Commission d'enquête sur la lutte contre l'orpaillage illégal en guyane

Réunion du mercredi 26 mai 2021 à 17h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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COMMISSION D'ENQUÊTE SUR LA LUTTE CONTRE L'ORPAILLAGE ILLÉGAL EN GUYANE

Mercredi 26 mai 2021

La séance est ouverte à dix-sept heures cinq.

(Présidence de M. Gérard Menuel, vice-président de la commission d'enquête)

La commission d'enquête sur la lutte contre l'orpaillage illégal en Guyane procède à l'audition de Mme Michèle Rousseau, Présidente directeur général du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), accompagnée de M. Jean-Marc Mompelat, Directeur des Actions Territoriales au BRGM, et de Mme Isabelle Duhamel-Achin, Responsable de l'unité « Géologie et Economie des Ressources Minérales » du BRGM.

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S'agissant d'une commission d'enquête, il me revient, conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, de vous demander de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(Mme Michèle Rousseau, M. Jean-Marc Mompelat et Mme Isabelle Duhamel-Achin prêtent successivement serment.)

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En préambule, je rappelle que le BRGM est au cœur de la problématique de l'orpaillage en Guyane, puisque c'est à travers lui que sont délivrés les droits légaux dans ce domaine, et qu'il détient la vérité topographique sur les lieux d'orpaillage de l'ensemble du département.

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Michèle Rousseau, présidente directeur général du BRGM

Le BRGM est un établissement public industriel et commercial (EPIC) créé en 1959. Service géologique national et établissement français de référence dans les sciences de la Terre, il est placé sous la tutelle du ministère de la recherche, du ministère de l'écologie et du ministère de l'industrie, de l'économie et des finances. Il compte approximativement mille salariés, dont 700 ingénieurs et chercheurs.

Son budget se monte à environ 130 millions d'euros, dont une trentaine est exclusivement consacrée à la gestion, pour l'État, des mines fermées sur le territoire métropolitain ; il convient en effet d'assurer la sécurité de ces sites, mais également de veiller à ce qu'ils ne génèrent pas de pollution. Sur les cent autres millions, 53 sont imputées aux charges de service public, et le reste du budget est fonction de contrats divers et variés.

Le BRGM est implanté dans toutes les régions, mais aussi dans les DROM, dont la Guyane où son effectif est de dix personnes, ce qui correspond au dimensionnement habituel des directions régionales. Outre ces dernières, le Bureau comporte également quatre implantations dédiées à l'après-mine, et cette double implantation géographique est à souligner.

Ses activités se répartissent pour l'essentiel entre la recherche et l'appui aux politiques publiques, pour respectivement 46 et 45 millions d'euros, et vous constaterez donc que, lorsqu'il n'assure ni l'après-mine ni un service aux industriels, le BRGM est tourné à parts égales vers l'expertise et vers la recherche. Pour ce faire, il est financé en proportions identiques par les contrats et conventions d'une part, et par les subventions pour charges de service public d'autre part, tandis que l'après-mine est intégralement financé par le ministère de l'écologie.

Les six domaines d'intervention du BRGM sont les risques et l'aménagement du territoire, les données, services et infrastructures numériques, la géologie et la connaissance du sous-sol, qui constituent le cœur historique de la structure, la gestion des eaux souterraines, les ressources minérales et l'économie circulaire, et enfin la transition énergétique et l'espace souterrain, ce qui inclue la géothermie. Les ressources minérales et de l'économie circulaire représentent 8,5 millions d'euros du chiffre d'affaires du Bureau, l'essentiel des recettes provenant de l'après mine, des risques naturels et des impacts miniers et industriels sur le sol, mais aussi de la gestion des eaux souterraines, très importantes et potentiellement nécessaires aux exploitations minières.

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Jean-Marc Mompelat, directeur des actions territoriales au BRGM

En matière de ressources minérales, une large part de notre activité porte sur l'appui à la gouvernance, que ce soit en matière d'intelligence minérale à travers l'analyse de l'économie des marchés mondiaux pour le compte des ministères et en lien avec le Comité national des métaux stratégiques (COMES), ou en matière de gestion, de valorisation et de diffusion des données, par exemple via le portail Minéralinfo.

Nous intervenons par ailleurs en amont des projets miniers, sur des problématiques de cartographie et d'inventaire, de compréhension des gisements et de techniques d'explorations, mais également sur les projets en eux-mêmes, par le biais d'actions de conception et de gestion de bases de données, de modélisation 3D et d'estimation des ressources, d'audit, de R&D relative aux procédés de traitement, de suivi environnemental et de promotion des bonnes pratiques. Enfin, ainsi qu'évoqué par Mme Rousseau, nous assurons également le volet après-mine.

S'agissant plus spécifiquement de la Guyane, premièrement nous développons la connaissance et la compréhension géologique du territoire et de ses ressources, y compris minérales. Deuxièmement, nous remplissons une mission de conseil et d'expertise auprès des services de l'État à travers des interventions ponctuelles, notamment en situation de crise ou d'urgence, ou à travers un appui au long cours aux politiques publiques. Troisièmement, nous contribuons à l'amélioration des pratiques en diffusant guides et solutions techniques innovantes, et en facilitant la traçabilité. Quatrièmement, nous assurons le suivi de l'environnement et l'analyse des impacts des activités sur les milieux naturels. Cinquièmement, notre statut d'EPIC nous permet de répondre aux demandes particulières des exploitants miniers, et, en Guyane, nous intervenons plus particulièrement auprès de leurs instances collectives.

À titre d'exemple, je détaillerai quelques-uns des projets remarquables mis en œuvre par le BRGM, en commençant par la traçabilité de l'or. Ce projet, conduit entre 2014 et 2017, et financé par l'Union européenne et le WWF puis sur fonds propres jusqu'en 2019, avait pour finalité la caractérisation morphoscopique et chimique des grains d'or. Il nous a rapidement permis, sur la base de critères microscopiques, chimiques et minéralogiques, d'établir des distinctions entre les différents types de gisements, primaires, éluvionnaires et alluvionnaires, et nous sommes également capables de distinguer l'or extrait illégalement, car les grains d'or attaqués par le mercure, aujourd'hui interdit, présentent une signature spécifique. Ces travaux nous autorisent de plus à discriminer les lieux d'extraction géographiques selon les différents districts miniers connus, sachant que nous n'avons toutefois testé qu'un nombre limité de sites à ce stade.

Ces résultats ouvrent des perspectives, comme un déploiement opérationnel qui permettra d'établir le label propre à chaque gisement/district et lieu d'extraction, c'est-à-dire sa « carte d'identité », et ce à des fins de traçabilité, ou encore le développement d'un outil portable appelé le LIBS, dont la fonction est de détecter l'usage du mercure sur des échantillons de matière.

Le deuxième exemple de projet remarquable est le suivi de la turbidité des eaux par télédétection, qui consiste à mesurer la quantité de matières en suspension dans les rivières, ce qui inclut les boues relâchées par l'activité et l'extraction minière. Dans cette optique, nous avons développé une méthodologie reposant sur le calibrage d'images satellite, ce qui procure aux services de l'État qui l'utilise une vision indirecte de l'activité minière.

Les troisième et quatrième exemples sont l'aide chimique à la décantation par coagulation, dont l'objet est de clarifier les eaux de rejet, et la cartographie des teneurs en mercure dans les sédiments des grands fleuves et leur faune. Ce second chantier a été financé par l'État, l'Union européenne, la Région, et mené en collaboration avec le CNRS et l'Université de Bordeaux ; il a permis de mesurer les taux de mercure et donc le danger pour les populations, apportant ainsi aux autorités les éléments nécessaires à une politique de réduction des risques.

Pour conclure, le BRGM se positionne aujourd'hui sur plusieurs domaines d'intervention. Ainsi, en matière de restauration des milieux dégradés, nous souhaitons poursuivre l'acquisition de connaissances sur la stabilisation et le devenir du mercure naturel, et contribuer à un éventuel programme de réhabilitation des sites exploités clandestinement.

En matière de lutte contre l'exploitation clandestine, nous entendons poursuivre nos travaux sur la traçabilité, réaliser des audits de sécurité à la demande du Préfet sur les sites d'orpaillage clandestins, et accompagner les pouvoirs publics dans la stratégie d'occupation des sites d'exploitation illégaux par des légaux, en intégrant leur potentiel aurifère et des objectifs de réhabilitation.

En matière d'exploitation responsable légale, nous projetons d'améliorer les connaissances sur les ressources potentielles de la Guyane, tant géologiques qu'hydriques, d'apporter notre appui à la filière aurifère, d'assurer une veille sur les techniques de la petite mine qui représente aujourd'hui l'essentiel de l'exploitation, d'éclairer les décisions publiques sur des sujets à enjeux, et enfin de proposer des évolutions techniques adaptées au territoire, et plus avantageuses sur le plan économique et environnemental. Cela comprend de possibles alternatives à la cyanuration ou la prospection par drone, moins invasive.

Enfin, à l'image de l'organisme qui existe en Nouvelle-Calédonie pour le nickel, nous prévoyons de participer à l'émergence d'un Centre National de Recherche Technologique (CNRT) dédié à la question de l'or en Guyane. Cette instance pluridisciplinaire et intégrant les acteurs de la société civile, les professionnels et les institutions publiques, permettrait d'analyser collectivement les problématiques pour mieux les prioriser et conduire des actions de recherche.

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Michèle Rousseau, présidente directeur général du BRGM

Cette présentation devrait vous permettre de mieux comprendre le BRGM d'aujourd'hui, et sa position dans le paysage français.

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Vous avez évoqué l'immense tâche dévolue à votre établissement en Guyane, avec seulement une dizaine de personnes pour couvrir un territoire grand comme le Portugal. Les faibles moyens qui vous sont affectés limitent-ils votre action en termes de projets territoriaux ?

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Michèle Rousseau, présidente directeur général du BRGM

Il est important de savoir que, si les régionales du Bureau sont de taille modeste, elles peuvent compter sur l'appui des 750 personnes présentes à Orléans lorsqu'elles obtiennent un contrat, un projet de recherche ou une demande d'expertise.

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J'imagine toutefois qu'un certain nombre d'observations ne peut être réalisé à distance, et qu'il est nécessaire d'être sur place pour dresser un diagnostic, évaluer certaines évolutions, les impacts sur les eaux, les flux de mercure, etc.

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Michèle Rousseau, présidente directeur général du BRGM

Nous disposons de méthodes satellitaires nous permettant de cartographier les sites illégaux, mais il est vrai que nous n'avons personne à dépêcher dans la forêt amazonienne pour faire des repérages. Si nous recevions des commandes, nous serions contraints de faire appel à des entreprises locales qui s'y rendraient pour notre compte.

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Quels constats faites-vous à propos de l'orpaillage, légal ou illégal, des volumes de prélèvement qu'il représente, de ses impacts environnementaux ? L'évolution vous semble-t-elle positive, ou bien, au contraire, la situation se dégrade-t-elle, en particulier vis-à-vis du mercure et de ses conséquences environnementales ?

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Michèle Rousseau, présidente directeur général du BRGM

Je précise que personne n'a demandé au BRGM de recenser les sites illégaux, et que cette mission ne figure pas dans notre périmètre de recherche. Les statistiques publiées par l'État en dénombrent environ 340, et mon sentiment est que, en termes de personnes employées, il existe dix fois plus de chantiers illégaux que légaux.

Concernant la pollution au mercure, aucun message d'amélioration ne m'est parvenu. Peut-être Jean-Marc Mompelat ou Isabelle Duhamel-Achin ont-ils davantage d'informations à ce sujet. Toutefois, étant donné que le mercure ne disparaît pas une fois qu'il a été rejeté dans le milieu naturel et que sa résorption est donc impossible, la question est davantage de savoir si le rythme d'accroissement de la contamination ralentit ou se maintient.

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Isabelle Duhamel-Achin, responsable de l'unité « Géologie et Economie des Ressources Minérales » au BRGM

L'étude la plus récente conduite par le BRGM sur le mercure date de 2007. Dans l'environnement, ce produit peut être d'origine anthropique, consécutivement à l'activité minière, ou naturelle, le mercure étant présent dans les sols latéritiques anciens comme ceux de Guyane. Le problème, c'est qu'il se concentre dans les sédiments et que, s'il est relargué dans les cours d'eau par l'activité humaine, il s'accumule alors, non pas dans l'eau où sa concentration demeure faible, mais dans les organismes vivants et donc dans la chaîne alimentaire. Or, comme il ne s'élimine pas naturellement, il continue au contraire à s'accumuler. La gestion des aménagements sur les cours d'eau prend donc toute son importance.

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Michèle Rousseau, présidente directeur général du BRGM

Toutefois, le BRGM ne possède aucune donnée sur l'accroissement de rejet de mercure.

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Isabelle Duhamel-Achin, responsable de l'unité « Géologie et Economie des Ressources Minérales » au BRGM

Non, nous n'effectuons aucun suivi de la question. Les contrôles sont du ressort de l'observatoire de l'activité minière de la préfecture.

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Jean-Marc Mompelat, directeur des actions territoriales au BRGM

Nous apportons un appui méthodologique à cet organisme, et il ressort de ses travaux que le nombre de sites illégaux est resté à peu près stable, à un niveau relativement élevé, au cours des trois ou quatre dernières années. L'impact sur l'environnement reste donc très fort en Guyane, puisqu'un tiers de ces chantiers se situe dans le parc amazonien.

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Isabelle Duhamel-Achin, responsable de l'unité « Géologie et Economie des Ressources Minérales » au BRGM

En outre, l'utilisation du mercure était légale jusqu'en 2006, et ce depuis 1850, d'où son accumulation.

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Vous êtes également chargés de l'instruction des demandes d'orpaillage légal. Quelle est l'évolution des demandes depuis quelques années ? Où en êtes-vous aujourd'hui ? Quels sont les freins ou les difficultés pénalisant la délivrance d'autorisations ?

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Michèle Rousseau, présidente directeur général du BRGM

Nous n'avons aucun rôle réglementaire. Nous venons simplement en appui de l'État ou des collectivités locales. Si ces acteurs souhaitent étudier un projet minier, ils peuvent solliciter notre avis, mais le BRGM ne délivre aucun titre minier, de quelque nature que ce soit.

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Je présume néanmoins que vous êtes consultés en amont sur chaque demande.

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Michèle Rousseau, présidente directeur général du BRGM

Je ne le pense pas.

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Isabelle Duhamel-Achin, responsable de l'unité « Géologie et Economie des Ressources Minérales » au BRGM

Si l'État nous commissionne ponctuellement pour émettre un avis, remplir une mission de conseil ou conduire une expertise, notre tâche principale reste de gérer les bases de données géologiques pour son compte.

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Michèle Rousseau, présidente directeur général du BRGM

Sur combien de demandes de délivrance de titre minier avons-nous été questionnés au cours des deux ou trois dernières années ?

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Jean-Marc Mompelat, directeur des actions territoriales au BRGM

Je ne peux pas citer le chiffre précis, mais il est très faible.

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Isabelle Duhamel-Achin, responsable de l'unité « Géologie et Economie des Ressources Minérales » au BRGM

Il y a deux ans, nous avons été sollicités pour le projet Montagne d'Or.

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Jean-Marc Mompelat, directeur des actions territoriales au BRGM

En réalité, notre intervention est plutôt indirecte. Nous appuyons l'État pour recenser les zones de favorabilité, susceptibles de faire l'objet d'une exploitation. Il revient ensuite aux porteurs de projets de s'inscrire dans le cadre réglementaire existant.

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Michèle Rousseau, présidente directeur général du BRGM

Nous avons cartographié les zones possiblement aurifères, en vue d'une exploitation légale de l'or en Guyane, et remis les cartes ainsi tracées aux pouvoirs publics qui en avaient fait la commande. En effet, alors que, d'ordinaire, les cartes conçues par le BRGM sont immédiatement publiées, nous avons cette fois considéré que, compte tenu de leur nature, et pour éviter qu'elles soient utilisées par des exploitants clandestins, il était préférable qu'elles demeurent confidentielles et ne soient pas rendues publiques avant dix ou trente ans.

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Un problème informatique m'ayant empêché d'entendre une grande partie de ce qui a déjà été dit, je tâcherai d'être prudent dans la question que je m'apprête à poser aux personnels du BRGM présents aujourd'hui

Durant tous les entretiens et les auditions relatifs à l'orpaillage en Guyane, les réponses entendues ont porté sur les problèmes qualitatifs et quantitatifs, mais il est une question à laquelle je reste particulièrement attaché, et qui reste entière, à savoir celle de la doctrine. L'objectif assigné à la lutte contre l'orpaillage illégal est-il d'éradiquer le phénomène, ou bien de le contenir à un niveau que, pour ma part, je considère trop élevé ? En effet, certains estiment que cette lutte sans fin sera difficile à remporter compte tenu du cours actuel de l'or. À cet égard, l'expertise du BRGM pourrait-elle être mise à contribution pour accompagner le changement de doctrine que j'appelle de mes vœux ?

J'attire votre attention sur le fait que, dans le classement mondial de l'Unesco, la Guyane est le deuxième territoire pour la quantité d'eau douce renouvelable et disponible par habitant. Qu'est-ce qui m'amène à faire ainsi le lien entre cette ressource et la lutte contre l'orpaillage illégal, qui pollue en raison du déversement d'un fort tonnage de mercure dans les eaux de ruissellement ? Le fait est que nous ne pouvons plus continuer à raisonner uniquement à l'échelle du département, et qu'il faut maintenant réfléchir à l'échelle planétaire. Or, lorsque l'on constate que, chaque année, 80 à 100 millions de personnes sont obligées de migrer, de quitter leurs terres de vie pour aller s'installer ailleurs, notamment parce qu'elles n'ont plus d'accès à l'eau, est-il possible d'imaginer que, dans les décennies à venir, la Guyane joue un rôle beaucoup plus important au niveau mondial, compte tenu de son excellente position dans le bassin amazonien, qui fait d'elle une zone très arrosée ?

Je peux vous assurer que, en ce moment, il pleut énormément chez nous, ce qui occasionne des dégâts sur les voies de circulation, sur les champs, sur les habitations ; nous pouvons du reste imaginer que ces pluies torrentielles sont une des conséquences sur le territoire guyanais du réchauffement climatique. Le département pourrait donc peut-être se positionner en tant que terre d'eau, capable d'apporter son soutien à des pays où le stress hydrique est de plus en plus important. Or, cela ne sera évidemment possible qu'à partir du moment où le département ne serait pas estampillé « terre polluée », que ce soit par le mercure ou par le cyanure, déjà utilisé sur certains sites d'orpaillage légal.

Je me demande dans quelle mesure l'expertise du BRGM pourrait nous aider à construire ce nouveau concept, qui pousserait les gouvernements et le Parlement à prendre davantage conscience de la nécessité de préserver cette ressource en eau douce dont bénéficie la Guyane et qui est susceptible de faire d'elle une future terre d'excellence. Une telle orientation nécessiterait en revanche une lutte accrue, exacerbée, contre le déversement de mercure dans nos eaux, par les orpailleurs illégaux.

Si je fais ainsi le grand écart entre deux domaines d'activité qui ne semblent pas interconnectés, c'est que je recherche les voies et moyens pour, à partir de la question de l'eau, remonter jusqu'à celle de l'orpaillage illégal et de la pollution au mercure, afin que, sur la base de cette analyse et de cette démonstration, nous disposions des éléments, des armes nous permettant d'être beaucoup plus convaincants vis-à-vis du gouvernement et de nos collègues députés et sénateurs.

L'objectif est d'obtenir un changement de paradigme et de doctrine en matière de lutte contre l'orpaillage illégal, de ne plus nous contenter de le contenir à son niveau actuel, mais au contraire de mettre sur pied une lutte organisée selon des stratégies repensées, et visant l'éradication définitive de ce fléau qui pèse lourdement sur le territoire de la Guyane.

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Michèle Rousseau, présidente directeur général du BRGM

Ainsi que je l'expliquais en début de séance, le BRGM est un établissement de recherche et d'expertise regroupant environ un millier de personnes, basée à Orléans, et sous tutelle principale du ministère de la recherche. Il ne possède aucun rôle réglementaire, de police ou administratif, et, en Guyane, ne compte qu'une dizaine de collaborateurs pour couvrir un territoire extrêmement vaste.

Quel pourrait être notre rôle dans la lutte contre l'orpaillage clandestin ? Si cela nous est demandé, nos techniques de traçabilité nous autorisent à déterminer si un échantillon d'or provient de mines légales ou de sites illégaux, et même de repérer approximativement sa zone géographique de provenance. Nous savons également repérer les zones d'exploitation, légale ou illégale, par satellite.

Nous avons été contactés par le ministère de l'économie, afin de déterminer quel serait l'équilibre économique approprié pour les petites mines artisanales qui viendraient potentiellement investir les sites illégaux évacués par la police, et, si nous recevons les moyens adéquats, nous chercherons des modèles de rentabilité parmi les situations qui existent dans ce domaine à travers le monde. Nous pourrions également étudier des méthodes de dépollution de sols, et leur coût, avec l'idée de restaurer les sites où s'implanteraient ces nouveaux orpailleurs légaux. Il convient cependant de garder à l'esprit que, une fois rejeté dans le milieu naturel, le mercure se stocke et ne disparaît pas, contrairement au cyanure qui, lui, se désagrège naturellement. C'est la différence fondamentale entre les deux produits.

En s'appuyant notamment sur un équivalent guyanais du CNRT néocalédonien, le BRGM pourrait donc contribuer à la recherche de solutions, soit par le biais de ses chercheurs installés en Guyane, soit par le biais de ses chercheurs relais d'Orléans.

Pour finir, je rappelle que, en tant que service géologique national, nous n'avons pas compétence en matière d'eaux superficielles, mais que, a contrario, nous sommes fondés à rechercher des ressources en eaux souterraines. En Guyane, nous pouvons certainement trouver de l'eau de qualité correcte dans les nappes phréatiques.

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Cette réponse ne me satisfait pas tout à fait, car, à la lecture de certains articles évoquant le potentiel en eau douce, superficielle ou souterraine, du département, j'étais persuadé que le BRGM avait déjà réalisé des recherches sur les réserves souterraines de la Guyane, qui seraient de surcroît d'un volume considérable. Encore une fois, serait-il possible que la parole d'expert du Bureau soit entendue par un certain nombre de décideurs ?

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Michèle Rousseau, présidente directeur général du BRGM

Je vous confirme que nous avons déjà réalisé des études sur les eaux souterraines en Guyane. Cependant, le territoire étant très vaste, je ne pense pas que nous ayons une connaissance exhaustive de toutes les réserves du territoire.

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Jean-Marc Mompelat, directeur des actions territoriales au BRGM

Nous intervenons fréquemment en appui aux communes, afin de leur apporter des solutions complémentaires d'alimentation en eau potable au profit des sites isolés. Cet important domaine d'intervention est une spécificité guyanaise, qui impose au Bureau de progresser dans sa connaissance des nappes, et plus spécialement des structures de socle, c'est-à-dire des structures profondes où se trouvent potentiellement une eau de meilleure qualité, épargnée par la pollution de surface. C'est un enjeu bien identifié aujourd'hui, et qui fait actuellement l'objet d'un projet de thèse.

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Isabelle Duhamel-Achin, responsable de l'unité « Géologie et Economie des Ressources Minérales » au BRGM

Nous développons également des techniques pour la recherche ciblée de ces ressources en eau profonde potable, notamment par la géophysique aéroportée.

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Je comprends de vos propos que, depuis son arrivée sur le territoire guyanais, le BRGM n'a pas eu l'opportunité de conduire sur l'eau douce des études aussi poussées que sur les ressources minières, or, bauxite, colombo-tantalite, diamant, etc. J'entends également qu'il existe encore une importante marge de progression en la matière, et que vous avez besoin de moyens humains et technologiques pour dresser une cartographie exploitable lors des projets que nous pourrions élaborer pour la Guyane.

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Isabelle Duhamel-Achin, responsable de l'unité « Géologie et Economie des Ressources Minérales » au BRGM

Dans le cadre des programmes de recherche et des appels d'offres auxquels nous répondons, il nous est arrivé d'émettre des propositions pour poursuivre ou initier des opérations d'exploration ciblée, sur les ressources en général.

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Michèle Rousseau, présidente directeur général du BRGM

Pour autant, nous pensons que notre connaissance des réserves d'eau souterraine de Guyane reste très incomplète, et que d'importants travaux peuvent encore être menés. Quant à savoir si le Bureau a reçu davantage de fonds pour étudier les ressources du sous-sol que les ressources en eau, je ne le pense pas, bien au contraire, du moins pour la période la plus récente.

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Jean-Marc Mompelat, directeur des actions territoriales au BRGM

Depuis plusieurs années, nous sommes liés à la Communauté d'agglomération du Centre littoral (CACL) de l'île de Cayenne par une convention sur l'eau, qui, outre ses aspects qualitatifs, porte également sur la continuité de l'approvisionnement en eau potable. Aujourd'hui, notre positionnement consiste essentiellement à répondre à ces enjeux d'alimentation en eau potable, et, dans ce cadre, nous constatons dans nos connaissances un certain nombre de lacunes qui occasionnent des surcoûts pour les communes. Par conséquent, si nous voulons optimiser les moyens financiers déployés par les collectivités locales pour accéder à l'eau de consommation, nous sommes appelés à développer notre savoir en la matière.

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Michèle Rousseau, présidente directeur général du BRGM

Je pense toutefois pouvoir affirmer que nous travaillons davantage sur les eaux profondes que sur les ressources géologiques.

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Jean-Marc Mompelat, directeur des actions territoriales au BRGM

C'est absolument exact.

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Michèle Rousseau, présidente directeur général du BRGM

Si nous nous référons au support de présentation, notre activité relative aux eaux souterraines équivaut à deux fois et demie celle des ressources minérales.

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La problématique soulevée par monsieur Serville est bien réelle, et la commission émettra certainement des propositions pour développer la connaissance des eaux profondes dans un territoire aussi vaste que le Guyane, où l'expertise n'a jamais été menée de façon détaillée.

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Michèle Rousseau, présidente directeur général du BRGM

Les techniques aéroportées permettent aujourd'hui une reconnaissance à grande échelle afin de détecter les zones abritant de l'eau souterraine.

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Isabelle Duhamel-Achin, responsable de l'unité « Géologie et Economie des Ressources Minérales » au BRGM

Les technologies ont beaucoup évolué depuis les premiers inventaires et programmes d'exploration. Ainsi, la méthodologie de géophysique aéroportée autorise des cartographies beaucoup plus précises et beaucoup plus fines des sols et des sous-sols, sans impact sur l'environnement.

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Il ne vous aura pas échappé que, lors de l'examen sur la loi Climat, il y a quelques semaines, la question de la connaissance qualitative et quantitative des eaux profondes a été soulevée. Elle se pose en effet en Guyane de façon criante, mais aussi sur l'ensemble du territoire national.

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Je prendrai prochainement attache avec les personnels du BRGM pour aborder avec eux, de manière plus large qu'à travers le seul prisme de l'orpaillage illégal, la question des eaux souterraines. C'est un sujet qui m'interpelle et auquel je prête un vif intérêt, car cette ressource est appelée à devenir un enjeu majeur ; les grands économistes de la planète prétendent même qu'elle sera le nouveau pétrole dans les décennies à venir.

Il me semble donc nécessaire d'anticiper de quelle manière le territoire guyanais pourrait se positionner sur ce segment, à l'échelle nationale et internationale. Il y a encore beaucoup à faire, beaucoup à dire et de nombreuses recherches à mener, mais, pour moi qui rêve de hisser la Guyane au rang de carrefour modèle d'excellence, il apparaît indispensable de mobiliser des moyens pour anticiper dès maintenant les orientations que prendra demain le monde, au lieu d'encore une fois les suivre avec beaucoup de retard.

Dans cette perspective, discuter avec le BRGM me permettra de progresser très humblement sur la connaissance de ce domaine, et, in fine, d'avoir des arguments à faire valoir auprès des uns et des autres. Je vous en remercie d'avance.

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Jean-Marc Mompelat, directeur des actions territoriales au BRGM

Vous pouvez solliciter notre équipe de Guyane ou bien nous rencontrer à Paris. Avec l'accord de notre présidente directeur général, je vous invite également à Orléans lors d'un de vos prochains passages en Métropole. Vous pourrez y rencontrer tous les experts de la question au BRGM, sachant qu'une direction y est entièrement consacrée à l'eau et aux enjeux issus du changement climatique.

La réunion se termine à dix-sept heures cinquante-cinq.