Publié le 6 octobre 2023 par : M. Juvin, M. Bony, M. Hetzel, M. Kamardine, M. Brigand, M. Seitlinger, M. Taite, M. Bourgeaux, Mme Frédérique Meunier, Mme Corneloup, M. Viry, M. Neuder, Mme Valentin, M. Bazin.
I. Le titre V du livre III du code de la sécurité sociale est complété par un chapitre 8 ainsi rédigé :
« Chapitre 8
« Fonds public d’épargne retraite souverain collectif obligatoire
« Art. L. 358‑1. – I. – Il est institué un régime destiné à permettre l’acquisition de droits à retraite pour les personnes mentionnées aux articles L. 311‑2 et L. 311‑3. Ce régime, par points et provisionné, est assis sur les revenus d’activité tels qu’ils sont pris en compte pour la détermination de l’assiette définie à l’article L. 136‑1‑1.
« II. – Les cotisations, dont le taux global, fixé par décret en Conseil d’État, ne peut dépasser 2 % de la rémunération, sont réparties à parts égales entre les employeurs et les salariés.
« III. – Ne peut liquider ses droits acquis à ce régime que l’assuré qui a atteint l’âge mentionné au premier alinéa de l’article L. 351‑1 et qui a fait valoir l’intégralité des droits en matière d’avantage de vieillesse auxquels il peut prétendre auprès des régimes légaux ou rendus légalement obligatoires, de base et complémentaires, français et étrangers, ainsi qu’auprès des régimes des organisations internationales.
« Les droits acquis auprès du régime peuvent se cumuler avec les droits acquis auprès du régime général et des régimes de retraite complémentaire mentionnés à l’article L. 921‑1.
« IV. – La retraite mise en paiement par le régime prévu au I est servie en rente. Toutefois, pour les bénéficiaires ayant acquis un nombre de points inférieur à un seuil déterminé par décret en Conseil d’État, elle est servie en capital.
« Par dérogation aux I et II de l’article L. 136‑8, cette retraite est assujettie à la contribution sociale au taux de 6,6 % prévue au III bis du même article L. 136‑8.
« V. – Ce régime est géré par un établissement public à caractère administratif, placé sous la tutelle de l’État, dénommé « fonds public d’épargne retraite souverain collectif obligatoire » et composé par une fédération d’institutions de retraite complémentaire prévue à l’article L. 922‑4 désignée par décret en Conseil d’État.
« Cet établissement est doté d’un règlement intérieur qui fixe les conditions d’utilisation des ressources du régime, les modalités de placement de celles‑ci et garantit leur utilisation aux seules fins de bonifier le capital en vue de son versement aux assurés. Toute autre utilisation du fonds est interdite.
« VI. – Les modalités d’application du présent article sont fixées par décret en Conseil d’État.
« Art. L. 358‑2. – Les règles prudentielles auxquelles est soumis le fonds sont déterminées par arrêté conjoint des ministres chargés de l’économie, du budget et de la sécurité sociale.
« Art. L. 358‑3. – Deux commissaires aux comptes sont désignés pour six exercices par le conseil d’administration.
« Ils certifient les comptes annuels avant qu’ils soient soumis au conseil d’administration et qu’ils soient publiés.
« Les dispositions des articles L. 822‑9 à L. 822‑18, L. 823‑6, L. 823‑7, L. 823‑12 à L. 823‑17 du code de commerce sont applicables aux commissaires aux comptes désignés pour le fonds. »
« Art. L. 358‑4 – Le fonds est soumis au contrôle de la Cour des comptes, de l’inspection générale des affaires sociales et de l’inspection générale des finances.
« Les rapports des corps d’inspection et de contrôle et les rapports particuliers de la Cour des comptes relatifs au fonds sont transmis au conseil de surveillance.
« Le conseil de surveillance peut également entendre tout membre du corps d’inspection et de contrôle ayant effectué une mission sur la gestion du fonds. »
II. Le présent article entre en vigueur à compter du 1er janvier 2024.
III. La charge pour l’État et les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
Le système de retraite en vigueur en France repose depuis l’après‑guerre sur le principe, issu du compromis, de répartition et de solidarité entre les générations. Ce dispositif de répartition constitue le socle de notre système de retraite et suppose, par nature, que les actifs versent des cotisations qui financent les pensions, elles‑mêmes versées par les organismes sociaux aux retraités.
Ce système ne peut toutefois fonctionner qu’à la condition que l’équilibre entre la charge qui repose sur les actifs et l’objectif d’assurer aux retraités un revenu digne et proportionné au travail qu’ils ont accompli pendant leur vie professionnelle soit maintenu. Mais la vigueur du système s’est appuyée, au moment des Trente Glorieuses, sur une croissance et une population rajeunie qui ont permis l’élévation du niveau de vie des retraités.
Les réformes qui ont suivi en 1993, en 2003, en 2010 et en 2014, portées par des majorités de droite comme de gauche, étaient toutes destinées à préserver ce système par répartition.
Alors que le Conseil d’orientation des retraites (COR) a mené une journée destinée à faire un panorama des attentes des Français quant à leur système de retraite, il en ressort clairement une forme d’inquiétude. Ainsi, en 2019, plus de huit Français sur dix se disent préoccupés par l’avenir du système de retraite. Ces inquiétudes se cristallisent notamment sur l’anticipation du niveau de vie futur à la retraite, les actifs étant majoritairement convaincus que leur niveau de vie sera moins bon à la retraite que pendant leur durée d’activité (60 % des hommes actifs et 70 % des femmes actives, en 2019).
Le rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR) a en effet montré que le système actuel conduit à une inéluctable érosion des pensions. Alors même que le COR sous‑estime le déficit en ignorant les subventions d’équilibre versées par l’État et les collectivités territoriales pour financer les retraites de leurs agents, il écrit sans ambiguïté que la situation financière se détériorera de 2022 à 2032 (et, dans certains scénarios, jusqu’en… 2070) avec un déficit de ‑0,5 % à ‑0,8 % du PIB.
Le système par répartition était ainsi viable en 1960, quand on comptait 4 actifs pour 1 retraité. Mais, en 2022, avec 1,4 cotisant pour 1 retraité dans le privé et 0,9 cotisant pour 1 retraité dans le public, il faudrait taxer les salaires à 28 % dans le privé et à 89 % dans le public pour atteindre l’équilibre.
Quelles sont donc les solutions ? Reculer l’âge de la retraite d’abord. Pourquoi pas, mais cela ne fera que repousser les échéances. Tant que le vieillissement de la population s’accentuera, nous sommes condamnés à devoir régulièrement reculer le départ à la retraite, à perpétuité. D’autres proposent que l’État compense : avec une dette de 129 % du PIB, cela n’arrivera évidemment pas.
Notre système de retraites par répartition se retrouve donc dans une impasse.
Dès lors, la réforme examinée par le Parlement au début de l’année 2023 répondait au seul enjeu de l’allongement de la durée de vie. Cela va dans la bonne direction mais se révèle totalement insuffisant considérant l’ampleur du coût et des risques inhérents à la baisse de la natalité.
La répartition engendre déjà un grand nombre de problèmes en termes de compétitivité et de pouvoir d’achat. En effet, le poids inédit des cotisations retraite (28 % du brut pour les salariés) explique en partie pourquoi, en dépit des réformes, la France reste en retrait de 7 % pour les salaires nets de prélèvements et de 35 % pour la rentabilité des entreprises.
C’est sans compter la détérioration du taux de rendement interne (TRI) du système de retraite. Cet indicateur – mettant en perspective les prestations reçues tout au long de la retraite au regard des cotisations versées durant la vie active, est passé de 9 % pour la génération née en 1920 à 2,5 % pour celle de 1950. Selon les projections du COR, pour la génération 1960, le TRI sera au mieux de 2 % pour un non‑cadre et de 1,5 % pour un cadre, et va encore baisser avec la réforme de 2023. Nous sommes bien en‑deçà des rendements offerts par les marchés, ce qui milite pour l’ajout d’un étage en capitalisation collective afin d’épauler la répartition.
Les Français peuvent certes déjà compléter leur future retraite par des mécanismes d’épargne. Mais ceux‑ci sont individuels (par exemple l’assurance‑vie), donc réservés à ceux qui peuvent cotiser, et coûtent cher en frais de gestion (à titre d’exemple, la gestion du Fonds de réserve pour les retraites est de l’ordre de 0,15 % là où les frais d’assurance‑vie s’élèvent de 1 % à 3 %). Seul le caractère collectif et obligatoire permettra à tous d’en bénéficier.
Dans les pays où ils existent, ces fonds ont une double utilité. Ils complètent les retraites par répartition et ils investissent à long terme les sommes collectées dans l’économie. Ils créent de la richesse pour le pays, ce que ne peut faire un système par répartition pur, qui dépense immédiatement l’argent ponctionné. Les actifs collectés représentent en moyenne 64 % de la valeur du PIB dans les pays de l’OCDE dotés de ces fonds. En Norvège, le fonds de pension souverain pèse 280 % du PIB… Dans le passé, c’est grâce à de tels capitaux longs que le rail et les canaux de la révolution industrielle, et, plus récemment, l’industrie numérique américaine, ont pu se développer.
C’est pourquoi, il est urgent d’introduire – sur le modèle du fonds de pension des fonctionnaires (RAFP) – une capitalisation collective. Cette épargne collective épaulera la répartition et donnera accès à tous les salariés de France aux rendements des marchés financiers, ce qui permettra de généraliser le partage des profits par le haut. Tel est par exemple aussi le modèle des pharmaciens qui ont introduit en 2009 une capitalisation collective qui finance aujourd’hui 50 % de leurs retraites. Pareil pour le Sénat et la Banque de France, qui, protégés par leur indépendance, ont développé leurs capitalisations collectives depuis plus d’un siècle.
Créé par la réforme des retraites de 2003, le régime de retraite additionnel de la fonction publique ERAFP est un régime obligatoire par point, opérationnel depuis le 1er janvier 2005. Il couvre aujourd’hui 4,5 millions d’agents cotisants qui disposent chacun d’un compte individuel retraite dans lequel sont retracés les points acquis par les agents. L’employeur déclare chaque année les cotisations de ses agents (le taux de cotisation étant réparti à parts égales entre l’agent, 5 %, et l’employeur, 5 %) calculées sur leurs rémunérations accessoires dans la limite de 20 % du traitement indiciaire brut. Le régime lui‑même est géré par un établissement public, l’ERAFP (Établissement de retraite additionnelle de la fonction publique), dont le Conseil d’administration fixe les orientations générales en matière de politique de placement.
C’est sur cet exemple que le présent amendement propose que chaque salarié du privé bénéficie d’un compte personnel, alimenté tous les mois par des cotisations patronales et salariales, de même proportion du salaire brut. Sur le modèle du RAFP, la proposition de loi fixe un principe de cotisations réparties à parts égales entre l’employeur et les salariés. Le taux de cette cotisation, qui s’ajoutera aux cotisations actuellement prélevées pour le financement de la protection sociale (sécurité sociale et chômage) sera fixé par voie réglementaire mais ne pourrait excéder 2 %. Afin de respecter une forme de parallélisme avec les cotisations finançant actuellement les régimes obligatoires de base, l’assiette sur laquelle il est proposé de faire porter les cotisations est étendue aux revenus de remplacement et non aux seuls revenus d’activité. Parallèlement à l’instauration de ce taux de capitalisation collective, les prestations de retraite versées par le fonds d’épargne public souverain collectif obligatoire feront l’objet de prélèvements sociaux dérogatoires par l’application d’un taux de contribution sociale généralisée (CSG) à hauteur de 6,6 %.
Pendant de la Retraite additionnelle de la fonction publique (RAFP), ce régime public d’épargne retraite souverain collectif obligatoire, sera administré par le « fonds d’épargne public souverain collectif obligatoire » et géré de façon paritaire, avec les partenaires sociaux.
Comme pour le RAFP, les cotisations seront placées afin de les bonifier, aux seules et uniques fins d’être versées aux bénéficiaires – le FRR a échoué dans ses objectifs initiaux par la volonté des gouvernements successifs qui ont largement prélevé celui‑ci à des fins d’expédients budgétaires. Cette disposition vise à protéger l’argent des Français contre l’État.
Au moment du départ en retraite, le retraité bénéficiera d’une rente garantie à vie par l’État, en complément de la rente versée par répartition qu’elle ne vient pas remplacer. Cette rente sera représentée par le fruit du placement de ses versements bonifiés.
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