Commission d'enquête sur les maladies et pathologies professionnelles dans l'industrie risques chimiques, psychosociaux ou physiques et les moyens à déployer pour leur élimination

Réunion du jeudi 7 juin 2018 à 14h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • CHSCT
  • accident
  • gens
  • instance
  • maladie
  • prévention
Répartition par groupes du travail de cette réunion de commission

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La réunion

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L'audition débute à 14 heures 10.

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Mes chers collègues, la commission d'enquête reçoit pour une table ronde les représentants des organisations syndicales représentatives : M. Jean-François Naton, pour la CGT ; M. Francis Berrocal, pour Force ouvrière (FO) ; M. Jean François Hild, pour la CFE-CGC. La CFDT et la CFTC, que nous avions également conviées, n'ont pu répondre favorablement à notre invitation.

Messieurs, en tant que représentants des salariés, vous êtes directement concernés par la prévention et la réparation des maladies professionnelles. Dans ce cadre, vous participez dans les entreprises à la sécurité et à la prévention des maladies professionnelles, actuellement dans le cadre des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), qui deviendront demain les comités sociaux et économiques (CSE) et les commissions santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT). Vous êtes également impliqués dans la gestion paritaire de la branche « accidents du travail et maladies professionnelles » (AT-MP) du régime général de la sécurité sociale.

Les éclairages que vous pourrez fournir à notre commission seront donc précieux.

Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, les personnes entendues déposent sous serment. Je vous demande donc de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, de lever la main droite et dire : « Je le jure ».

MM. Jean-François Naton, Jean François Hild et Francis Berrocal prêtent serment.

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Je vous remercie et je vous donne maintenant la parole, si vous le souhaitez, pour un court exposé de quelques minutes, qui se poursuivra par un échange de questions et de réponses.

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Jean-François Naton, conseiller confédéral de la CGT, en charge du travail, de la santé et de la protection sociale

Je veux tout d'abord saluer l'initiative de la création de cette commission d'enquête, qui était attendue et vient opportunément compléter les travaux de la mission – inattendue celle-là – sur la santé au travail et la prévention des risques professionnels, pour laquelle le Premier ministre a notamment désigné Mme la députée Charlotte Lecocq, présente parmi vous, et dont le rapport sera remis aux ministres chargées de la santé et du travail. Elles marquent toutes deux une prise de conscience de ce qui se joue au travail.

Dans un contexte où le travail redevient l'un des déterminants fondateurs de notre société et de notre démocratie, au moment où est posée une interrogation sur la place du travail et sur celle de l'entreprise en tant qu'un des éléments structurants de notre société, comment l'entreprise peut-elle et doit-elle être un lieu d'épanouissement, de confrontation positive, mais aussi de démocratie, de parole et de « pouvoir d'agir »  ?

Ceci forme un contexte dans lequel ces travaux parlementaires concourent à l'idée pour laquelle nous n'avons eu de cesse de plaider au cours de ces dernières années : l'organisation d'un grand débat national portant sur le travail, les enjeux de santé et l'organisation de ce système. L'histoire du syndicalisme est inscrite dans celle du monde du travail, et c'est à l'essence même du syndicalisme qu'il est fait appel lorsqu'est posée la question de la santé au travail.

Nous ne laissons pas de nous interroger sur des phénomènes qui traversent notre société : les différences d'espérance de vie, l'explosion du nombre des maladies professionnelles – reconnues ou non –, notamment les troubles musculo-squelettiques (TMS), et je sais que vous avez rencontré tous ceux qui font autorité dans ce domaine. Je ne reviendrai donc pas sur les constats, car j'imagine que vous disposez de toutes les statistiques. Il est ensuite toujours possible de débattre à l'infini de ce qui relève vraiment du travail. Même en conduisant une réflexion fondée sur la part d'exposome, une part revient toujours au travail et cette question demeure posée.

Je vous appellerai donc plutôt, vous parlementaires, à oser vraiment les changements qu'il nous faut opérer dans l'organisation même du système. Maintenant que les diagnostics sont là, il faut passer à l'acte, ce qui signifie imprimer le renversement nécessaire vers la prévention.

Notre société est gravement malade d'avoir tout centré sur la réparation, et l'idée qu'il est possible de casser puis de réparer avec un chèque, une indemnité, une pension, cause les difficultés financières que nous connaissons. C'est cette logique que nous devons renverser. J'appelle régulièrement à relire l'exposé des motifs de la loi créant la branche « Accidents du travail et maladies professionnelles » (AT-MP). La réparation est un échec : c'est parce que l'on n'a pas bien travaillé que l'on est obligé de réparer. Il faut tendre vers tout ce qui permet d'éviter l'accident ou la maladie.

J'aime à rappeler que c'est Xavier Bertrand qui, en 2007, lorsqu'il a pris ses fonctions de ministre du travail, a organisé une conférence pour l'amélioration des conditions de travail. Il a été le premier à publier le chiffre de 4 points du produit intérieur brut (PIB), à quoi la CGT ajoute le coût du « mal-travail »,  qui peut constituer un élément du débat. Le défi consiste à prévenir ce qui pourrait être évité plutôt que de le réparer, et vous, parlementaires, disposez du temps nécessaire pour réaliser ce renversement.

La commission des comptes de la sécurité sociale a délibéré hier soir, et le Gouvernement est satisfait parce que les comptes sont presque à l'équilibre, mais nous demandons : à quel prix ? Cet équilibre intègre l'excédent de la branche AT-MP. Le moment n'a jamais été aussi favorable pour utiliser une partie au moins des excédents accumulés au cours des trois dernières années afin de donner à l'ensemble de la communauté des préventeurs les moyens d'agir.

Nous aurions donc les moyens d'opérer les transformations nécessaires du système. À cet égard, je vous renvoie au document dans lequel la CGT formule des propositions pour réorganiser le millefeuille qui concourt à organiser l'inefficacité, et même l'épuisement, de l'ensemble des acteurs, qui n'est pas au rendez-vous des actions nécessaires.

Il y a deux ans, l'organisation syndicale s'est mobilisée dans le cadre des orientations du plan « Santé au travail » (PST). Ce document est très riche, mais encore faudrait-il que nous disposions des moyens de mettre en oeuvre l'ensemble des orientations que les cinq confédérations syndicales et les trois organisations patronales ont validées. Ce document est exceptionnel dans ses intentions et sa volonté, mais s'il reste sur les bureaux des directions de services, il n'aura servi à rien d'autre que faire de la littérature et user du papier.

Aujourd'hui, c'est l'action qui est urgente, et ces deux missions doivent concourir au véritable changement que le monde du travail attend.

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Francis Berrocal, membre du comité national de la fédération Force ouvrière (FO) de la chimie, responsable hygiène et santé

J'ai travaillé pendant vingt ans comme intervenant sur les risques professionnels au sein d'un grand groupe chimique ; j'exerce aujourd'hui au sein de la fédération Force ouvrière (FO) de la chimie. J'ai aussi été porte-parole des cinq organisations confédérales – car si un domaine est fédérateur, c'est bien celui qui porte sur les questions de santé et de sécurité – pour la partie santé et sécurité de l'ensemble de la sous-traitance après l'explosion du complexe chimique AZF, sujet évoqué dans la résolution constitutive de cette commission d'enquête.

Tous les jours, je suis confronté aux risques chimiques, et dans les sites tertiaires, nous avons toujours plus affaire aux risques psychosociaux. Notre fédération est concernée par toutes ces problématiques de prévention, et notre collègue Jean-François Naton a largement mis l'accent sur les efforts que nous devrons fournir à l'avenir dans ce domaine.

Nous sommes aussi très mobilisés contre la création du comité social et économique (CSE) au sein des entreprises, qui emporte une professionnalisation de ses membres et va à l'encontre de ce que nous souhaitions. S'il s'agit, en ce qui concerne le comité d'entreprise et les représentants du personnel, de regrouper leurs attributions et de limiter le nombre de délégués, les CHSCT sont, eux, une instance obligatoire, singulièrement dans les branches fortement soumises aux risques professionnels.

Supprimer le CHSCT ou le remplacer par une instance dont les membres feront aussi autre chose n'est pas acceptable. Jusqu'à présent, l'existence des CHSCT était d'ailleurs défendue par les branches professionnelles, y compris du côté patronal, et cette instance doit être renforcée. Les grands groupes se demandent comment ils pourraient se passer des CHSCT, et envisagent même de créer des délégués supplémentaires. La prévention passe nécessairement par la représentativité des salariés de ces instances au sein des entreprises.

Depuis longtemps, les grands groupes travaillent sur la prévention, à partir d'indicateurs reconnus, émanant notamment de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), même si chacun a tendance à ne retenir que ceux qui les intéressent. Plutôt que de tenter de réinventer la roue, cette commission d'enquête pourrait rechercher, parmi ces indicateurs, lesquels seraient susceptibles de faire la promotion de la prévention au sein des entreprises. Il pourrait s'agir, par exemple, de la fréquence des visites médicales passées dans les entreprises ou du nombre de maladies professionnelles. Il serait intéressant de suivre ces données – ce que font d'ailleurs les grands groupes – et la représentation nationale pourrait généraliser ce type de dispositif.

Par ailleurs, beaucoup d'instances se préoccupent de la sécurité et la santé : la sécurité sociale, les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) ou les directions régionales de l'industrie de la recherche et de l'environnement (DRIRE). On s'y perd un peu, chacun tire la couverture à soi, et il est parfois compliqué, dans le domaine de la prévention, de trouver un interlocuteur.

Je partage le point de vue de Jean-François Naton sur l'utilisation d'une partie de l'excédent de la branche AT-MP au profit de la prévention. Je ne doute pas que la tentation existera d'en disposer pour autre chose, mais toutes les confédérations syndicales n'en ont pas moins le même point de vue à ce sujet.

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Jean-François Hild, animateur sécurité, secrétaire du CHSCT des Grands Bureaux ArcelorMittal Atlantique et Lorraine

Je travaille à ArcelorMittal Florange : je suis animateur sécurité et je partage mon temps pour moitié entre mon activité syndicale et l'animation sécurité.

Je me suis longtemps occupé d'un laminoir et je travaille maintenant dans les bureaux, où je rencontre des problématiques d'accidentologie. Il y a quelques années, j'ai eu affaire à un accident mortel et je vous assure que c'est une chose dramatique pour la famille de la personne et ses amis, mais aussi pour tous les gens du secteur. Car, globalement, le secteur ne fonctionne plus de la même façon une fois que le malheur est passé par là, les gens sont fortement traumatisés, et lorsque nous passons, nous en parlons encore.

Je vis cela tous les jours ; des gens viennent me voir pour me dire que leur père, leur mari, a travaillé dans l'entreprise il y a des années, qu'il est à la retraite depuis quelques années, et qu'il souffre d'un cancer de la plèvre lié à l'amiante qu'il a respiré chez nous, etc.

Nous rencontrons des difficultés pour constituer des dossiers et défendre les victimes auprès des instances officielles ; les choses sont extrêmement compliquées et nous faisons le maximum pour être à la portée des gens. Nous vivons de très près toute la partie technique, tout ce qui concerne le risque chimique et mécanique propre à la métallurgie. Aujourd'hui, dans les bureaux, nous vivons les risques psychosociaux (RPS), les gens qui subissent des pressions largement supérieures à ce qu'ils peuvent supporter, ce qui les conduit parfois à « péter les plombs ». C'est le quotidien.

Nous avons la chance de disposer encore sur le site d'une équipe de médecine du travail particulièrement efficace. Des infirmières sont présentes, et quand quelque chose ne va pas, on a quelqu'un à qui adresser la personne qui se sent mal – et je vous assure que les choses ne sont pas toujours faciles.

Nous sommes confrontés à deux types de problèmes.

La maladie professionnelle, comme l'accident, tend à diminuer quelque peu au vu des statistiques – mais il y a ce qui est reconnu et ce qui ne l'est pas. L'amiante et les TMS ont tendance à baisser légèrement. Nous avons obtenu la reconnaissance de TMS et la mise en place de plans d'action nous a occasionné beaucoup de travail.

De leur côté, les risques psychosociaux ont fait leur apparition et se sont imposés comme un nouvel aspect de la maladie professionnelle. Nous avons affaire à des gens soumis à un maximum de pression, qui vont exploser, mais il y en a aussi d'autres, au sein de grandes entreprises en cours de restructuration, qui sont mis au placard du jour au lendemain dans des directions excentrées à Paris, à Dunkerque ou ailleurs. Lorsque l'on a été un responsable local chargé de diriger une équipe de cinquante personnes, avec d'importantes responsabilités, et que l'on se retrouve à faire trois tableaux Excel à adresser à Dunkerque pour que le collègue puisse faire ses statistiques, on le vit très mal.

Je vis donc les deux aspects du risque : accident et maladie. Je suis encore beaucoup sur le terrain, car je suis toujours formateur, animateur sécurité et secrétaire du CHSCT, je rencontre les dirigeants et les collègues. Nous nous rendons compte que ça ne marche pas très fort et que nous rencontrons aujourd'hui d'énormes problèmes.

Pour rebondir sur ce que disait mon collègue, il est vrai que l'on cherche à réparer, à payer – cela vaut pour les accidents du travail comme pour les maladies professionnelles. Mais on ne réparera jamais le drame une fois qu'il est survenu. Lorsque vous dites à une dame que son mari est décédé et que vous lui donnez 50 000 ou 100 000 euros, qu'est-ce que cela change ? Rien. Le mari ne rentrera pas, les enfants ne verront plus leur père. Lorsqu'on a compris ça, on a une approche tout à fait différente de tout ce qui concerne la santé et la sécurité au travail.

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Je partage votre point de vue sur ce système de réparation, qui est ce qu'il est, mais malheureusement n'est pas suffisant.

Nous entendrons prochainement un collectif créé dans ma circonscription après le décès de deux travailleurs dans une entreprise de sidérurgie. Le cheminement a été très complexe, car il s'agissait de sous-traitance, et, par-delà l'indemnisation, la reconnaissance n'est pas toujours aisée, en tout état de cause cela ne change rien au décès.

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Merci pour votre présence et votre apport aux travaux de cette commission d'enquête.

Vous avez pointé les enjeux qui ont conduit à créer cette commission d'enquête, dont le principal champ d'investigation est celui de l'industrie, même si nous savons que la problématique des maladies professionnelles concerne aussi les autres secteurs.

Dans le secteur industriel, nous avons identifié trois risques majeurs : le risque chimique, le risque physique et les risques psychosociaux. Je souhaiterais connaître votre perception des risques émergents et la façon dont ces domaines sont appréhendés – ou pas – par les entreprises, les organisations syndicales et les salariés.

Nous voulons aussi lutter contre les maladies pouvant être éliminées, car le travail produit des maladies par son organisation et celle des postes de travail eux-mêmes. Cela correspond à la description que vous en avez faite, et à l'accent qu'il convient de mettre sur la prévention. Que faire pour éliminer les maladies évitables ? Les dispositifs adéquats existent-ils ? J'ai bien entendu que le plan « Santé au travail » proposait des solutions, qui pour l'heure nécessitent des moyens de mise en oeuvre. Mais quelles sont les priorités ?

Enfin, quelle appréciation portez-vous sur les tableaux de maladies professionnelles ? Certains parlent d'y ajouter des colonnes. J'imagine que ces sujets font l'objet de discussions entre les partenaires sociaux. Ces tableaux sont-ils suffisants ?

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Jean-François Hild, animateur sécurité, secrétaire du CHSCT des Grands Bureaux ArcelorMittal Atlantique et Lorraine

Les tableaux sont plutôt anciens : celui qui concerne le plomb a plus de 100 ans, le dernier, portant sur les TMS, est un peu plus récent, ce qui montre que les choses évoluent malgré tout. Puisque nous instruisons des dossiers de maladie professionnelle, nous consultons ces tableaux, et lorsque, par chance, le dossier y correspond, cela est très bien pour nous car nous savons alors comment défendre les intéressés.

Lorsqu'un collègue vient vers nous, porteur d'un cancer du rein dû à l'inhalation de trichloroéthylène au sein de son entreprise, la chose est plus complexe, car ce cancer n'est pas inscrit à un tableau. Nous parvenons toutefois à obtenir des reconnaissances spécifiques avec le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP), ce qui repose sur une instruction du dossier encore plus compliquée. Et nous vivons toujours le même drame familial, même s'il est possible de procéder à une ablation, ce qui permet de vivre encore. Certes, la gravité n'est pas la même que pour un cancer de la plèvre, mais ce n'est pour autant bénin.

En revanche, ceux qui sont malades de l'amiante aujourd'hui ont été exposés il y a maintenant 20, 30 ou 40 ans, voire plus. Le dernier cas que j'ai eu à traiter était celui d'un grand-père de 87 ans parti à la retraite à 50 ans, il a profité de 37 ans de retraite - ce qui n'est pas mal - pour décéder d'un cancer de la plèvre. Et il faut que l'entreprise paie, ce qui est compliqué. Lorsque l'entreprise « casse », elle paie, mais lorsque cela est le fait des prédécesseurs des prédécesseurs des prédécesseurs, il est dommage qu'elle ait à payer pour eux.

C'est pourquoi je m'interroge : ne faudrait-il pas payer en commun les pots cassés ? Lorsque l'on ne sait pas quel employeur est en cause, un fonds commun pourrait payer. De fait, les expositions remontent parfois à plus de 40 ans et l'employeur n'est souvent plus le même. Un coefficient amiante pourrait être porté sur un compte employeur et la collectivité paierait, car l'entreprise n'est peut-être pas responsable. Il arrive en effet que nous ne nous souvenions même plus que des gens dont on nous communique les coordonnées ont travaillé chez nous, car il est compliqué de retrouver les traces de ceux qui sont partis en retraite il y a 30 ans. Ce problème est très fréquent.

Les risques psychosociaux sont les grands absents des tableaux de maladies professionnelles, et il faut penser aux deux extrêmes : la surpression, et la sous-pression due à la mise au placard. Or l'issue est également dramatique dans les deux cas.

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Francis Berrocal, membre du comité national de la fédération Force ouvrière (FO) de la chimie, responsable hygiène et santé

La résolution motivant la création de la commission d'enquête évoque tous les risques : chimiques, musculo-squelettiques et psychosociaux.

Un tableau de maladies professionnelles donne leur désignation et le délai de prise en charge, et décrite les tâches et activités susceptibles de les causer. Si les RPS devaient être inscrits au tableau, les tâches professionnelles concernées seraient difficiles à décrire.

Néanmoins, pourquoi ne pas créer un tableau comportant la désignation du risque psychosocial ? Y intégrer un délai de prescription pourrait être une bonne chose. Aujourd'hui, lorsqu'un cas de maladie professionnelle n'entre pas simultanément dans les trois cases du tableau, nous recourons au CRRMP. Dans le cas des RPS, pourquoi ne pas prendre en compte la désignation et le délai de déclaration et faire appel au CRRMP ? Cela pourrait être une solution, car vouloir intégrer les RPS dans un tableau serait une gageure. De fait, les cas sont très divers : il peut s'agir de personnes harcelées par leur chef ou ayant des problèmes chez eux, ce qui influe sur leur comportement au sein de l'entreprise ; toutes choses compliquées.

La déclaration des maladies professionnelles ne pose pas de problème dans les grands groupes industriels. En revanche, la situation est inquiétante dans les petites entreprises : elles ne sont pourvues ni de CHSCT ni d'intervenants en prévention des risques professionnels. Comment sont gérés les risques chimiques et les risques musculo-squelettiques dans les petites structures ? Les RPS y sont ignorés alors que dans les tours brillantes des sites tertiaires ou les plateformes, ils sont souvent évoqués. En tant qu'organisations syndicales, nous recevons souvent des syndiqués indépendants qui nous disent que, s'ils évoquent leur burn out au sein de l'entreprise, ils ne travailleront plus le lendemain.

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Jean-François Naton, conseiller confédéral de la CGT, en charge du travail, de la santé et de la protection sociale

Le Conseil d'orientation sur les conditions de travail (COCT) réfléchit à l'évolution des tableaux de maladies professionnelles, mais celle-ci est très lente, malheureusement. Le Conseil n'est toujours pas parvenu à caractériser les troubles psychosociaux à ce jour.

C'est pourquoi les confédérations syndicales revendiquent des moyens de fonctionnement pour les CRRMP. En effet, si une règle générale ne peut être définie, il faut travailler sur chaque cas particulier, et pour ce faire, nous avons besoin de disposer des éléments nécessaires, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Cela devient le parcours du combattant et nous sommes pris dans une formalité impossible, qui fait qu'il n'y a finalement pas de reconnaissance, car tout est épuisé avant que le but soit atteint.

En attendant que la situation évolue, il faut que les CRRMP disposent effectivement des moyens nécessaires et que la réflexion sur l'objectivation des troubles psychosocioaux soit poursuivie jusqu'à une inscription au tableau, même si nous avons conscience que le sujet est vaste. Des travaux ont déjà été conduits afin de permettre la prise en compte d'éléments factuels aisément identifiables, comme l'épuisement ou la dépression. Restera ensuite à franchir le pas et inscrire les RPS dans un tableau.

Lorsque j'ai évoqué le contexte dans lequel se déroulent les travaux concomitants de la commission d'enquête et de la mission dont est chargée Mme Lecocq, je songeais notamment à l'électrochoc – et la médiatisation – du suicide, ressenti par tous.

Il y a une vingtaine d'années, le Conseil économique et social (CES) a produit un rapport sur le suicide et, en 2003, MM. Michel Debout et Christian Larose ont publié l'ouvrage Violences au travail : agressions, harcèlements et plans sociaux, qui alertait sur ce qui se jouait au travail. Malheureusement, ces documents ne sont pas assez pris en compte, mais c'est bien la médiatisation de ce qui s'est passé à France Télécom hier, à Orange aujourd'hui, ainsi que chez Renault, qui a créé cet électrochoc dans la société.

La question a été posée : que se joue-t-il dans le travail lorsque des cadres, des ingénieurs, des informaticiens se jettent par la fenêtre ou sous un pont ? La comparaison avec l'amiante peut sembler déplacée, mais je l'établis : lorsque c'est la classe ouvrière qui meurt prématurément, on le vit dans une forme de normalité, alors que le différentiel d'espérance de vie ne cesse de croîter ; mais lorsque c'est la faculté de Jussieu qui est concernée par l'amiante, cela commence à faire le buzz.

Quand des personnels de niveau cadre ont commencé à se suicider, cela a fait réagir. Un rapport Bien-être et santé au travail a été produit par Mme Pénicaud, M. Lachmann et M. Larose et cela a été un élément d'accélération, de prise de conscience qu'il se jouait dans les entreprises une crise du management, que le top management devait être pointé du doigt parce que l'organisation du travail était pathogène. France Télécom en est l'illustration ; on n'a pas pensé à faire mourir les gens mais on a pensé qu'il fallait organiser le travail pour que les gens s'en aillent, sans penser qu'ils partiraient en se jetant des ponts.

Ce qui s'est noué à ce moment-là a été un électrochoc aussi pour les organisations syndicales. Comment avons-nous pu passer à côté ? Cela nous a amenés à faire un retour sur notre propre action ; nous avons produit des documents visant à sonner l'alarme et lancé des formations.

C'est pourquoi nous avons combattu de manière déterminée la disparition des CHSCT. Nous pensons que ce gouvernement s'est trompé en voulant concentrer, rationaliser, professionnaliser cette instance. Il fait fausse route : ce n'est pas la professionnalisation qui est requise, mais la capacité à entendre celui qui fait et qui sait, c'est-à-dire le travailleur. Il faut organiser l'écoute du monde du travail plutôt que de créer des systèmes déconnectés de la situation de travail. Maintenant que c'est fait, il faudra voir comment les CSE, avant de parler de l'économie, parlent du travail et de l'organisation du travail.

Le nouvel axe prioritaire revendicatif face à cette évolution est en débat à l'actuel congrès de la CFDT. Cela traversera le prochain congrès de la CGT à Dijon.

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Jean-François Hild, animateur sécurité, secrétaire du CHSCT des Grands Bureaux ArcelorMittal Atlantique et Lorraine

Je ne suis pas tout à fait d'accord avec mon collègue sur la durée de vie des cadres et des ouvriers. Les gens qui arrivent aujourd'hui en fin de vie ont 80 ou 85 ans et ont donc vécu le travail des années 1980 et non celui de 2010. Je ne suis pas convaincu qu'un jeune ingénieur de 25 ans qui travaille 12 heures par jour, peut être appelé 24 heures sur 24 sur son smartphone et s'attend à tout moment à des accidents graves pour lesquels il peut se retrouver devant le juge, ou à subir une grève ou des problèmes techniques, des pannes, arrivera à l'âge de 85 ans. Dans 20 ou 30 ans, les statistiques auront peut-être complètement basculé dans l'autre sens. Je vis les deux métiers et je vois des ouvriers qui travaillent dans des lignes de fabrication : ils sont assis à des pupitres et appuient sur des boutons. Je ne dis pas qu'ils n'ont pas de stress, mais ils en parlent beaucoup plus et en ont peut-être moins que leur chef qui essaye de faire fonctionner les lignes et qui doit gérer de nombreux problèmes.

Les plus jeunes qui travaillent dans nos lignes n'ont pas du tout la mentalité des gens plus mûrs ; ils pensent à leurs loisirs, à partir en congés, ne sont pas intéressés pour travailler le dimanche alors même qu'ils n'ont pas d'argent. Ce sont les quinquagénaires qui acceptent de travailler le dimanche. Ce changement de mentalité est une donnée qu'il faudra intégrer.

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Un autre paramètre de l'espérance de vie, qui n'a intrinsèquement rien à voir avec le travail, est la catégorie socio-professionnelle, l'accès aux soins, mais ce n'est pas notre sujet ici.

Je souhaiterais connaître votre point de vue sur les CSE et CSSCT qui seront mis en place dans un certain nombre d'entreprises.

Monsieur Naton, vous avez indiqué avoir rencontré des difficultés à appréhender les risques psychosociaux, en tout cas la « vague » de ces risques, au sein des CHSCT. Pouvez-vous en dire plus à ce sujet ?

Cela rejoint une question sur le rôle des CRRMP vis-à-vis des tableaux de maladies professionnelles. Dans le cas du cancer du rein, l'exposition au trichloréthylène est prise en considération, mais les radiations et le cadmium sont probablement aussi des agents. La prévention reste la principale interrogation – et pour le cancer du rein, la prévention est extrêmement importante car, passé un certain délai, la mort est quasi certaine. L'adaptabilité des tableaux de maladies professionnelles est parfois difficile. Les CRRMP ne devraient-ils pas évoluer en vue d'adapter une approche plus statistique, plus épidémiologique sur de « nouvelles » pathologiques ou de « nouveaux » facteurs de risque ?

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Jean-François Naton, conseiller confédéral de la CGT, en charge du travail, de la santé et de la protection sociale

Vous avez auditionné la branche AT-MP. Seul le visible remonte dans la branche, mais les choses sont en train de bouger. Nous croisons ce qui relève de la maladie et ce qui relève de la branche AT. Aujourd'hui, 80 % des troubles musculo-squelettiques ne sont pas reconnus, n'entrent pas dans les tableaux, et pourtant ils existent. La révision des tableaux relatifs à ces troubles, il y a deux ou trois ans, a conduit à une sensible diminution du nombre d'entrées, mais ce n'est pas parce que des TMS ne sont pas reconnus que les gens n'en souffrent pas.

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Pouvez-vous nous donner des exemples de TMS non reconnus comme maladies professionnelles ?

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Jean-François Naton, conseiller confédéral de la CGT, en charge du travail, de la santé et de la protection sociale

La plus grande partie ne sont pas reconnus comme maladies professionnelles.

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Jean-François Hild, animateur sécurité, secrétaire du CHSCT des Grands Bureaux ArcelorMittal Atlantique et Lorraine

Chez nous, des dames triaient des feuilles de tôle en faisant toujours le même geste et arrivaient en fin de carrière avec des épaules en compote. Ces maladies sont reconnues, mais pour une dame qui assiste des malades et se blesse le dos à force de soulever des petits vieux, je pense qu'aucune maladie professionnelle ne sera déclarée, alors que c'est bien le fait de soulever des personnes de 80 ou 100 kilos, sans moyens adaptés, qui lui a ruiné le dos.

Ce que disent les psychologues qui s'intéressent au travail, c'est que, dans le temps, les gens vivaient bien leur métier, tandis qu'aujourd'hui ils le subissent. Or celui qui subit son métier va s'user beaucoup plus vite que celui qui le vit bien. Le tailleur de pierre qui tape sur des cailloux toute la journée, mais qui crée, va moins s'abîmer les articulations que celui qui subit son travail. Ce sont des choses qu'aujourd'hui on sait dire.

On sait qu'une petite moitié des cancers professionnels ne sont pas déclarés. Quelques cas de cancer du rein par exposition au trichloréthylène sont reconnus en France mais je pense qu'il y en a en réalité bien plus. Les médecins ne connaissent pas ou connaissent peu cette pathologie.

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Francis Berrocal, membre du comité national de la fédération Force ouvrière (FO) de la chimie, responsable hygiène et santé

Sur les risques chimiques, les grands groupes ont mis en place du joint monitoring, souvent à un niveau international. Il s'agit de savoir s'il se passe quelque chose au Brésil sur un produit et de se demander pourquoi cela ne se passe pas en France ou vice-versa, et de voir si de la prévention a été mise en place ici ou là. Les entreprises, avec le médecin du travail, définissent quelle personne fera l'objet d'un suivi médical. Mais tout le monde n'en bénéficie pas.

Depuis qu'on y a fait entrer les risques psychosociaux (RPS), le document unique d'évaluation des risques professionnels (DUERP) est assez creux, parce que les gens qui l'écrivent sont souvent assez démunis, ce ne sont pas des professionnels, même si la médecine du travail peut leur donner des pistes. Quand, pour préserver une bonne ambiance, la mesure de prévention préconisée est un repas par an avec les salariés, ce n'est pas ce qui va aider. Certains ont déjà mis en place des cellules d'écoute, ont formé des salariés via les CHSCT et les élus du personnel, qui peuvent interpeller la médecine du travail, la direction, les ressources humaines. Les corps pluridisciplinaires nous permettaient d'avoir cette écoute, et à la suite de la campagne médiatique tout le monde s'y est mis plus ou moins, mais l'évaluation des risques reste très faible. Allez le voir dans les petites entreprises. La solution passe par le management, mais c'est quelque chose de compliqué.

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C'est pourquoi nous avons souhaité auditionner une structure qui traite de la prévention des RPS, et qui nous a parlé des techniques managériales, par exemple le fait de ne jamais faire reposer la responsabilité sur une seule personne mais sur des équipes d'au moins deux personnes, et d'avoir des entretiens d'équipe. Je vous rejoins sur le fait qu'on manque probablement aujourd'hui de propositions en la matière.

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Je partage pleinement votre point de vue sur la nécessité de basculer dans un système bien plus tourné vers la prévention. C'est une orientation largement partagée entre nous aussi. Il faut entrer dans cette nouvelle ère.

Vous l'avez dit, les risques naissent dans les situations de travail qui sont complètement liées à l'organisation du travail et à des objectifs de performance économique, de productivité, d'efficacité. L'intérêt que je vois au CSE et à la manière dont il fusionne les instances représentatives du personnel (IRP), c'est que c'est l'occasion de faire entrer la question de la santé au travail dans les objectifs de performance globale de l'entreprise, donc d'intervenir davantage en prévention puisque ces enjeux seraient intégrés dans la réflexion stratégique de l'entreprise pour aboutir à une organisation du travail qui prenne ces aspects en compte.

Je suis donc très convaincue par cette réforme. Ce n'est pas une posture politique car c'est lié à mon expérience professionnelle. J'ai accompagné beaucoup d'entreprises, notamment des TPE, dans la mise en place de démarches de prévention des risques. Pour qu'une telle démarche soit véritablement portée, il faut que le dirigeant l'intègre comme un moyen d'améliorer la performance de son entreprise.

Comment, selon vous, permettre au CSE d'atteindre cet objectif de prise en compte totale de la santé au travail dans la stratégie ? Quelles seraient vos recommandations ? Selon moi, il ne faut pas que la question de la santé au travail soit traitée dans une instance à part.

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Francis Berrocal, membre du comité national de la fédération Force ouvrière (FO) de la chimie, responsable hygiène et santé

Nous sommes en train d'essayer de mettre en place le CSE dans notre groupe, qui a en France des entités de 500 personnes et d'autres de 14 personnes. Dans la négociation, je viens de tirer la sonnette d'alarme, au niveau de l'entreprise mais aussi de la branche, car il se produit un phénomène de désengagement. L'idée de la professionnalisation, ce n'est pas la réalité de l'entreprise. Les membres des CHSCT étaient des opérateurs, des commerciaux, des gens répartis dans l'entreprise ; ils participaient aux activités des CHSCT parce qu'ils étaient sensibles aux questions de santé et de sécurité au travail. Dans les très grands groupes, des personnes étaient détachées aux comités d'entreprise, mais en très petit nombre. On assiste aujourd'hui à une désaffection.

Je suis spécialiste des facteurs humains et organisationnels et je confirme que l'organisation est importante, mais la question était déjà traitée dans les CHSCT. C'était certes une « chasse gardée » des comités d'entreprise (CE), mais des échanges avaient souvent lieu entre les deux instances. En cas de remise en cause de l'organisation du travail, les deux discutaient.

La nouvelle instance nous crée des problèmes. On dit qu'on élargit le nombre de représentants, alors qu'au total il y en a moins ; on élargit surtout les compétences. Un CE traitait des affaires sociales mais surtout des affaires économiques, et le CHSCT avait une fonction à part, et je peux vous dire que l'industrie chimique va défendre cette instance. Il y a des possibilités de négociation au sein de l'entreprise mais cela prouve bien, si l'on est obligé de revenir là-dessus, c'est qu'il y a des manques dans ce que vous avez développé.

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Francis Berrocal, membre du comité national de la fédération Force ouvrière (FO) de la chimie, responsable hygiène et santé

On s'est vite aperçu que les sites Seveso n'étaient pas le seul sujet : il existe aussi des risques dans d'autres sites. Bien sûr, on a créé une instance plus forte sur les sites Seveso. Nous sommes en train de créer une commission mais nous voulons qu'elle soit indépendante du CSE, avec des heures à elle, comme un CHSCT. La difficulté sera d'y faire élire des gens, de faire en sorte que des gens veuillent se présenter, car ils auront conscience qu'ils siégeront alors dans une instance économique et sociale.

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Jean-François Naton, conseiller confédéral de la CGT, en charge du travail, de la santé et de la protection sociale

Le Gouvernement a été dans une forme de précipitation, en visant la fusion sans prendre soin des déterminants « travail », au moment même où l'activité des CHSCT montait en qualité, qu'ils devenaient véritablement l'instance de réflexion sur l'organisation du travail, sur le travail lui-même, sur la qualité du travail. La performance naît de la qualité, et celle-ci de l'engagement. Ce qui fait paniquer le patronat aujourd'hui, c'est le désengagement : une partie des travailleurs vont au travail mais ne se sentent pas considérés et ne s'engagent pas. Le travail, c'est l'engagement. C'est au-delà du prescrit. Si l'on reste dans le prescrit, rien ne marche, tout s'écroule. Le travail, c'est en fait la transgression, savoir aller au-delà du cadre. Quelles que soient les organisations syndicales, on voyait cette prise de conscience sur le déterminant travail. Vous avez pris le risque de casser cette dynamique et nous avons un désengagement militant. On se retrouve dans un grand tout et on peut perdre cette dimension du travail avec la disparition des CHSCT.

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Pour vous, le sujet devient trop vaste, peut-être trop flou ?

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Jean-François Naton, conseiller confédéral de la CGT, en charge du travail, de la santé et de la protection sociale

L'économique va prendre le pas sur le travail. C'est le risque.

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Comment faire pour maîtriser ce risque, y parer et, au contraire, transformer l'essai ?

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Jean-François Naton, conseiller confédéral de la CGT, en charge du travail, de la santé et de la protection sociale

Avec la baisse du nombre d'élus du personnel, tout concourt à ce que nous soyons en difficulté. Les résultats ne seront pas au rendez-vous de vos espérances.

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Francis Berrocal, membre du comité national de la fédération Force ouvrière (FO) de la chimie, responsable hygiène et santé

On s'est trompé de sujet en pensant que les membres du CHSCT sont des professionnels qui ne font que ça. Ce n'est pas vrai. Les membres de CHSCT étaient élus par les élus, faisaient cinq heures par mois, dix sur les sites Seveso. Dans les grands groupes, on sait depuis longtemps que, si l'on veut faire progresser la sécurité, il faut faire du management participatif-directif, en nommant dans les équipes de travail des correspondants « environnement, hygiène, sécurité » qui sont des pairs, et qui étaient un lien avec le CHSCT, également composé de pairs. Là, nous aurons un conglomérat où l'on parlera d'économie, d'affaires sociales, de sécurité, et il y a une vraie crainte que les gens ne veuillent pas s'y présenter. C'est même plus qu'une crainte : c'est une certitude.

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Selon vous, existe-t-il des moyens de reconquérir du pouvoir pour les salariés en matière de santé au travail ? On sait que, sur cet enjeu, il faut que les gens soient acteurs pour avoir des résultats.

On a parlé tout à l'heure de sous-reconnaissance de maladies professionnelles. Il y a aussi les sous-déclarations, et les deux sont sans doute liées. Comment lutter contre la sous-déclaration, qui conduit à des problèmes en termes de reconnaissance mais qui handicape aussi la prévention ? Comment lier les données aujourd'hui connues, même s'il y a parfois un temps de latence, et les retours sur l'organisation du travail et des postes de travail ?

Nous avons été interpellés sur la multiplicité des acteurs, sur des fonctionnements en silos parfois. Une organisation différente des acteurs est-elle possible ? Sous l'égide de qui ? Comment mieux organiser la médecine du travail ? Quelles relations existent entre les services de santé au travail et les caisses d'assurance retraite et de santé au travail (CARSAT) ?

Enfin, la sous-traitance est un enjeu important, avec une externalisation de risques de la part de certains grands donneurs d'ordres et une plus grande difficulté pour les salariés de la sous-traitance à faire respecter leur droit à la santé.

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Jean-François Hild, animateur sécurité, secrétaire du CHSCT des Grands Bureaux ArcelorMittal Atlantique et Lorraine

La sous-traitance est un sujet que nous connaissons bien. Tout ce qui n'est pas l'activité principale de l'entreprise tend aujourd'hui à être sous-traité : maintenance, emballage, transport, etc. Des ateliers complets passent en sous-traitance.

Nous avons beaucoup travaillé sur l'aspect prévention, sur la base de contrats de sécurité entre ces entreprises et nous-mêmes, où, globalement, nous imposons nos contraintes aux entreprises et ces entreprises nous imposent leurs contraintes. C'est un échange, car nous générons des risques sur eux et ils génèrent des risques sur nous. Cela ne marche pas trop mal car les entreprises qui prennent les ateliers en sous-traitance sont en général de grandes entreprises, un peu comme la nôtre, qui connaissent bien la réglementation.

Parallèlement, nous avons d'autres sous-traitants, sur de petits travaux ponctuels, par exemple quand nous faisons venir un plombier pour une réparation. C'est alors très compliqué car ces gens ne connaissent pas du tout l'industrie et nous avons alors l'impression de parler une langue étrangère. Nous suivons les statistiques de ces gens : taux de gravité des accidents de travail, taux de fréquence interne et extérieure, etc. Nous faisons aussi énormément d'accompagnement aux entreprises. Chaque entreprise a un parrain sur le site.

Nous allons bientôt démarrer les arrêts d'été : quelques milliers de personnes vont venir travailler chez nous pour dix jours, quinze jours, trois semaines. Nous faisons de la formation au rouleau-compresseur – 400 ou 500 personnes sur une demi-journée –, formation au cours de laquelle nous parlons bien sûr de sécurité et de santé, d'accidents, de maladies professionnelles. Il y a encore quelques années, nos statistiques d'accidentologie d'entreprises extérieures étaient dramatiques – les indicateurs étaient quatre à cinq fois pires que ceux de notre propre entreprise –, mais aujourd'hui les chiffres sont quasiment identiques.

Nous avons en outre énormément de travail temporaire. Sur des lignes de fabrication, nous sommes globalement à 40-50 % de travailleurs temporaires. Le nouvel intérimaire est formé par l'ancien intérimaire, vu que nous n'avons plus de personnes qui tiennent ces postes. Nous n'avons plus qu'un seul prestataire de travail temporaire sur le site, que nous rencontrons quasiment une fois par semaine, pour parler de sécurité et de santé. Chaque fois qu'un accident a lieu dans ce cadre, nous procédons à la même enquête, exactement, que pour chez nous. Nous notons nos intérimaires comme nous notons nos salariés et certains, s'ils ont de la chance, peuvent se faire embaucher au bout de 18 mois. Avec le temps, les résultats s'améliorent, avec beaucoup moins d'accidents.

Là où nous rencontrons encore pas mal de problèmes en termes d'accidents, c'est dans les transports. Quand j'ai commencé à travailler, les deux tiers de nos produits partaient en train et un tiers par camion, mais aujourd'hui c'est l'inverse, et avec les grèves de la SNCF nous mettons encore un peu plus de camions sur les routes, avec des routiers polonais ou tchèques, ce qui, en termes de sécurité, est extrêmement compliqué. Nous les voyons venir à l'atelier en tongs, en short ; ils viennent avec femme et enfants installés au fond de la cabine du camion ; si un problème survient quand on charge des bobines et que le camion se fait écraser, la femme et les enfants du routier seront écrasés. Ce sont des situations complètement folles.

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Francis Berrocal, membre du comité national de la fédération Force ouvrière (FO) de la chimie, responsable hygiène et santé

Depuis l'accident d'AZF et l'accord du 4 juillet 2002 sur la sous-traitance dans la chimie, pour lequel j'étais le porte-parole des cinq organisations syndicales, il y a unanimité de l'ensemble des organisations sur la sécurité. Les résultats sont extraordinaires. Nous avons en France un système encore insuffisamment développé mais qui depuis 2002 a fait ses preuves : le manuel d'amélioration sécurité des entreprises (MASE), mis en oeuvre dans les entreprises Seveso « seuil haut ». Le dernier comité stratégique national a eu lieu le 25 mai. On y présentait les taux de gravité et taux de fréquence des entreprises qui s'engagent dans le MASE, c'est-à-dire qui mettent en place un système de management adapté. Les petites entreprises qui entrent dans le MASE le font pour rejoindre des grands groupes en tant que sous-traitants. Cela ne coûte pas cher et les résultats sont fabuleux : il n'y a plus d'accidents, les gens se sentent responsabilisés et font attention, et les entreprises décrochent de ce fait davantage de contrats. Ce système est franco-français. Les Allemands, les Belges, les Hollandais cherchent à entrer par la petite porte avec leurs systèmes dans l'espace frontalier ; nous tenons bon pour le moment. Une norme ISO 45001 arrive aussi ; heureusement, l'Organisation mondiale du travail (OMT) a maintenant rejeté les systèmes ISO. Il faut continuer à développer notre système MASE.

Son champ d'implantation va désormais au-delà des entreprises Seveso seuil haut : Carrefour s'est « masé », Lafarge s'est « masé » ; plusieurs pays d'Afrique sont en train de l'adopter. Nous sommes partis de 400 entreprises, elles sont maintenant 4 000. Le taux de gravité est divisé par deux ou trois. Il n'y a qu'une feuille à montrer pour que les entreprises comprennent qu'elles doivent choisir des entreprises « masées ». C'est gagnant-gagnant. Même avec de la sous-traitance en cascade, si les entreprises sont « masées », il n'y a pas de problème. Nous avons commencé à faire des comparaisons avec le système hollandais VCA : la conclusion, c'est que nous n'avons vraiment rien à leur envier. Le MASE comporte une partie santé et une partie environnement alors que, souvent, les systèmes de management de la sécurité se concentrent essentiellement sur celle-ci.

En ce qui concerne les pistes, on sait depuis dix ans que, pour avancer en santé et sécurité, il faut travailler sur les facteurs humains et organisationnels. Les systèmes techniques ont fait des progrès. Nous avons beaucoup travaillé sur les systèmes de management. Si l'on veut continuer à progresser, il faut créer des groupes avec des instances pluridisciplinaires et du management participatif-directif. Quand on fait écrire les règles par les gens eux-mêmes, ils les appliquent plus facilement. C'est un long chemin mais le résultat est garanti.

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Jean-François Naton, conseiller confédéral de la CGT, en charge du travail, de la santé et de la protection sociale

Une des questions qui taraudent le monde du travail, c'est le droit à la parole, le droit de contester, le droit de parler de son travail. C'est la démocratie au travail : comment on organise le pouvoir de dire ce qui va et ce qui ne va pas, sans être suspecté d'être un mauvais travailleur quand on questionne les modes d'organisation du travail. Cela appelle un changement dans l'attitude patronale, pour qu'elle considère les organisations syndicales autrement que – excusez-moi le mot – des « emmerdeuses » mais plutôt comme susceptibles de contribuer à l'efficacité.

Mes homologues ici présents oeuvrent dans des grands groupes. La plupart des salariés ne travaillent pas dans des grands groupes. J'ai l'habitude de dire que les grands groupes organisent beaucoup de colloques sur la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) parce qu'ils ont sous-traité. Dans les grands groupes, les syndicats sont forts et, par conséquent, les règles respectées, ce pourquoi ils sous-traitent à des TPE-PME.

Depuis de nombreuses années, nous plaidons pour des CHSCT de sites, de zone, c'est-à-dire la mise en commun de lieux où le travail soit mis en débat. Nous avons conduit une expérimentation dans le centre de la Part-Dieu à Lyon, qui réunit trois grands groupes, Carrefour, la FNAC et Décathlon, et des franchisés de moins de dix salariés : 4 000 salariés au total, qui ont les mêmes situations de travail, les mêmes problèmes. La revendication qui est montée a été d'arrêter le jet d'eau central, que tout le monde trouvait pénible. Nous avions créé un lieu où il était possible de revendiquer, quel que soit son employeur.

Peut-être cela figurera-t-il dans votre rapport, mais nous sommes favorables à la création de maisons territoriales du travail et de la santé – lieux qui rassembleraient efficacement l'ensemble des acteurs, au service du monde du travail.

Le monde du travail, ce sont à la fois les employeurs et les travailleurs. Je le dis, j'aime l'entreprise. Cela ne signifie pas que j'aime les patrons, mais j'apprécie la communauté de travail. Pour autant, si toutes les briques sont là, elles ne sont pas encore organisées au service de cet objectif et de priorités déterminées conjointement.

Il s'agit d'un enjeu démocratique important : les organisations syndicales doivent être respectées, tant au niveau de la branche AT-MP qu'au sein du conseil d'orientation des conditions de travail (COCT) ou des comités régionaux d'orientation des conditions de travail (CROCT). Convenablement gérées, ces instances nous permettront de définir des priorités puis d'élaborer des plans d'action. Ce n'est pas encore le cas…

Les moyens sont également importants pour soutenir la transformation. Sans moyens, nous en resterons au stade des bonnes intentions et des excellents rapports, mais il y en a déjà eu…

Vous avez également évoqué les questions de traçabilité, de sous-déclaration et de méconnaissance des droits. Là encore, de nombreux rapports ont été publiés. Des outils existent et permettraient de mettre en oeuvre cette traçabilité. Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a parfaitement décrit le concept d'exposome – dont j'ai déjà parlé – dans son rapport sur les inégalités environnementales et sociales : l'espérance de vie n'est pas la même selon les catégories sociales, et les salariés de la classe ouvrière ne vivent pas tous jusqu'à 87 ans… M. William Dab, professeur titulaire de la chaire d'hygiène et sécurité du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), a statistiquement démontré la corrélation entre la carte des cancers et celle des industries. Par ailleurs, l'exposition est cumulative, les salariés vivant également sur ces territoires.

Nous attendons beaucoup de votre commission d'enquête. Soit nous poursuivons dans la voie actuelle, imparfaite, soit vous impulsez un changement de paradigme ! Dans cette nouvelle logique, les excédents de la branche accidents du travail devraient être mis au service de ce changement. Dans le cas contraire, l'incompréhension risque d'être totale. C'est l'ancien vice-président de la branche qui parle : certes, nous acceptons de concourir au bien commun, mais nous devons en voir les résultats, car les équipes s'épuisent.

Enfin, nous préconisons que la médecine du travail soit rattachée à la sécurité sociale. La médecine du travail représente la proximité et le terrain, alors que la sécurité sociale, c'est plutôt la science de l'ingénieur et une vision plus globale des problématiques. Il faut rapprocher les deux points de vue. Nous avions demandé la création d'une mission de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS). Le précédent gouvernement ne l'a pas engagée. Nous le regrettons et continuons de plaider pour le rassemblement des équipes, pour plus d'efficacité.

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Francis Berrocal, membre du comité national de la fédération Force ouvrière (FO) de la chimie, responsable hygiène et santé

Je partage le point de vue de M. Naton : il faut mettre des moyens sur la prévention et l'excédent de la branche AT-MP doit être dirigé vers cet objectif.

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Jean François Hild, animateur sécurité, secrétaire du CHSCT des Grands Bureaux ArcelorMittal Atlantique et Lorraine

Vous nous avez interrogés sur les trois pathologies : risque mécanique, risque chimique et troubles musculo-squelettiques. Le code du travail encadre précisément le risque mécanique, tout comme le décret n° 93-40 du 11 janvier 1993 sur la mise en conformité des équipements. Les entreprises ont donc investi pour réduire ce risque et le nombre d'accidents du travail sur machines a chuté de manière vertigineuse.

En matière de risque chimique et de produits dangereux, l'exemple de l'amiante est parlant. L'amiante n'est plus utilisé : on l'a d'abord remplacé par des fibres céramiques réfractaires, puis on s'est rendu compte que ce n'était pas très bon. Actuellement, on utilise plutôt des fibres biosolubles. De même, le trichloréthylène a été remplacé par d'autres produits moins toxiques. Les entreprises réalisent donc un travail phénoménal pour substituer, voire supprimer, ces produits dangereux.

À l'inverse, en matière de risques psycho-sociaux, la situation est dramatique : ils sont en croissance exponentielle. Vous avez évoqué des suicides. Nous n'en sommes pas encore là dans notre entreprise, mais un à deux salariés « pètent un plomb » tous les mois et sont ensuite arrêtés de six mois à un an. Le coût de ces arrêts de travail est sans commune mesure avec la plupart des accidents de travail, des TMS ou même des cancers liés à l'amiante !

Changeons désormais notre fusil d'épaule, parlons de la qualité de vie au travail et réduisons les RPS pour tous les salariés ! Ce sera un immense progrès. Il faut surtout que les entreprises considèrent les salariés comme des êtres humains, et non comme des matricules. Actuellement, on demande à longueur de temps des comptes et du « reporting » aux opérateurs comme aux chefs de service. On demande aux salariés d'appliquer des directives dont ils ne comprennent pas le sens : elles peuvent venir de Londres pour ArcelorMittal, mais elles peuvent venir d'ailleurs aussi.

Je vais prendre un exemple concret : dans mon entreprise, le site a été sécurisé et des tourniquets installés. Mais ils comportent quatre brins – à la demande d'une personne probablement extrêmement intelligente de la maison-mère, Arcelor Mittal – contre trois pour les tourniquets classiques. Il s'agissait d'éviter que deux personnes ne passent ensemble. Résultat : une personne seule ne passe pas non plus, pour peu qu'elle soit un peu volumineuse ou qu'elle ait un sac ! C'est un exemple absurde, prouvant l'intérêt de demander l'avis des salariés avant de prendre des décisions, sauf à vouloir courir au désastre. Ces tourniquets vont être démontés alors qu'ils n'ont pas servi ! Ces 500 000 euros n'auraient-ils pas été mieux utilisés pour améliorer la santé ou la sécurité des salariés ? Par exemple, cela fait des années que nous demandons l'installation de tables pour manger dehors quand il fait beau et cela a toujours été refusé au motif que c'était trop coûteux…

Si, dès le début, on avait associé le CHSCT au projet et réfléchi avant d'installer ces tourniquets, on aurait généré moins de mécontentement, donc moins de stress.

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Arcelor voulait peut-être vendre un peu plus de métal ? Je ne pourrai donc pas travailler chez vous si les personnes volumineuses ne passent pas ! (Sourires.)

Je vous remercie d'avoir participé à cette audition. Je salue votre volonté de dialogue et d'ouverture, ainsi que votre force de proposition. Elles enrichissent le débat sur la prise en charge de la santé au travail et la prévention. Cette audition a constitué une parfaite transition avec celle de M. Doublet, qui intervient en prévention des TMS dans les entreprises. Je vous remercie également de bien vouloir nous transmettre par écrit vos éventuelles propositions, qui enrichiront notre travail.

L'audition s'achève à 14 heures 40.

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Membres présents ou excusés

Réunion du jeudi 7 juin 2018 à 14 heures 15

Présents. – M. Julien Borowczyk, M. Pierre Dharréville, Mme Charlotte Lecocq

Excusés. – Mme Delphine Bagarry, M. Bertrand Bouyx, Mme Hélène Vainqueur-Christophe