Intervention de Franck Riester

Réunion du mardi 18 février 2020 à 17h35
Commission des affaires étrangères

Franck Riester, ministre de la culture :

C'est un vrai plaisir que d'être cet après-midi devant vous, et pour la première fois, d'ailleurs, en ce lieu, pour parler d'un projet de loi majeur pour l'avenir de la diplomatie culturelle de notre pays. Certes, son titre est un peu long, mais il concerne notamment la souveraineté culturelle de notre pays, question à laquelle je vous sais très attachés. Je vous remercie de votre invitation, ainsi que de vos contributions, que Mme la présidente a bien voulu me transmettre. Nous étions convenus qu'il était important que nous en parlions ensemble, notamment lors de cette audition, même si, bien évidemment, j'ai bien pris en compte un certain nombre de vos remarques dans le cadre de la réflexion que j'ai menée avec mes équipes.

Depuis que je suis devenu ministre, je veille à ne pas exclure la dimension internationale du champ de la culture. De la même façon, les affaires étrangères ne sauraient évacuer la question de la culture. Mon collègue Jean-Yves Le Drian, que je tiens à saluer, et avec qui nous travaillons étroitement sur de très nombreux sujets, l'a rappelé la semaine dernière encore lors de son audition devant la commission des affaires culturelles et de l'éducation : la culture est un moyen de consolider la souveraineté et la place de notre pays - et de l'Europe – dans la mondialisation. La culture contribue au rayonnement de notre pays, partout dans le monde. J'en suis pleinement convaincu, et les voyages relativement nombreux que j'ai eu l'occasion de faire en quinze mois me l'ont démontré, si tant est que cela fût nécessaire. C'est tout particulièrement le cas dans le domaine de l'audiovisuel, bien sûr, à travers nos programmes audiovisuels, notre cinéma et nos contenus d'information.

Sur ce terrain, nous assistons depuis plusieurs années à une véritable bataille des contenus. De nouveaux diffuseurs ont vu le jour, avec des capacités d'investissement considérables et des offres de programmes globalisées. Des réseaux sociaux de plus en plus puissants se sont peu à peu imposés comme sources d'information. Ces nouveaux acteurs ont su séduire les Français, leur apporter des services souvent très appréciés, mais leur taille et leur caractère global portent le germe d'un risque d'uniformisation, le risque d'une domination sans partage des plus gros acteurs, qui sont tous étrangers.

Face à ce risque, nous sommes convaincus que nous devons donner à nos acteurs nationaux les moyens de rayonner davantage encore, et créer un cadre qui permettra l'intégration vertueuse de ces nouveaux acteurs étrangers à notre modèle, au bénéfice de la diversité culturelle. Je veux que nous donnions à nos acteurs nationaux les moyens d'être des champions. Le premier d'entre eux doit être notre audiovisuel public. Mon ambition est d'en faire une référence en Europe et dans le monde. Il a tous les atouts pour le devenir. En matière d'action audiovisuelle extérieure, notre pays a la chance d'avoir des acteurs dont le mérite est incontestable, et auxquels je sais que votre commission est particulièrement attachée.

Je pense en premier lieu, évidemment, à France Médias Monde. Pas plus tard que ce matin, j'ai participé à la matinale de Radio France internationale (RFI), qui est l'une de ses composantes. France Médias Monde est et doit rester le média français d'information internationale de référence, qui défend nos valeurs partagées d'indépendance, de démocratie et de pluralisme. À travers France 24, RFI et Monte Carlo Doualiya (MCD), France Médias Monde offre aux auditeurs et aux téléspectateurs, en quinze langues différentes et sur les cinq continents, une information ouverte sur le monde et sur la diversité des cultures et des points de vue, au moyen de journaux d'information, de reportages, de magazines et de débats. Dans l'environnement international complexe que nous connaissons, son rôle est plus essentiel que jamais : la liberté d'information, la lutte contre les « infox » – les fameuses fake news –, le rayonnement culturel de la France, l'éducation et la promotion de la francophonie doivent être au coeur de son action.

Je pense aussi, bien sûr, à TV5 Monde : distribuée dans plus de 200 pays auprès de 364 millions de foyers, elle est le premier outil de promotion des programmes audiovisuels français et francophones, lesquels représentent 68 % du temps d'antenne de la chaîne. La diffusion linéaire se doublera, à compter de cette année, d'une plateforme numérique en cours de développement, dénommée TV5 Monde plus. La France prend pour deux ans la présidence de la conférence de TV5 Monde, ce qui constitue une belle occasion de bâtir le prochain plan stratégique de la chaîne. Nous le ferons aux côtés de nos amis belges, suisses, canadiens et québécois, en liaison avec vous, parlementaires, et j'espère que nous serons très vite rejoints par d'autres.

La chaîne ARTE joue également un rôle tout particulier, et même central, dans le rayonnement de notre création. Utopie devenue réalité, elle est un modèle de la coopération avec nos voisins d'outre-Rhin, un pont essentiel entre nos deux pays. C'est également une entreprise dont la projection dépasse désormais la France et l'Allemagne : grâce à son offre numérique multilingue – ARTE en six langues –, elle est désormais partie à la conquête de nouveaux publics, en Europe et au-delà.

Enfin, les sociétés à vocation plus nationale que sont France Télévisions et Radio France ne doivent pas être oubliées. France Télévisions distribue ses chaînes dans 70 pays, auprès de 38 millions de foyers, et les auditeurs de Radio France se recrutent bien au-delà de nos frontières – j'en veux pour preuve les déclarations du fondateur de Twitter, Jack Dorsey, qui qualifie régulièrement FIP de « meilleure radio du monde ».

Les résultats de notre action audiovisuelle extérieure sont indéniables. Les défis à relever face à la transformation numérique, à l'émergence des nouveaux acteurs et au contexte international de plus en plus complexe le sont tout autant. Le projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l'ère numérique doit nous permettre collectivement de relever ces défis. Je le présenterai à la commission des affaires culturelles et de l'éducation la semaine prochaine, et il sera examiné en séance publique à partir du 30 ou du 31 mars.

L'une des ambitions de ce texte est de rendre notre audiovisuel public plus fort. Pour ce faire, il faut le transformer, notamment en renforçant la cohérence et la mise en valeur de son action internationale. Pour la première fois, le projet de loi fait de l'action audiovisuelle extérieure l'une des cinq missions prioritaires assignées à l'ensemble des sociétés de l'audiovisuel public. Ces objectifs communs supposent une gouvernance unifiée : France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l'Institut national de l'audiovisuel (INA) seront donc réunis au sein d'un groupe public, France Médias, qui aura vocation, je le disais, à définir la stratégie commune de ces sociétés, mais aussi à développer les coopérations entre elles. Notre audiovisuel public doit développer une ambitieuse stratégie tri-médias – radio, télévision et numérique –, à l'échelle nationale comme à l'échelle internationale.

Pour atteindre ces objectifs, l'intégration de France Médias Monde au groupe France Médias est une nécessité. Le ministre de l'Europe et des affaires étrangères et moi-même en sommes persuadés, c'est en faisant partie d'un groupe unifié que France Médias Monde participera au mieux au rayonnement international de la France et pourra exercer le plus efficacement possible ses missions de service public, si essentielles. C'est une formidable occasion d'approfondir et d'accélérer ses synergies avec les autres sociétés.

France Médias Monde restera l'acteur opérationnel de référence dans son champ d'action et continuera d'assumer la pleine responsabilité éditoriale de sa programmation

– j'insiste tout particulièrement sur ce point –, mais son expertise, ses ressources et ses contenus seront davantage mis à la disposition des services de France Médias qu'ils ne le sont dans l'architecture actuelle. C'est une chance, car il est essentiel de renforcer la présence et la qualité de l'information internationale sur nos chaînes nationales. À ce propos, j'étais ce matin avec les représentants de l'Union européenne de radio-télévision (UER), qui regroupe les sociétés de l'audiovisuel public en Europe. Son président, le directeur général de la British Broadcasting Corporation (BBC), a été très clair : le fait que la chaîne BBC World fasse partie du groupe BBC est une force, précisément parce qu'elle constitue un centre de ressources en matière d'informations internationales pour tout le reste du groupe. C'est ce que sera France Médias Monde pour le reste du groupe France Médias. En outre, cela permettra à chacune des sociétés de concentrer ses ressources sur ses spécificités, et donc à France Médias Monde de dégager, pour accomplir sa mission propre, une part plus grande des moyens qui lui sont alloués. Les orientations stratégiques et les axes prioritaires de développement spécifiques à France Médias Monde seront déclinés dans la convention stratégique pluriannuelle du groupe, qui vous sera soumise pour avis.

ARTE et TV5 Monde, en raison de leur situation – elles font intervenir un actionnariat étranger –, ne verront pas leur gouvernance modifiée : elles seront des filiales dites de second rang du groupe France Médias. Cela ne veut pas dire pour autant que les coopérations avec ces filiales ne s'accentueront pas, bien au contraire : je suis convaincu de la pertinence de mieux coordonner l'action de nos différentes entreprises de l'audiovisuel extérieur.

En matière d'audiovisuel public extérieur, le ministère de la culture n'est pas seul. Il peut compter sur l'engagement et l'appui du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, qui est associé à l'ensemble des décisions stratégiques relatives à France Médias Monde et à TV5 Monde. Cet esprit de coopération a prévalu lors des travaux de préparation du projet de loi, et il continuera à prévaloir à l'avenir, puisque des représentants du Quai d'Orsay siégeront au conseil d'administration de France Médias et de France Médias Monde. Tous ces acteurs seront autant de forces pour faire de notre audiovisuel public un champion international.

Cependant, pour faire de nos acteurs nationaux des champions, il faut aussi leur assurer un cadre de concurrence plus équitable. C'est ce que le projet de loi vise à créer, au bénéfice de la diversité culturelle. Je l'ai dit précédemment, l'arrivée de nouveaux acteurs dans le secteur audiovisuel apporte des services que nos concitoyens apprécient, mais elle porte aussi en elle le risque de l'uniformisation. C'est cette crainte qui fut à l'origine, dès le milieu du XXe siècle, de notre système vertueux de financement de la création. En effet, notre marché national est relativement étroit, et les investissements audiovisuels par nature risqués. La tentation est grande pour les diffuseurs de présenter des oeuvres déjà testées et amorties sur d'autres marchés, notamment le marché américain. Si nous ne fléchons pas une partie des investissements vers la création française et européenne, les diffuseurs se tourneront naturellement vers l'offre la plus susceptible de toucher un public mondial, c'est-à-dire l'offre américaine – ou peut-être, à l'avenir, l'offre chinoise ou indienne. Malheureusement, c'est ce que l'on constate déjà dans les catalogues des plateformes, qui ne sont pour l'instant soumises à aucune règle. Sur Netflix, on trouve en moyenne 1 % d'oeuvres audiovisuelles nationales dans chaque catalogue ; en France, c'est à peine mieux, avec 6 %.

Notre objectif est de donner à la production et à la diffusion française les moyens de résister. En consolidant l'audiovisuel français, le projet de loi vise, comme son nom l'indique, à réaffirmer notre souveraineté culturelle, et à le faire dans et par le respect des valeurs essentielles qui ont fondé notre modèle : la conviction que ceux qui profitent de la diffusion des oeuvres doivent contribuer à leur financement, et notre conception de la diversité culturelle et de la liberté de création, qui fait notre spécificité, notre richesse et notre chance

– elle est l'une des raisons pour lesquelles la France n'est pas un pays comme les autres.

C'est parce que nous défendons la diversité culturelle que nous voulons intégrer dans notre modèle les services visant la France qui échappent pour l'instant à toute régulation. La directive services de médias audiovisuels (SMA), que nous transposons dans le projet de loi, permettra de le faire. La France a joué un rôle central dans sa négociation, et nous pouvons être fiers d'être le premier pays à la transposer. Le Président de la République, le Gouvernement, l'Assemblée nationale – vous en particulier, membres de cette commission –, le Sénat et le Parlement européen se sont mobilisés avec les professionnels pour gagner les batailles décisives qu'ont été l'adoption de la directive SMA et celle de la directive sur le droit d'auteur. Il nous revient désormais de démontrer que nous sommes déterminés à les transposer rapidement – ce que nous faisons ici.

Grâce à cette transposition de la directive SMA, tous les diffuseurs qui visent la France, peu importe leur lieu d'implantation ou leur nationalité, devront contribuer à la production audiovisuelle et cinématographique, comme les acteurs historiques. Ils devront financer la production française et européenne à hauteur de 25 % de leur chiffre d'affaires pour les acteurs spécialisés dans le cinéma et l'audiovisuel, et de 16 % pour les services généralistes. C'est une question d'équité ; le texte marque ainsi la fin d'une asymétrie en matière de régulation qui portait préjudice à nos acteurs traditionnels, puisque seules les chaînes de télévision étaient assujetties à ces obligations de financement. C'est donc un moyen de renforcer l'audiovisuel français face à la concurrence des plateformes et de permettre à nos acteurs d'être pleinement des champions nationaux ; c'est, en définitive, la garantie d'une diversité culturelle mieux protégée.

Cependant, notre diversité n'a de sens que si on lui assure une visibilité, et pas seulement en France, d'ailleurs. En effet, notre création audiovisuelle a vocation à être exportée. L'intégration des acteurs internationaux à notre modèle de soutien à la création assurera aux oeuvres françaises et européennes une visibilité internationale. Le quota prévu par la directive SMA, qui est de 30 % d'oeuvres européennes pour toutes les plateformes visant l'Union européenne, est une chance extraordinaire pour nos productions. C'est important pour nos contenus en France, mais aussi à l'export. À cet égard, la réforme du régime de contribution à la production des éditeurs de services devrait permettre d'encourager l'exportation. D'une part, les chaînes de télévision pourront détenir des droits sur une part élargie de leur investissement dans les oeuvres audiovisuelles. Elles pourront donc retirer de leur exploitation des marges et des recettes plus importantes, et ainsi réaliser plus d'investissements stratégiques en France et à l'international et prendre davantage de risques dans le financement des coproductions internationales. D'autre part, les producteurs indépendants auront plus de droits. C'est une garantie de sécurité pour le modèle français de production, par opposition au modèle américain, qui est fondé principalement sur la production exécutive. C'est aussi la garantie d'une meilleure rétention des actifs en France, d'une plus grande circulation des oeuvres et d'une exportation facilitée, puisque les producteurs garderont la maîtrise de l'exploitation. De surcroît, le dispositif garantira une rémunération satisfaisante des ayants droit.

J'ajoute que le rayonnement de nos oeuvres est le parfait complément de notre rayonnement comme terre de tournage, ce que la France est redevenue depuis quatre ans : grâce au renforcement des crédits d'impôt, la France attire chaque année 622 millions d'euros de dépenses supplémentaires, ce qui a créé 30 000 emplois. Nous attirons de plus en plus de tournages étrangers, qui viennent profiter du savoir-faire de nos industries, des équipes de nos entreprises et, bien sûr, de nos studios. L'année 2019 a ainsi été la meilleure année depuis la création du crédit d'impôt international : Wes Anderson est venu tourner The French Dispatch à Angoulême et Damien Chazelle sa série Netflix The Eddy. Avec le ministre de l'économie et des finances, Bruno Le Maire, nous avons souhaité aller encore plus loin : le crédit d'impôt sera renforcé cette année, passant à 40 % pour les films à forts effets visuels qui viennent profiter du savoir-faire français dans ces domaines.

J'ai beaucoup parlé de diversité culturelle, mais une autre valeur est au coeur de notre modèle de l'exception française, et sera donc également au coeur du projet de loi : le droit d'auteur. Nous serons les premiers, je le disais, à transposer la directive SMA, mais c'est également vrai en ce qui concerne la directive sur le droit d'auteur. Vous le savez, nous avons déjà transposé une partie de cette directive dans la loi créant un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse. Le projet de loi relatif à l'audiovisuel servira de véhicule de transposition au reste de la directive. Il intègre de nouvelles dispositions, relatives à la responsabilité des plateformes en matière de partage de contenus portant atteinte au droit d'auteur. Les plateformes devront désormais conclure des licences avec les ayants droit pour diffuser leurs oeuvres. Nous n'accepterons pas la méconnaissance des principes du droit d'auteur ; nous n'accepterons pas que les autres acteurs de la chaîne de valeur cherchent à exclure les auteurs de la valeur créée.

Vous l'avez compris, le projet de loi marque une transformation importante : avec ce texte, nous érigeons un nouveau modèle ; un modèle plus équitable, car il imposera les mêmes règles à tous les diffuseurs ; un modèle plus juste, car il garantira mieux les droits des auteurs ; un modèle plus dynamique, car il ouvrira la voie à de nouvelles ressources pour notre audiovisuel. Avec ce texte, nous allons refonder l'audiovisuel, notamment public, pour qu'il soit plus fort, plus rayonnant et plus tourné vers le monde.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.