Groupe de travail sur la démocratie numérique et les nouvelles formes de participation citoyenne

Réunion du mardi 13 mars 2018 à 9h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • OCDE
  • outil
  • participation
  • transparence

La réunion

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Mardi 13 mars 2018

La séance est ouverte à neuf heures cinq.

Présidence de Mme Cécile Untermaier

Le groupe de travail sur la démocratie numérique et les nouvelles formes de participation citoyenne tient une table ronde sur « la dimension participative dans l'élaboration et le vote du budget » et plus précisément les aspects macroéconomiques et financiers. Il entend M. Ronnie Downes, directeur adjoint de la Division budget et dépenses publiques de l'OCDE, et Mme Lisa vont Trapp, analyste à l'OCDE, spécialiste du rôle des institutions parlementaires en matière budgétaire, ainsi que M. Aboubakry Sy, conseiller pédagogique, chargé des programmes de formation en finances publiques et en économie à l'École nationale d'administration.

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Nous poursuivons ce matin nos travaux consacrés à l'amélioration de l'information et de la participation des citoyens à l'élaboration et au vote du budget de l'État. Ces travaux s'inscrivent dans la réflexion qu'a souhaité engager François de Rugy sur la réforme de l'Assemblée nationale, et notamment sur la démocratie numérique et la participation citoyenne.

Après avoir, dans un premier temps fait des propositions en vue de la prochaine révision de la Constitution sur la participation citoyenne, notre groupe de travail s'intéresse à présent à la transparence, l'intelligibilité et la lisibilité des données budgétaires, dans l'idée de concevoir un budget participatif. Il s'agit en d'autres termes de mieux associer le citoyen à la réflexion budgétaire mais aussi à son application, à tous les stades.

Nous avons pour cela le plaisir d'accueillir aujourd'hui M. Ronnie Downes et Mme Lisa von Trapp, économistes à l'OCDE, ainsi que M. Aboubakry Sy, conseiller pédagogique, chargé des programmes de formation en finances publiques et en économie à l'École nationale d'administration.

Nous souhaitons que vous nous éclairiez sur les différents outils permettant de rendre plus accessible aux citoyens cette matière aride que sont les finances publiques. Sans doute pourrez-vous enrichir notre réflexion sur la transparence, l'accessibilité et l'intelligibilité des données en matière budgétaire, grâce notamment à des comparaisons internationales.

Nous souhaitons également recueillir vos avis sur la participation des citoyens à la décision en matière budgétaire, depuis sa préparation jusqu'à sa mise en oeuvre. Nous savons que le Portugal est particulièrement en pointe sur la question du budget participatif : pourrez-vous nous en dire un peu plus sur ce pays et sur ce qui peut exister ailleurs ?

Question annexe : qui représente le Parlement français à l'OCDE ?

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Ronnie Downes, directeur adjoint de la Division budget et dépenses publiques de l'OCDE

Nous vous remercions de nous donner l'occasion d'échanger sur ce sujet important. Depuis 2001, date d'élaboration de notre document fondateur, « Transparence budgétaire, les meilleures pratiques de l'OCDE », la transparence budgétaire est au coeur du travail de l'OCDE sur le budget et les finances publiques. Nous avons ainsi diffusé un document portant sur les principes de la gouvernance budgétaire ainsi qu'une boîte à outils destinée à améliorer la transparence.

Ce sont autant d'instruments qui visent à promouvoir et à rendre plus opérationnelles les pratiques qui sous-tendent la transparence budgétaire, laquelle s'accompagne de multiples avantages : des institutions gouvernementales plus ouvertes, une confiance accrue des citoyens envers leurs représentants ou encore des politiques publiques mieux adaptées aux besoins des citoyens.

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Lisa von Trapp, analyste à l'OCDE

En matière budgétaire, nous considérons que les institutions parlementaires sont souvent marginalisées, notamment au sein des organisations internationales. C'est la raison pour laquelle nous préconisons, dans nos principes de gouvernance budgétaire, de veiller à ce que puisse se développer dans chaque État un débat inclusif et participatif sur les choix budgétaires, en offrant au Parlement et à ses commissions la possibilité de participer au processus budgétaire à chaque grande étape du cycle, ce qui n'est pas le cas dans tous les parlements : si le Congrès des États-Unis refait entièrement le budget, dans d'autres pays, le Parlement assure essentiellement des fonctions de contrôle.

Dans cette perspective, nous sommes d'autant plus heureux de voir l'Assemblée nationale s'emparer de ce débat qu'il est primordial de respecter la primauté démocratique et la légitimité du Parlement : pour nous, c'est par essence le forum national où doivent s'exprimer les griefs et les aspirations du peuple. Instance représentative, le Parlement doit offrir un espace à la participation citoyenne ; et pourtant, au fur et à mesure qu'émergent de nouvelles pratiques participatives, il se trouve parfois marginalisé, dans la mesure où, sitôt qu'il lance des initiatives participatives, l'exécutif a tendance à s'adresser directement aux citoyens et à la société civile, laissant le Parlement de côté. C'est un phénomène récurrent que nous tenions à relever.

Tous les parlementaires ne sont pas des experts en matière budgétaire. C'est la raison pour laquelle se développent, au sein de plusieurs pays de l'OCDE, des bureaux parlementaires spécialisés dans le budget – si le Parlement français ne dispose pas d'une telle instance, il existe néanmoins, dans chaque assemblée, des équipes dédiées aux questions budgétaires. L'une des tâches de ces bureaux est d'analyser l'information budgétaire et de la rendre accessible, en particulier grâce à la visualisation des données, non seulement aux parlementaires mais également, via les parlementaires, aux médias, aux chercheurs et au grand public. Je mentionnerai ici l'exemple d'Israël, où ont été mis en place deux sites participatifs Open Budget et Open Knesset.

Si les auditions que mènent les commissions parlementaires sont déjà, traditionnellement, un moyen pour le Parlement d'entendre les représentants de la société civile, les institutions cherchent aujourd'hui à promouvoir des méthodes plus modernes pour encourager la participation citoyenne et recueillir des données auprès de publics plus diversifiés – c'est ainsi que se développent sur internet diverses plateformes de crowdsourcing, des forums en ligne ou des outils de sondage, comme on l'a vu récemment au Canada.

Les parlements peuvent également promouvoir la publication de budgets citoyens et donner l'exemple en suivant les bonnes pratiques et en faisant en sorte, par exemple, de mettre leurs données en ligne dans des formats ouverts et lisibles.

Deux mises en garde pour conclure. En premier lieu, à chaque fois que l'on élabore des outils interactifs et participatifs, il faut soigneusement réfléchir à la manière dont ces outils peuvent favoriser le débat citoyen sur les priorités budgétaires et les compromis difficiles qu'elles impliquent. En effet, le budget participatif ne doit pas être uniquement un moyen pour les citoyens de présenter leurs souhaits et doléances ; cela doit aussi les amener à réfléchir en termes de choix et d'arbitrages.

En second lieu, il faut également veiller à ne pas créer de nouvelles formes d'exclusion, par exemple vis-à-vis des générations plus âgées, peu familières des plateformes en ligne, ou vis-à-vis des citoyens qui n'ont qu'un accès limité à internet. La budgétisation participative et inclusive ne doit pas être une occasion supplémentaire pour les groupes d'intérêt ou les initiés au numérique de bénéficier d'une plateforme privilégiée pour défendre leurs idées.

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Aboubakry Sy, conseiller pédagogique, chargé des programmes de formation en finances publiques et en économie à l'École nationale d'administration

Auteur d'une thèse de droit public portant sur la transparence dans le droit budgétaire de l'État en France, sous la direction du professeur Michel Bouvier, c'est davantage en juriste spécialiste des finances publiques qu'en économiste que je m'exprimerai à mon tour sur cette question de la transparence budgétaire.

Mes travaux de recherches m'ont amené à constater que la France répond globalement aux exigences des organisations internationales et des ONG en matière de transparence budgétaire, à quelques poches d'opacité près. Nous avons assez bien réussi dans ce que j'appelle la transparence interinstitutionnelle, c'est-à-dire entre l'exécutif et le législatif. Ainsi, chaque année, rien que pour le projet de loi de finances initiale, le Parlement est destinataire de plus de quinze mille pages d'informations budgétaires – 15 396 pages très précisément en 2016.

Cette masse d'informations – certes de qualité –, dont la production mobilise d'ailleurs considérablement l'administration pose un certain nombre de questions. En donnant trop à voir, elle comporte en premier lieu le risque, déjà souligné par le Conseil d'État en 1996, de ne plus rien montrer. Il serait donc souhaitable de travailler avec Bercy et l'ensemble des administrations concernées à un recentrage de l'information financière, d'autant que nous ne parlons ici que du projet de loi de finances initiale, auquel il faut ajouter toutes les informations fournies en cours d'exécution budgétaire, et jusqu'à la loi de règlement, c'est-à-dire la loi qui arrête les comptes de l'État.

La seconde question est celle du regard que le Parlement porte sur tout cela, et notamment sur les comptes de l'État. Notre système a beaucoup tendance à se focaliser sur le projet de loi de finances, qui n'est jamais qu'une prévision budgétaire ; la situation financière de l'État exacte apparaît à travers la loi de règlement, à laquelle les parlementaires consacrent beaucoup moins de temps.

Pour ce qui concerne la transparence vis-à-vis du citoyen, ce dernier a légitimement accès à ces informations. Toute la documentation budgétaire de l'État est consultable sur le Forum de la performance publique, site gouvernemental et véritable mine d'informations financières ; pour les plus connectés, il existe même une application mobile, Budgetek, lancée en juillet 2015. Encore faut-il connaître ces outils dont l'utilisation reste malgré tout l'apanage des seuls « experts » – avec beaucoup de guillemets. Un large effort de communication s'impose si l'on veut qu'ils soient ouverts à un plus large public.

Il faudrait également développer chez le citoyen français ce que j'appelle une conscience financière publique ; or la conscience du phénomène financier ne commence à apparaître que lorsque l'on commence à payer des impôts – directs s'entend. C'est certainement la moins agréable, en tout cas la moins confortable, puisqu'elle ne porte que sur l'aspect fiscal. L'enjeu serait de travailler à ce que citoyen ait aussi connaissance de l'autre aspect du phénomène financier : la dépense, dont il bénéficie directement ou indirectement impôts.

Je préconise donc dans ma thèse la mise en place d'une nouvelle communication financière publique, qui permette à tous les citoyens non pas de devenir des experts en finances publiques mais d'avoir à tout le moins une connaissance, une intuition des grandes masses budgétaires, de savoir par exemple que la dépense sociale représente 45 % des 1 250 milliards d'euros que pèse la dépense publique française, entre assurance maladie, vieillesse, famille, etc. ; qu'ils aient aussi une idée générale de la façon dont se répartit l'argent de l'État entre défense, justice, culture, éducation nationale, etc. Il suffit pour cela que l'État utilise davantage les différents réseaux de communication – médias traditionnels ou réseaux sociaux – où il pourrait, par exemple, communiquer chaque mois en mettant spécifiquement en avant telle ou telle politique publique.

Dans la même logique, et parce qu'il est fondamental, en démocratie, que les citoyens sachent où va l'argent public, je recommande dans ma thèse d'intégrer dans le cursus scolaire de chaque Français des séquences d'initiation aux finances publiques. C'est au lycée, par exemple, que l'on commence à entrer dans l'âge adulte et à développer une conscience politique et citoyenne ; on pourrait imaginer que les lycéens aient, parmi leurs cours, des séquences leur expliquant les grands principes de notre droit public financier et de notre fiscalité, les grandes masses de nos finances publiques, mais également le rôle des différents acteurs, l'exécutif, le Parlement et les organes de contrôle.

C'est donc à sensibiliser nos concitoyens aux problématiques des finances publiques, grâce à de nouvelles formes de communication, que les acteurs publics doivent oeuvrer.

J'ajoute que l'information des citoyens en matière de finances publiques est une exigence constitutionnelle, en vertu des articles 14 et 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen mais également en vertu de la Constitution qui, depuis la révision de 2008, impose à la Cour des comptes un devoir d'information des citoyens. C'est ainsi qu'en 2016, la Cour a produit 289 rapports et autres documents informatifs.

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Madame von Trapp, monsieur Downes, vous avez mentionné plusieurs pays qui se sont dotés d'outils de démocratie participative, comme Israël ou le Canada. Pourriez-vous nous donner des détails supplémentaires, en particulier sur les expériences qui pourraient être transposées en France ?

À vous entendre, monsieur Sy, les informations budgétaires disponibles en particulier sur le Forum de la performance publique sont difficilement compréhensibles pour le grand public. Que faudrait-il faire pour les rendre plus lisibles ? Quels acteurs mériteraient d'être mobilisés dans cette perspective ? Avez-vous connaissance d'initiatives allant déjà dans ce sens ?

Enfin, imaginez-vous des mécanismes concrets de participation qui pourraient être mis en oeuvre dans le cadre de l'examen du PLF à l'Assemblée nationale ?

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Lisa von Trapp, analyste à l'OCDE

Rappelons que nous en sommes encore aux balbutiements de la budgétisation participative qui, pour l'instant, connaît surtout ses premiers succès au plan local. Au niveau national, il est plus difficile d'impliquer les citoyens dans la conception du budget de l'État, non seulement parce que les sommes en jeu sont sans commune mesure mais également parce qu'il est plus compliqué de se prononcer sur tel ou tel sujet spécifique, comme c'est par exemple le cas avec le budget participatif de la ville de Paris.

Le cas du Portugal est intéressant, il a en fait suivi le modèle de Paris, mais en moins riche, si je puis dire, précisément parce que nous sommes au niveau national. Quant à l'exemple israélien, il s'agit d'un projet porté par le Gouvernement et le Parlement et mis en oeuvre par une ONG, qui a conçu pour les citoyens des visualisations ludiques à base de cercles représentant les grandes masses budgétaires, que les internautes pouvaient modifier. Je pense également à un exemple américain que j'aime tout particulièrement : il s'agit d'une visualisation intitulée « Death and Taxes » – pour rappeler qu'il y a seulement deux choses dont on soit sûr dans la vie : payer des impôts ou mourir – qui illustre en tout cas de façon assez frappante et élégante la manière dont sont dépensés les impôts fédéraux. On voit notamment la part énorme du budget de la défense aux Etats-Unis. Ces procédés sont très utiles pour permettre aux citoyens de comprendre comment est utilisé l'argent public et selon quelles priorités.

En matière de transparence, de plus en plus d'initiatives se mettent en place. Nous avons, pour notre part, à l'OCDE, une commission chargée de la transparence et de l'intégrité, animée par un député israélien, dans laquelle nous abordons les questions de transparence des institutions parlementaires.

Vous pourriez aussi regarder ce que fait Open Parliament. Ce mouvement travaille avec des ONG qui assurent un monitoring des parlements sur plusieurs sujets, dont le budget.

Ce qui était intéressant au Canada, c'est que les autorités ont fait des sondages à questions fermées et en ont tiré des rapports. Elles ont aussi fait du crowdsourcing (production participative).

Enfin, le parlement du Pays de Galles, infranational, a beaucoup investi dans les questions de participation. Dans le domaine de la politique de santé, il a ainsi utilisé des plateformes digitales pour recueillir des informations auprès d'employés d'hôpitaux qui n'auraient pas eu sinon l'occasion d'être entendus en commission. Nous pourrons vous donner les contacts utiles.

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Aboubakry Sy, conseiller pédagogique, chargé des programmes de formation en finances publiques et en économie à l'École nationale d'administration

Pour rendre l'information plus accessible au citoyen, il faudrait d'abord lui permettre de prendre facilement connaissance de l'existant. Le compte général de l'État, par exemple, fait l'objet d'un document de quatre pages qui permet de saisir la réalité de ce compte assez rapidement.

Vous avez raison, madame la présidente, de souligner la nécessité de simplifier l'information et de la rendre intelligible et accessible. La transparence ne se réduit pas à la mise à disposition matérielle d'une information. C'est pourquoi les ONG comme Open Budget proposent souvent de travailler avec les citoyens : au lieu de faire du « top down », c'est-à-dire de partir du ministère des finances pour transmettre l'information aux citoyens, il faut voir avec les citoyens ce qui, pour eux, serait de l'information intelligible et coconstruire l'information budgétaire. Cela semble possible car on sent du côté de Bercy une réelle volonté en la matière : ils ont beaucoup investi du côté des réseaux et autres moyens de communiquer.

Pour ce qui est de la participation elle-même, il faut d'abord identifier les étapes de la procédure budgétaire auxquelles on souhaite que le citoyen participe ; on sait que la préparation de la loi de finances s'étale sur plusieurs mois. Le débat d'orientation des finances publiques, qui a succédé au débat d'orientation budgétaire, a lieu pendant l'été. Lors de ce débat, l'exécutif présente ses orientations budgétaires pour l'année à venir ; c'est un moment important auquel faire participer le citoyen car c'est l'occasion d'une mise en perspective de l'année budgétaire à venir, même si, à ce stade, la programmation budgétaire est déjà bien avancée. Un autre moment important dans la vie financière de l'État est celui de la discussion du programme de stabilité, qui a lieu chaque année, en avril-mai et qui engage la nation française à respecter les fameux critères de convergence – les fameux 3 % et 60 % –, avant de l'envoyer à Bruxelles. Il serait utile que le citoyen soit présent à ce moment-là pour pouvoir comprendre le pourquoi des efforts qu'on lui demande.

De manière plus globale, il serait bon d'instituer une sorte de comité citoyen budgétaire auprès des commissions des finances. Ce serait certes une vraie révolution culturelle mais cela permettrait de disposer d'une structure permanente et aux citoyens d'être représentés à tous les niveaux. Les commissions des finances interviennent en effet à chaque étape de la vie budgétaire de l'État – de la préparation de la loi de finances, même si le Gouvernement en a le monopole, à son vote et au suivi de son exécution.

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Vos interventions sont très intéressantes. Je retiendrai des propos de Mme Lisa von Trapp le fait qu'on n'entend plus beaucoup le Parlement une fois qu'il a voté le budget. Or, comme vous l'avez fort bien dit, le Parlement est d'abord un forum de citoyens. Nous devons donc absolument reprendre la main, non pas en compétition avec l'exécutif mais pour assumer nos responsabilités qui consistent à assurer la relation avec le citoyen à tous les stades de la loi de finances : en amont du vote, lors du vote et au stade du contrôle de l'application de la loi. Je vous remercie, en tant que représentants de l'OCDE, de mettre des mots sur un phénomène que nous avons identifié depuis le début de nos travaux. Nous ne nous trompons donc pas en traitant cet enjeu.

Quant à l'idée de M. Sy, consistant à créer un comité citoyen budgétaire, elle n'est pas sans poser problème puisque nous sommes les représentants du peuple. Cela étant, elle mérite d'être explorée. Elle a du reste déjà fait l'objet d'expérimentations dans certaines collectivités locales qui ont institué des jurys citoyens – outil en lequel le citoyen a peut-être plus confiance qu'en le député lambda. Avez-vous exploré davantage cette idée de comité ?

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Aboubakry Sy, conseiller pédagogique, chargé des programmes de formation en finances publiques et en économie à l'École nationale d'administration

Je ne l'ai pas approfondie. Elle n'en est qu'au stade de la proposition.

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Nous avons effectivement dans l'idée qu'il faut que le citoyen soit consulté complètement en amont de l'élaboration de la loi de finances pour savoir ce qui l'intéresse dans le budget. Nous ne voulons pas créer de dispositif inutile mais que le citoyen soit acteur et que tout le monde y gagne. Ce n'est pas en nous contentant de travailler sur l'intelligibilité, la transparence et le rendu pédagogique du budget – nous aurions dû le faire depuis longtemps – que nous rendrons pour autant la participation citoyenne effective. L'amélioration de la connaissance du citoyen est indispensable mais il faut trouver des outils qui nous permettront d'associer le citoyen aux travaux des députés tout au long de leur mandat.

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J'ai été intéressée par votre idée d'essayer de responsabiliser le citoyen et de lui faire comprendre les choix macroéconomiques qui sous-tendent une politique budgétaire particulière. Les data-visualisations et les initiatives menées à ce stade visent plutôt à la compréhension des grandes masses budgétaires. Comment franchir un pas supplémentaire ? J'ai bien entendu votre proposition de les faire participer aux débats préalables – programme de stabilité et orientation des finances publiques. Auriez-vous d'autres idées qui participeraient au même objectif, dans le cadre d'un budget particulier ?

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Aboubakry Sy, conseiller pédagogique, chargé des programmes de formation en finances publiques et en économie à l'École nationale d'administration

On ne participe pas à ce qu'on ne connaît pas : il faut donc oeuvrer à ce que le citoyen sache ce qui est en cause. On n'en fera jamais assez et je ne pense pas qu'on arrivera au jour où on se dira que tout est parfait et qu'il n'y a plus rien à faire. Comme Mme la présidente l'a dit, nous avons pris du retard ; c'est lié à notre histoire, à notre longtemps exclusivement institutionnelle de la transparence : il ne s'est jamais agi que d'informer le Parlement. Cela étant, c'est comme cela que la démocratie est née au XIXe siècle. Il faut aller jusqu'au bout.

Cela étant, Mme Lisa von Trapp y a insisté et j'y suis assez sensible, il ne faut pas créer de nouvelles formes d'exclusion. On parle des « citoyens » ; encore faut-il savoir de qui l'on parle. Il y a peut-être des citoyens que l'information budgétaire n'intéresse pas ou qui, faute de baigner dans des milieux permettant d'avoir une intuition de ces choses-là, ne se sentent pas forcément concernés. Il faut donc veiller à la cible et éviter que cette évolution, au départ heureuse, ne devienne que l'affaire de quelques-uns, de ceux qui, par goût ou du fait de leurs fonctions, s'intéressent aux finances publiques. Il ne faut pas que le ministère des finances s'interdise des initiatives que je ne l'ai pas encore vu prendre : un simple spot télévisé, très classique, ou sur autre support, qui présenterait les enjeux d'un budget public particulier, celui de l'enseignement supérieur et de la recherche par exemple, serait déjà quelque chose. Le citoyen en retiendrait ce qu'il en retiendrait, mais ce serait une avancée concrète et facile à réaliser. Il ne faut pas vouloir que tout soit parfait dès maintenant – ce ne le sera pas avant très longtemps – mais il y a des petits pas à faire, qui n'ont rien de bien compliqué.

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Lisa von Trapp, analyste à l'OCDE

Mme la rapporteure a évoqué l'idée de faire comprendre au citoyen les choix macroéconomiques qui sous-tendent une politique budgétaire. Nous avons la chance en Europe d'avoir créé des conseils budgétaires indépendants, ayant des mandats différents selon les pays : ainsi la France a un Haut conseil des finances publiques, dont le mandat est assez restreint. Mais dans de nombreux pays, force est de constater que les parlements n'utilisent pas assez les informations de ces conseils indépendants ; ils pourraient aussi les pousser à en fournir. La seule influence qu'aient ces institutions passant par les discours publics, elles ont intérêt à publier des informations compréhensibles et à simplifier les données complexes pour les citoyens.

De leur côté, les gouvernements font souvent des évaluations budgétaires et des études d'impact de leurs politiques, mais ces analyses ne sont pas nécessairement publiques. Il faudrait les inciter à communiquer là-dessus : pourquoi tel choix, quel a été l'effet observé dans les études ? Cela peut aider. Pour notre part, nous avons beaucoup travaillé sur les questions liées au genre et nous nous sommes aperçus qu'il existait sur le sujet beaucoup d'études de cas assez précises et compréhensibles par le public, et qui méritaient d'être diffusés afin de lui faire comprendre les enjeux.

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Merci pour vos exposés très intéressants. Le premier écueil à éviter, c'est celui de la fracture numérique. Si l'on veut s'ouvrir au citoyen, il faut être capable de parler à tout le monde. Cela ne mériterait-il pas un retour en arrière, tout simplement sous la forme d'un envoi, chaque mois, d'une petite lettre à tous les citoyens leur expliquant de manière factuelle les dépenses de l'État ?

Deuxième écueil, n'avez-vous pas le sentiment que cette opacité documents budgétaires est pour partie voulue par certains spécialistes des finances publiques désireux de garder pour eux leurs informations ? Les choses sont assez simples à expliquer quand on veut vraiment le faire : après tout, les Français sont assez intelligents pour gérer les recettes et les dépenses de leur propre foyer. N'avez-vous pas l'impression que les spécialistes freinent quelque peu cet effort de compréhension de budgets ?

Enfin, la transparence vaut-elle pour l'OCDE ? Vous l'appliquez-vous à vous-même ? Le budget de l'OCDE est-il lisible et disponible sur votre site internet ?

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Lisa von Trapp, analyste à l'OCDE

Rogne Downes me souffle que nous allons justement faire une étude sur le budget de l'OCDE… mais je pense que les choses sont assez transparentes. Tous les pays membres ont évidemment toutes les informations sur notre budget. Je ne crois pas que nous ayons prévu une information à destination des citoyens ; nous avons donc peut-être du travail à faire en ce domaine. Il est vrai que nous devons montrer l'exemple et que nous mettons plutôt l'accent sur la transparence dans nos pays membres qu'au sein de notre institution. Cela étant, la question de la transparence au sein des parlements continue à se poser, qu'il s'agisse des dépenses de fonctionnement ou du budget des députés. Au Royaume-Uni, par exemple, un scandale a éclaté lorsque des journalistes ont publié toutes les dépenses des parlementaires. Ce type de scandale peut survenir en France aussi. Nous devons aussi vérifier dans nos propres maisons…

Peut-on parler d'opacité voulue ? Il est vrai que les techniciens ont quelquefois tendance à sombrer dans la technicité, mais il y a aussi un manque d'intérêt des citoyens pour les questions budgétaires. On parle de participation des citoyens comme si les questions de finances publiques intéressaient tout le monde ; mais encore faut-il trouver le moyen de les y intéresser. Jamais personne dans ma famille, où le niveau d'éducation est pourtant assez élevé, n'a eu l'idée de regarder le budget fédéral des États-Unis…

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Aboubakry Sy, conseiller pédagogique, chargé des programmes de formation en finances publiques et en économie à l'École nationale d'administration

Nous sommes tous sensibles à l'enjeu de la fracture numérique. Il est clair qu'une communication financière publique adossée au numérique doit aussi prendre en compte cet enjeu. Il faut espérer que le plan « France très haut débit » aille jusqu'au bout et que l'on en finisse avec cette fracture numérique. Je suis totalement d'accord avec vous là-dessus.

Y a-t-il une opacité voulue ? L'opacité crée du pouvoir. Toute l'histoire financière des États, surtout dans les régimes autoritaires, montre que cette tendance à vouloir être le seul détenteur d'une information – ou du moins, à la maîtriser, techniquement – a toujours existé. J'ai d'ailleurs consacré de nombreuses pages de ma thèse à cette volonté de capter l'information et d'être le seul à la comprendre. Cela étant, on ne peut pas dire que la direction du budget s'emploie à créer de l'opacité : elle fait tout de même de la communication. Toute la question est de savoir où mettre le curseur de la technicité : simplifier au point que l'information ne veuille plus rien dire pose aussi problème. Si l'on parvenait à intégrer les destinataires – les citoyens comme les parlementaires – dans la conception de cette information, on gagnerait à comprendre ce qu'on veut vraiment produire. La direction du budget communique plus de 15 000 pages sur le seul projet de loi de finances : peut-être y a-t-il moyen de voir avec elle comment recentrer cette information et la travailler. Cela étant, ce ne sera pas simple : faire court prend du temps.

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Il faut que nous parvenions à trouver le vecteur qui permettra aux parlementaires de faire de la pédagogie, mais: de la participation citoyenne, nous attendons aussi des informations utiles. La transmission d'informations s'impose dans les deux sens. Il ne s'agit pas simplement d'afficher des données intelligibles sur un tableau ; il faut un dispositif interactif avec un citoyen acteur, que nous aurons trouvé le moyen d'intéresser, et qui sentira en mesure de jouer un rôle actif. Ce vecteur peut être une ONG, un peu sur le modèle de Transparency, mais directement orientée sur le budget et sur l'action, ou un comité citoyen. Nous sommes preneurs de toutes les suggestions à cet égard.

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Lisa von Trapp, analyste à l'OCDE

On a beaucoup travaillé avec des journalistes, notamment des spécialistes du Guardian, sur la manière de présenter différents types d'informations au public. Cette relation a été assez fructueuse. On oublie souvent que ces ressources existent ; les journalistes sont toujours très contents de les partager avec nous.

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Nous vous remercions très sincèrement de cette présentation. Si vous avez des documents à nous transmettre, n'hésitez pas.

La séance est levée à neuf heures cinquante-cinq.

Présences en réunion

Réunion du mardi 13 mars 2018 à 9 heures

Présents. – M. Nicolas Démoulin, Mme Paula Forteza, Mme Cécile Untermaier

Excusés. – Mme Véronique Louwagie