Voici une réforme à laquelle nous avons beaucoup réfléchi au cours de la précédente législature.
Dès 2017, Mme Béatrice Piron a rendu un avis budgétaire dans lequel elle soulignait déjà le risque d'un essoufflement du rendement de la contribution à l'audiovisuel public. De fait, en 2020, le nombre de foyers s'acquittant de cet impôt a, pour la première fois, reculé.
Dès lors que la taxe d'habitation était appelée à disparaître en 2023, la réforme de la contribution à l'audiovisuel public était devenue indispensable puisque son recouvrement était adossé à celui de la taxe d'habitation. Le maintien de la CAP aurait rendu son coût de recouvrement exorbitant.
La CAP, qui existe depuis l'origine de la radiodiffusion publique, a progressivement perdu de sa pertinence. Elle s'est déconnectée des usages, du fait de l'émergence des smartphones, tablettes, ordinateurs portables, mais aussi des capacités contributives de nos concitoyens.
Les conditions dans lesquelles s'en acquittent 23 millions de foyers fiscaux sont parfois très inéquitables. À revenus égaux, les redevables paieront ou non la CAP, en fonction de leur âge ou de la date de leur entrée dans le dispositif. Certains la paieront alors qu'ils ne regardent ni n'écoutent les contenus produits par l'audiovisuel public ; d'autres en sont de grands consommateurs mais ne s'en acquittent pas car ils ne possèdent pas de téléviseur. On a connu des impôts plus justes !
Les raisons ne manquent donc pas de vouloir supprimer cette imposition, notamment pour rendre du pouvoir d'achat à 23 millions de Français.
Cependant, je comprends les inquiétudes des dirigeants de l'audiovisuel public quant à leur indépendance à l'égard du pouvoir politique. Nous devons proposer un dispositif qui offre un niveau de protection égal ou supérieur à celui qui existe. C'est à l'aune du dispositif actuel que nous devons évaluer celui qui nous est soumis.
Certains mythes entourent la CAP et le mécanisme budgétaire par lequel elle est affectée à France Télévisions, Radio France, France Médias Monde, ARTE, l'Institut nationale de l'audiovisuel (INA) et TV5 Monde.
On entend qu'une taxe affectée produirait des recettes pérennes et prévisibles. Ce fut vrai pendant longtemps mais le rendement de la CAP tend à s'éroder, ce qui a conduit le Gouvernement, presque systématiquement depuis 2016, à actionner le mécanisme de garantie des ressources, c'est-à-dire à compenser par le budget de l'État le niveau de la dotation. Oui, depuis de nombreuses années, la dotation des sociétés de l'audiovisuel public est budgétisée à hauteur de 400 à 700 millions d'euros. Il est donc faux d'affirmer que la taxe affectée offre une ressource garantie à l'audiovisuel public. C'est bien le Parlement qui vote la loi de finances et décide chaque année du montant de la redevance et des crédits qui seront attribués, en conformité avec le principe d'annualité budgétaire qui ne permet pas d'engager l'État au-delà de l'année.
Ce qui offre de la prévisibilité, ce sont les contrats d'objectifs et de moyens (COM). Certes, faute de valeur contraignante, ils n'ont pas toujours été respectés, sauf depuis 2018. Au cours des dix dernières années, l'écart cumulé sur les COM a dépassé le milliard d'euros mais, depuis 2018, les trajectoires négociées avec l'audiovisuel public ont été respectées. Qui plus est, l'État est intervenu auprès des sociétés pour leur permettre de surmonter les conséquences financières de la crise sanitaire. La parole de l'État a pu souffrir des pratiques précédentes mais l'État a su réaffirmer son soutien en respectant, dans la période récente, la trajectoire pluriannuelle fixée.
On entend souvent qu'un compte de concours financier empêcherait toute régulation budgétaire. Sans entrer dans le détail, ce n'est pas exact. Rien n'empêcherait Bercy de faire de la régulation, notamment sur les 15 % qui viennent du budget général et qui compensent les exonérations et dégrèvements de CAP. La pratique ne s'est pas imposée mais, d'un point de vue technique, c'est possible.
La suppression de la CAP a du sens parce que l'impôt est injuste et daté. La budgétisation est aussi la voie la plus rationnelle pour les finances publiques, car elle permet de réallouer à d'autres missions les moyens humains – 2 000 personnes – affectés au recouvrement et au contrôle de la CAP. Il n'aurait pas été possible de conserver la CAP en l'état du fait de la suppression de la taxe d'habitation : le coût de sa gestion aurait été sans rapport avec son rendement.
La budgétisation est la voie la plus directe si l'on considère que l'audiovisuel public est un bien commun que chacun doit soutenir selon ses moyens. Son intégration dans le budget, au même titre que la justice ou l'éducation, serait une consécration. Parce qu'il répond à des missions essentielles, l'audiovisuel public doit être pleinement considéré.
Cela ne signifie pas que nous devons nous abstenir de prévoir toutes les garanties nécessaires au respect de l'indépendance des sociétés de l'audiovisuel public, dont la garantie des ressources est l'une des composantes, selon le Conseil constitutionnel.
Le versement unique du financement public en début d'année, comme le prévoit le texte, est une mesure de protection importante, équivalente à celle prévue par le compte de concours financier, qui fonctionnait par le versement d'avances, en ce qu'elle rend très difficile toute régulation budgétaire par la suite. L'intégralité de ce qui aura été voté en loi de finances sera versée aux sociétés de l'audiovisuel public.
De même, la mission et les programmes budgétaires sont conservés. Il n'y aura donc aucun risque de transfert financier vers d'autres missions ministérielles. Le Parlement disposera d'autant d'informations qu'aujourd'hui, compte tenu de la répartition des crédits par programme. Ceux-ci feront l'objet de projets et de rapports annuels de performance. Les effets fiscaux de la réforme seront aussi compensés.
Les COM seront renforcés par l'inscription des trajectoires financières des organismes de l'audiovisuel public au sein de la loi de programmation des finances publiques. Le dispositif me semble donc, à court terme, suffisamment protecteur.
Je souhaite que nous débattions, à moyen terme, des missions et des objectifs du service public audiovisuel ainsi que de l'organisation qui permettra de répondre au mieux à ses missions, en respectant la participation de chaque Français, selon ses moyens, à cet investissement essentiel pour l'information, la création et la culture.
Faut-il une entreprise unique, une société-mère qui pourrait financer des projets communs ou, dans un premier temps, des lignes budgétaires clairement identifiées dans le projet de loi de finances ? L'installation de groupements d'intérêt économique est une autre piste, déjà engagée pour le chantier de la mutualisation entre France Télévisions et Radio France. Il faut un pilote dans l'avion.
Je propose que nous en discutions au moment de rendre notre avis sur les prochains COM mais surtout dans le cadre d'une loi d'orientation et de programmation propre à l'audiovisuel public, qui ferait le lien entre les missions que nous assignons à l'audiovisuel public et les ressources que nous lui allouons, et qui permettrait d'orienter les investissements sur des missions prioritaires et d'harmoniser les différentes échéances, qu'il s'agisse des mandats des présidents ou des COM eux-mêmes.
Pourquoi ne pas en profiter pour réformer la loi organique relative aux lois de finances afin d'y détailler les éléments qui garantissent les ressources de l'audiovisuel public, ce que le Conseil constitutionnel considère comme essentiel ?
Pour l'heure, ce texte tire les conséquences des attentes de nos concitoyens qui s'inquiètent de la baisse de leur pouvoir d'achat. Il y avait urgence à agir. Adoptons ce texte et prenons le temps, dès après, de la réflexion pour décider ensemble de l'avenir de l'audiovisuel public.