes, tels qu'un changement de porte ou de chaudière, n'offrant pas ou trop peu de gains énergétiques. M. Antoine Armand, membre du groupe Renaissance, le démontre dans un excellent rapport d'information : MaPrimeRénov' incite au monogeste, ce qui, d'après l'association négaWatt comme d'après la Cour des comptes, n'est ni efficace ni rentable.
C'est une politique du chiffre au détriment d'une politique qualitative et efficace. Complexité considérable des aides et des offres, déficit d'information et d'accompagnement des propriétaires, absence d'incitation financière suffisante des ménages, notamment des ménages modestes : MaPrimeRénov'n'incite pas à entreprendre des travaux de rénovation globale. Le dispositif est trop peu financé et trop mal ficelé.
D'après nos auditions, les travaux de rénovation globale coûtent de 30 000 à 80 000 euros pour les logements dont le diagnostic de performance énergétique (DPE) est F ou G et qui sont qualifiés de passoires thermiques. D'après le rapport de M. Antoine Armand, qui confirme les chiffres de la Fondation Abbé Pierre, MaPrimeRénov' laisse aux ménages modestes et très modestes un reste à charge allant de 40 % à 60 % du coût de la rénovation globale, soit plusieurs dizaines de milliers d'euros. Dans ces conditions, il n'y a aucune chance que les ménages modestes se lancent dans un tel chantier.
Pour élaborer cette proposition de loi, je me suis appuyée sur plusieurs travaux parlementaires de grande qualité, ainsi que sur la mobilisation et l'expertise considérables des associations et des acteurs de la solidarité. Tous s'accordent à dire que le rythme de la rénovation globale des logements doit être accéléré. Surtout, il faut réduire le reste à charge des propriétaires les plus modestes. Il faut même, d'après une étude publiée par l'Institut de l'économie pour le climat (I4CE), le ramener à zéro, si l'on veut réellement que les rénovations globales soient viables, avec un temps de retour sur investissement brut inférieur à dix ans. La présente proposition de loi vise donc à garantir un reste à charge zéro pour les ménages modestes et très modestes qui entreprennent une rénovation thermique globale de leur logement.
Le Gouvernement répondra que la filière n'est pas prête à assumer une telle croissance de la demande. Or les acteurs du bâtiment que nous avons auditionnés contredisent clairement cet argument. Ils affirment précisément qu'ils peuvent assumer une telle croissance d'offre en employant bien davantage, sous réserve d'une visibilité sur la demande à venir et d'un soutien stratégique de cette dernière par les pouvoirs publics, sur plusieurs années.
Le Gouvernement répondra encore que cela va coûter trop cher à l'État, oubliant tout ce que cette mesure rapportera. La croissance de la production et des emplois augmentera en effet les rentrées fiscales issues des entreprises et la TVA. L'État versera moins d'allocations-chômage et la sécurité sociale dépensera moins, car une bonne rénovation thermique, c'est une amélioration de la santé des habitants.
Par ailleurs, des milliards seront économisés grâce à la diminution des importations de gaz et à celle des émissions de GES, qui est bonne pour la santé publique et pour notre bilan carbone. À cet égard, les 12 milliards d'euros supplémentaires pour la rénovation thermique des logements, que nous avions votés dans le cadre du projet de loi de finances pour 2023, étaient parfaitement rentables à long terme.
La proposition de loi vise également à interdire réellement la location de passoires thermiques, comme le préconise la Convention citoyenne pour le climat. La loi « Climat et résilience » se borne en effet à classer successivement, à terme, les logements dont le DPE est G, F et E en logements indécents, ce qui permet au locataire de déposer un recours de mise en conformité. Mais nombre d'entre eux y renoncent tant la peur de l'éviction est dissuasive et la procédure longue.
Les associations et les groupements de locataires craignent d'autres effets du droit en vigueur, notamment la constitution d'un « marché gris » de la location de passoires thermiques et le retrait de milliers de logements du marché formel, alors même que plus d'un million de personnes sont déjà privées d'un logement personnel, d'après la Fondation Abbé Pierre. Nous proposons donc d'assurer le maintien des contrats de location et, le cas échéant, le relogement des locataires.
Par ailleurs, nous proposerons par voie d'amendement que les mêmes règles s'appliquent aux locations saisonnières et temporaires, pour éviter que les logements frappés d'interdiction ne soient exploités par des plateformes comme Airbnb, ce qui est le cas à l'heure actuelle.
Bien entendu, la perspective d'un chantier national de cette envergure soulève de nombreux défis, qui excèdent largement le cadre de la présente proposition de loi. La création et le financement de formations adéquates, le développement de matériaux sains abordables, l'amélioration des systèmes de certification et de contrôle : tout cela exige une forte volonté politique, qui nous semble absolument nécessaire face aux urgences écologiques et sociales.
Pour conclure, je rends hommage aux acteurs de la solidarité et aux associations qui se mobilisent de plus en plus pour la rénovation énergétique des logements. Qu'ils sachent que la NUPES continuera à mener ce combat !