Intervention de Jean Terlier

Séance en hémicycle du mardi 28 janvier 2020 à 21h30
Protection des victimes de violences conjugales — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean Terlier :

La plus jeune avait 19 ans, la plus âgée, 85 ans. Leur point commun ? Elles ont été assassinées par un mari, un compagnon – et cela, presque en silence. Elles n'étaient pas n'importe qui : elles étaient les filles, les soeurs, les nièces, les amies et les mères de quelqu'un, les nôtres.

La violence conjugale est multiforme. Elle peut prendre la forme d'actes isolés, qui ne se reproduisent pas, ou bien d'actes répétés, habituels. Souvent réduite à la violence physique, aux coups et blessures, elle prend en réalité de nombreuses formes. La violence conjugale psychologique est une forme de violence bien réelle : les humiliations, le harcèlement, les menaces, les injures constituent bien souvent l'amorce des actes les plus graves. Cette violence conjugale est aussi souvent une violence de nature sexuelle : oui, le viol au sein du couple existe et c'est aussi un crime. La violence économique n'est pas plus rare que les autres : souvent, il y a un contrôle permanent, distillé au jour le jour, des dépenses, ou une privation de revenus.

La violence conjugale est souvent taboue. Pourtant les chiffres sont là, édifiants et têtus, pour en rappeler l'ampleur. Chaque année, entre 100 et 200 personnes décèdent des suites de violences conjugales. Chaque année, entre 1 000 et 1 200 viols conjugaux sont déclarés. Chaque année, ce sont en moyenne 60 000 actes de coups et blessures déclarés dont 50 000 par des hommes à l'encontre de femmes. En 2019, plus de 120 femmes ont été tuées. Chaque année, pour le dire clairement, une femme meurt tous les deux ou trois jours en moyenne de violences conjugales.

Non, la violence n'est pas l'apanage des hommes. C'est là une réalité souvent occultée, parfois niée, mais les hommes sont, eux aussi, victimes – moins que les femmes, mais le sujet est loin d'être anecdotique. Ce sont ainsi en France, chaque année, 82 000 hommes qui subissent coups, mauvais traitements et atteintes sexuelles.

Parce que ces violences dites « ordinaires » qui font chaque année des dizaines de milliers de victimes sont de vrais drames intrafamiliaux ; parce que ces violences meurtrissent des familles, ruinent et ôtent des vies ; parce que ne rien faire serait accepter toujours et parce que l'indifférence est aussi une violence, nous avons choisi de faire de la lutte et de la répression contre les violences familiales et conjugales un engagement prioritaire.

Issue des travaux menés pendant des mois par plusieurs milliers de personnes mobilisées, rassemblées à travers toute la France au sein des onze groupes de travail et des Grenelle locaux, notre proposition de loi opère des choix.

Tout d'abord, elle gomme certaines invraisemblances juridiques. Parce que le rapport entre la victime et l'auteur est biaisé originellement, la systématisation de la médiation pénale sera supprimée dans le cas de violences conjugales et la médiation familiale sera strictement encadrée.

Ensuite, nous faisons le choix de protéger les victimes directes et incidentes, notamment les enfants. La proposition de loi donne au juge la faculté de suspendre ou d'aménager l'exercice de l'autorité parentale et de ses attributs. Ainsi, le parent violent pourra être privé de son droit de visite et d'hébergement tout en continuant de devoir verser une pension alimentaire.

Nous voulons enfin renforcer la réponse pénale. Même si le harcèlement moral est aujourd'hui sanctionné par le code pénal, la proposition aggrave les sanctions encourues quand ce harcèlement est intraconjugal. Ce texte reconnaît encore le fait de « suicide forcé », avec l'instauration d'une nouvelle circonstance aggravante pour les auteurs de violences en cas de harcèlement ayant conduit au suicide ou à une tentative de suicide de la victime.

Nous le savons tous, les histoires violentes obéissent, presque toujours, à un même schéma de manipulations qui commencent par des dévalorisations verbales, et qui minent progressivement et profondément la confiance en soi. C'est un véritable travail de sape qui s'organise ; et quand arrivent les coups, la victime trouve presque cela « normal ». Combien de fois, mes chers collègues, avons-nous entendu pendant nos auditions : « je lui trouvais des excuses » ; « je me disais qu'il avait été maltraité » ; « je ne pouvais pas l'abandonner, il était le père de mes enfants » !

C'est bien une emprise psychologique aux ressorts puissants, qui rend tout départ extrêmement difficile, toute dénonciation quasi impossible et toute plainte impensable. Aussi notre proposition en inscrivant l'emprise dans les codes reconnaît-elle les violences sous quelque forme, physique ou psychologique, qu'elles s'exercent.

Et, mes chers collègues, parce que trop souvent les victimes subissent sans parler, notre texte élargit le champ de la levée du secret médical. Parce qu'il nous faut éviter de nouveaux drames, il faut permettre aux médecins de signaler plus facilement aux autorités compétentes des faits de violence graves et de danger immédiat. L'objectif n'est pas seulement de faire un signalement, mais aussi de mettre à disposition des victimes tous les moyens nécessaires pour les accompagner. D'ailleurs, à chaque fois, le praticien devra s'efforcer d'obtenir l'accord de la victime. S'il n'y parvient pas, il devra l'informer du signalement au préalable.

Ce texte a pour ambition de lever l'ambivalence dans laquelle les victimes de violences conjugales sont trop souvent plongées, entre victimisation et culpabilité. Pour les aider à gommer cette emprise qui les laisse croire qu'elles ont cherché les violences qui leur ont été assenées, je vous invite à voter la proposition de loi.

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