Publié le 4 mai 2023 par : M. Lainé, Mme Poueyto, M. Cubertafon, Mme Lingemann, M. Blanchet, Mme Thillaye, M. Bru.
Après l’article 6 decies de l’ordonnance n° 58‑1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, il est inséré un article ainsi rédigé :
« I. – Il est constitué une délégation parlementaire au nucléaire civil commune à l’Assemblée nationale et au Sénat. Elle est composée de cinq députés et de cinq sénateurs.
« II. – Les présidents des commissions permanentes de l’Assemblée nationale et du Sénat chargées respectivement de l’énergie et de l’environnement, ainsi que le président et le premier vice-président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques sont membres de droit de la délégation parlementaire au nucléaire civil. La fonction de président de la délégation est assurée alternativement, pour un an, par un député et un sénateur, membres de droit.
« Les autres membres de la délégation sont désignés par le président de chaque assemblée de manière à assurer une représentation pluraliste. Les députés qui ne sont pas membres de droit sont désignés au début de chaque législature et pour la durée de celle-ci. Les sénateurs sont désignés après chaque renouvellement partiel du Sénat.
« III. – Sans préjudice des compétences des commissions permanentes, la délégation parlementaire au nucléaire civil a pour mission de suivre l’organisation et le déroulement des activités nucléaires civiles sur le territoire national, sur le plan de la sûreté et de la sécurité. Ses compétences s’étendent aux organismes et aux entreprises publics ou privés, français ou étrangers, propriétaires ou gestionnaires d’au moins une installation nucléaire de base, en activité ou en démantèlement, ainsi qu’à ceux utilisant des sources ou des matières radioactives ou chargés d’effectuer l’entreposage, le stockage, la surveillance ou le transport de ces matières.
« La délégation peut solliciter de la part du Premier ministre des informations et des éléments d’appréciation relatifs à la sûreté et à la sécurité des installations nucléaires et des transports de matières radioactives. Elle peut procéder à des contrôles sur place et sur pièces.
« La délégation peut entendre le Premier ministre, les membres du Gouvernement, le secrétaire général à la défense et à la sécurité nationale, les responsables de l’Autorité de sûreté nucléaire et de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire ainsi que les responsables d’organismes ou d’entreprises en lien avec les activités mentionnées au premier alinéa du présent III qu’elle juge utile d’interroger.
« La délégation peut saisir pour avis l’Autorité de sûreté nucléaire et de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire.
« IV. – Les membres de la délégation sont autorisés ès qualités à connaître des informations ou des éléments d’appréciation définis au III et protégés au titre de l’article 413‑9 du code pénal.
« Les agents des assemblées parlementaires désignés pour assister les membres de la délégation doivent être habilités, dans les conditions définies pour l’application de l’article 413‑9 du code pénal, à connaître des mêmes informations et éléments d’appréciation.
« V. – Les travaux de la délégation parlementaire au nucléaire civil sont couverts par le secret de la défense nationale.
« Les membres de la délégation et les agents des assemblées mentionnés au IV sont astreints au respect du secret de la défense nationale pour les faits, actes ou renseignements dont ils ont pu avoir connaissance en ces qualités.
« VI. – Chaque année, la délégation établit un rapport public dressant le bilan de son activité, qui ne peut faire état d’aucune information ni d’aucun élément d’appréciation protégés par le secret de la défense nationale ou relevant du secret industriel.
« Dans le cadre de ses travaux, la délégation peut adresser des recommandations et des observations au Président de la République et au Premier ministre. Elle les transmet au président de chaque assemblée.
« VII. – La délégation parlementaire au nucléaire civil établit son règlement intérieur. Celui-ci est soumis à l’approbation du bureau de chaque assemblée.
« Les dépenses afférentes au fonctionnement de la délégation sont financées et exécutées comme dépenses des assemblées parlementaires dans les conditions fixées par l’article 7. »
Cet amendement a pour objet la création d’une délégation parlementaire au nucléaire civil.
L’esprit de cet amendement émane des préconisations de la commission d’enquête sur la sécurité et la sûreté des installations nucléaires présidée par M. Paul CHRISTOPHE et rapportée par Mme Barbara POMPILI et rendu le 28 juin 2018. En effet, objet majeur de la quatrième partie du rapport sur le contrôle démocratique, elle préconise de créer, sur le modèle de la délégation parlementaire au renseignement, une délégation parlementaire au nucléaire civil dont les membres (quatre députés et quatre sénateurs) auraient accès ès qualités aux informations classifiées en matière de sécurité et de sûreté.
Cette préconisation, à la suite de laquelle une proposition de loi transpartisane a été rédigée (N°2335, tendant à la création d’une délégation parlementaire au nucléaire civil) est une réponse aux difficultés de la commission d’enquête à mener à bien ses travaux au regard de l’impossibilité d’accès aux données classifiées et ne dépendant en outre d’aucune prérogative de la délégation parlementaire au renseignement. Alors que le nucléaire civil est une composante majeure de la souveraineté énergétique et plus loin stratégique de notre pays – dont, outre son rôle dans la guerre hybride, les liens avec le nucléaire militaire sont avérés et réinscrits tant dans la Revue Nationale Stratégique que le présent projet de loi – autant comme source critique d’énergie dans notre mix énergétique, objet d’expertise et d’influence stratégique française, que comme cible potentielle d’attentats ou de pays hostiles partiellement couverte par la Défense Opérationnelle du Territoire, le contrôle parlementaire renforcé de cet enjeu stratégique apparait un enjeu central de cette loi de programmation militaire.
Ainsi que présenté dans le rapport de la commission d’enquête, l’ensemble des membres de cette dernière a par ailleurs noté le soutien de M. Dominique MINIERE, directeur du parc nucléaire et thermique d’EDF, qui a déclaré au cours de son audition, le 15 mars 2018, « nous souhaitons que soit mise en place une formation ad hoc de parlementaires habilités à accéder aux informations relevant du confidentiel défense, avec lesquels nous pourrions aller beaucoup plus loin concernant les mesures de sécurité prises sur nos sites. Nous pourrions alors vous transmettre un certain nombre de données que nous ne pouvons pas présenter dans une instance publique. ». De même, ainsi que rapportée par Mme Claire LANDAIS, secrétaire générale de la défense et de la sécurité nationale au cours de ces mêmes auditions « Je comprends parfaitement qu’il vous soit difficile de conduire des investigations alors que l’un des pans de votre champ d’enquête vous est largement inaccessible ; le problème n’est pas nouveau. […] il y a sans doute des marges de progression, mais l’habilitation des parlementaires ne peut passer que par la loi. »
Dans le détail, reprenant la lettre de l’exposé des motifs de la proposition de loi citée, la création d’une délégation parlementaire au nucléaire civil suppose une modification de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires. Les prérogatives de cette instance pourraient être définies sur le modèle de celles de la délégation parlementaire au renseignement (article 6 nonies de l’ordonnance précitée), notamment s’agissant du fonctionnement et du format.
Les présidents des commissions permanentes chargées de l’énergie et du développement durable en seraient membres de droit, ainsi que le président et le premier vice-président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, les autres membres étant désignés de manière à assurer une représentation pluraliste. Sans qu’il soit nécessaire de l’inscrire dans la loi de manière explicite, une place serait réservée dans chaque chambre à un membre d’un groupe d’opposition.
Ses membres seraient habilités ès qualités au secret de la défense nationale pour le secteur qui les intéresse, à savoir le nucléaire civil.
La délégation pourrait notamment entendre le Premier ministre, les ministres compétents ainsi que leurs administrations, le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, les dirigeants des organismes et sociétés ayant la responsabilité d’installations nucléaires. L’ASN et l’IRSN lui fourniraient toutes informations et études nécessaires à l’accomplissement de sa mission. Elle aurait la faculté de procéder à des contrôles sur place et sur pièces sans que l’on puisse lui opposer le secret de la défense nationale.
La délégation serait ainsi tenue informée des principaux évènements en relation avec les installations nucléaires civiles, en particulier des informations concernant :
– la directive nationale de sécurité (DNS) pour ce qui concerne les informations relatives au nucléaire civil ;
– les dispositifs de sûreté/sécurité passive et active ;
– les tests et exercices conduits dans ce domaine ;
– les incidents, accidents et alertes recensés par les services de l’État et par les autorités indépendantes ;
– les plans de sécurité d’opérateur (PSO), les plans particuliers de protection (PPP) et les plans de protection externe (PPE) ;
– les choix du gouvernement en matière de politique énergétique ;
– les choix industriels et la situation économique et financière des opérateurs du nucléaire civil ;
– les conditions de travail dans le secteur du nucléaire.
Elle pourrait rendre des avis sur les questions dont elle se serait saisie, le cas échéant avec l’appui de l’ASN et de l’IRSN. Elle disposerait également du pouvoir de saisir directement l’ASN et l’IRSN et pourrait présenter, lorsqu’elle le juge utile, un rapport public sur les installations nucléaires civiles en France.
Associant ainsi sa pensée à celle de Mme Yaël BRAUN-PIVET, alors membre de droit de la DPR en sa qualité de présidente de la commission des lois de l’Assemblée nationale – déclarant que la création de la DPR représentait « une belle victoire parlementaire », cet amendement appuie ainsi le développement des moyens de contrôle parlementaire dont la démocratie française doit se doter ; appuyés sur un accès raisonnable et raisonné aux données protégées dont le Parlement est aujourd’hui exclu.
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