Nous ne saurions entamer l'examen de ce texte législatif sans nous extraire brièvement du présent pour regarder notre passé.
Jusqu'en janvier 1975 – c'était hier –, l'avortement constituait un délit, sanctionné par cinq ans de prison. Les médecins qui le pratiquaient pouvaient être condamnés à une interdiction d'exercer ; les femmes concernées étaient contraintes de se rendre à l'étranger ou de recourir à des avortements clandestins.
La reconnaissance de l'IVG a été le fruit d'un long combat. Chacun se souvient du Manifeste des 343 et de l'acquittement de la jeune Marie-Claire, ainsi que des débats, d'une rare violence, au Parlement, où Simone Veil, soutenue par Jacques Chirac, a défendu son texte avec acharnement, en dépit des attaques personnelles. Comme elle l'a si justement souligné le 26 novembre 1974 devant l'Assemblée nationale, « aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l'avortement. […] C'est toujours un drame et cela restera toujours un drame ». Son combat était celui de toutes les femmes. Il est devenu celui de notre société.
Depuis le moment fondateur qu'a été l'adoption de la loi du 17 janvier 1975, la liberté d'interrompre sa grossesse a été continuellement confortée. Par sept fois, le législateur l'a renforcée, notamment en supprimant la nécessité d'être dans une situation de détresse, en allongeant le délai légal de recours à l'avortement, en prévoyant le remboursement de l'IVG à 100 % par la sécurité sociale et en ouvrant la voie, en 2001, à la transformation de sa dépénalisation en un véritable droit de la femme. Le droit à l'IVG fait désormais partie intégrante de notre patrimoine juridique fondamental, ce dont nous nous félicitons.
Avant d'en venir au fond du texte que nous examinons, je tiens à dire qu'il est regrettable d'instrumentaliser ce sujet dans les « guéguerres » politiques opposant la majorité non majoritaire aux groupes d'opposition d'extrême gauche, à coups de textes examinés dans le cadre des niches parlementaires, alors même que le présent texte ne peut matériellement et constitutionnellement être adopté, dès lors qu'il a été rejeté par le Sénat le mois dernier. Le droit à l'IVG est revenu au cœur de l'actualité en raison d'une décision prise outre-Atlantique, où le système juridique n'a rien à voir avec celui de la France. L'affichage politique a la vie dure.
Sur le fond, sa constitutionnalisation emporte certes une symbolique forte, mais il n'en fait pas moins l'objet, en France, d'une protection constitutionnelle solide, car il figure dans notre droit depuis 1975, et durable – le Conseil constitutionnel l'a toujours jugé conforme à la Constitution, se prononçant en sa faveur en 1975, 2001, 2014 et 2016.
Par ailleurs, je demeure convaincue, comme l'était Simone Veil en 2008, que la Constitution ne doit être modifiée que d'une main tremblante, et pas forcément pour y inscrire, écrivait-elle dans son rapport, « des dispositions de portée purement symbolique », dès lors que le Conseil constitutionnel, en 2001, a fait de l'IVG une composante de la liberté personnelle de la femme, protégée par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Notre groupe propose donc un amendement pour clarifier cette proposition de loi écrite à la hâte. Il a pour objectif d'éviter de multiples contentieux sur les délais d'IVG. La formulation qui figure dans la proposition de loi constitutionnelle laisse à penser que l'IVG serait admise jusqu'à la fin du terme, alors qu'elle est actuellement autorisée jusqu'à la quatorzième semaine de grossesse. Par souci d'équilibre, nous proposons donc de constitutionnaliser comme principes fondamentaux le droit de la femme de demander l'IVG et le respect de tout être humain dès le commencement de la vie. C'est un amendement de bon sens pour donner à ce texte un peu de solidité juridique.
La question centrale demeure celle de l'effectivité du droit à l'IVG et de l'accès à la contraception. Pour cela, il faut des mesures concrètes, comme la lutte contre les déserts médicaux, la valorisation des actes médicaux des personnels soignants pratiquant l'IVG, l'augmentation des moyens du Planning familial et une campagne de prévention et d'information pour faire connaître les moyens de contraception à chaque femme. Ces mesures relèvent du domaine réglementaire et, pour ce qui concerne les moyens financiers, du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) – pour lequel l'usage de l'article 49 alinéa 3 de la Constitution nous prive de débat.