Pour prolonger la réflexion sur le fameux continuum de sécurité, j'ajoute qu'il y a, me semble-t-il, méprise sur le terme, lequel est d'ailleurs problématique, car il tend à estomper les limites entre les prérogatives des uns et des autres. Nous sommes favorables à la coordination et même à la coopération – à condition qu'elle s'inscrive dans un cadre prédéfini par écrit –, mais pas au continuum, qui contribue à brouiller les pistes.
Les missions attribuées progressivement à la police municipale, tendance que vous avez tenté de conforter dans le cadre de la loi du 25 mai 2021 pour une sécurité globale préservant les libertés, participent de cette confusion, tout comme le fait que de plus en plus de missions soient dévolues au secteur de la sécurité privée. Les membres de la Fédération française de la sécurité privée (FFSP) avec lesquels je me suis entretenu m'ont d'ailleurs fait part de leur désaccord avec l'une des dispositions de la loi « sécurité globale », qui les rend compétents en matière de lutte contre le terrorisme : ils estiment que ce n'est pas à eux, mais à la police nationale et à la gendarmerie d'intervenir en cas d'attaque terroriste, car ils ne sont nullement formés pour le faire. Il est donc clair que ce brouillage permet, peu à peu, de décharger la police et la gendarmerie de certaines de leurs activités en les confiant, comme si de rien n'était, à des entreprises de sécurité privée : la notion de continuum permet de rendre ce transfert acceptable, puisque, après tout, nous serions tous dans le même bateau.
Dans le même temps, cette stratégie permet au marché de la sécurité privée de faire florès, alors même qu'il se porte déjà très bien. Le secteur a bien connu quelques difficultés pendant le covid, sa composante humaine – les agents de sécurité privée – ayant dû être placée en chômage partiel, mais il a continué à prospérer grâce à sa composante technique, c'est-à-dire le matériel, dont les ventes n'ont pas baissé. Cette tendance devrait d'ailleurs perdurer, puisque vous comptez encourager l'installation de caméras, l'utilisation de drones, etc. Vous entretenez donc ce marché, là où il faudrait au contraire que les choses soient bien séparées, sinon cloisonnées. Chacun doit conserver ses prérogatives : la coordination, oui, mais le continuum, non.