Intervention de Général Jean-Régis Véchambre

Réunion du mercredi 27 mars 2019 à 16h15
Commission d'enquête sur la situation, les missions et les moyens des forces de sécurité, qu'il s'agisse de la police nationale, de la gendarmerie ou de la police municipale

Général Jean-Régis Véchambre, président de la Société nationale d'histoire et du patrimoine de la gendarmerie (SNHPG) :

Nous fêtons cette année les dix ans d'une stratégie de défense et de sécurité nationale. En réalité, nous n'avons qu'une loi de programmation pour la défense. Il existe pourtant un Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale. C'est à partir de cette synthèse qu'il serait intéressant de réfléchir aux modalités de déclinaison d'une vraie sécurité de défense et de sécurité nationale, qui impliqueraient le territoire national où sont engagées les armées.

S'agissant du maintien de l'ordre, les annonces du Premier ministre en termes d'évolution de la doctrine constituent des pistes intéressantes pour répondre à la question suivante : à quoi sommes-nous confrontés depuis les années 1980 ? Même s'il y a déjà eu des manifestations violentes, la nouveauté, c'est ce phénomène d'imbrication incessante entre manifestants et groupes de casseurs ou black blocks, dont la doctrine est de lutter contre le capitalisme en s'en prenant notamment aux forces de sécurité et à ce qu'elles représentent. Leur action vise à détruire, puisqu'ils considèrent que cette violence est négligeable par rapport à la violence que le capitalisme fait subir à nos concitoyens.

Face à ces violences, la manoeuvre de l'ordre public doit être globale. Or, elle reste une manoeuvre classique – accompagnement et protection des manifestants pour faciliter le déroulement de la manifestation –, malgré le fait qu'elle doit faire face à des nouvelles difficultés découlant du non encadrement de ces manifestations.

Au lendemain des événements de 1968, une loi de 1970 prévoyait la mise en cause des organisateurs ; elle a été abrogée en 1981, ce qui a fragilisé les conditions légales dont nous disposions.

Ce qui a fondamentalement changé aussi, c'est l'acceptation, par nos concitoyens, par notre société et par le droit, du niveau d'emploi de la force. Nous sommes aujourd'hui dans un paradoxe, puisqu'on parle de violences policières. Nous ne sommes pas chargés de commettre des violences, mais de mettre en oeuvre la force légitime, c'est qui est différent.

Remettre les choses dans l'ordre est un enjeu institutionnel important. Nous parlons de zones à défendre, alors qu'il s'agit de zones occupées illégalement. Cette terminologie, qui est utilisée à dessein entraîne dans toutes les situations de violence que nous avons connues ces dernières années, une délégitimation de l'action des forces de sécurité. La question est la suivante : comment arriver à remettre, durablement, les choses dans l'ordre ? Car nous sommes allés très loin dans le désordre sémantique sur cette question.

Plus concrètement, le Premier ministre a annoncé une intégration des opérations de maintien de l'ordre dans un commandement unique intégrant l'ensemble des fonctions. L'ordre public n'a jamais été qu'une simple question de forces spécialisées ; c'est une question qui implique le renseignement, la police judiciaire, l'ensemble des moyens de la police administrative et les moyens des forces spécialisées.

Aujourd'hui, l'enjeu est le traitement de ces situations et la désimbrication des événements. La loi qui vient d'être votée apporte des solutions mais pour les déployer, pour mettre en oeuvre les outils qu'elle propose et atteindre les objectifs fixés, des moyens sont nécessaires.

Pour prendre l'ascendant sur l'adversaire, il faut d'abord l'identifier : première grande difficulté. L'identifier en amont, pendant et après. Sachant que ces individus, qui se mêlent aux manifestants, sont dans une continuité d'action entre les manifestations ; ce sont ces phénomènes durables qu'il convient de traiter avec d'autres moyens que ceux employés pour maintenir l'ordre public, au sens strict du terme.

S'agissant de la reconnaissance faciale, le système existe, mais il est au stade embryonnaire. Il serait temps de déployer un plan Marshall, une manoeuvre image, avec des caméras professionnelles, des hélicoptères, une intégration de la vidéoprotection dans des régies qui permettraient, en temps réel, d'identifier les incidents, de les nommer, d'identifier les personnes et de caractériser les infractions.

La justice est souvent mise en cause, mais notre capacité à établir la réalité des infractions commises peut également être remise en question. Nous avons besoin de moyens pour avancer dans cette direction.

En ce qui concerne le ciblage d'individus, le marqueur est une idée, mais il ne peut être utilisé qu'à partir du moment où l'individu est identifié. Nous devons donc trouver l'outil qui permettra ces identifications.

S'agissant du renouvellement du matériel, la solution évoquée, le « rétrofitage » des blindés, est une bonne idée, encore faut-il en avoir la capacité. Elle doit être complétée de manière très importante par des moyens qui soient davantage acceptés que le gaz que nous utilisons dans ce type de situation et qui a l'inconvénient de ne pas résoudre cette désimbrication. Le fourgon-pompe est également un moyen, mais il reste limité en volume et aurait besoin d'être démultiplié.

Concernant la création d'escadrons ou de pelotons, je vous répondrai que nous avons besoin des deux. Aujourd'hui, il serait illusoire de penser que nous pourrions rétablir la situation par la force. Nous sommes obligés de nous adapter à la diminution de l'exercice de la force et de la violence, ce qui implique de déployer un nombre important d'unités au sol – au-delà de tout l'environnement que j'évoquais –, nécessaires au traitement de ces situations.

Lorsque je suis entré en gendarmerie, il y a plus de quarante ans, en cas de situation violente, nous avions un gendarme pour un manifestant. Aujourd'hui, sur une opération comme celle de Notre-Dame-des-Landes, ce sont trois à sept gendarmes par manifestant qui sont nécessaires, car nous voulons que notre intervention et la conduite de l'opération soient comprises, et ainsi éviter d'être immédiatement stigmatisés par une action qui aurait été inadaptée.

Toutes les démocraties occidentales sont confrontées à cette problématique. C'est donc une vraie réflexion de fond qu'il convient d'engager sur ces questions.

Je profite de ma présence parmi vous, pour vous dire que, l'année prochaine, nous fêterons les 300 ans des brigades. Elles ont en effet été créées en 1720 à partir de l'expérimentation qui avait été réalisée en Île-de-France et à Paris. Ces brigades de la Maréchaussée étaient déployées à la fois sur les lieux de rassemblement et sur les lieux de passage – la police des flux. De fait, elles créaient de la proximité et de la polyvalence.

Et j'insisterai sur la question de la polyvalence. Le maintien de l'ordre est un enjeu pour l'entité renseignement, la police administrative et la police judiciaire. Et si la police administrative a vocation de faire la prévention, elle dispose également d'un volet répressif ; or ce volet répressif nous appartient, ne l'oublions pas.

Dans le dispositif territorial de la gendarmerie, nous nous sommes focalisés, et c'est normal, sur la question des polices municipales, mais la gendarmerie est présente sur l'ensemble du territoire, même dans les communes qui ne bénéficient plus de police municipale ; c'est la gendarmerie qui joue ce rôle.

Enfin, quand on parle de police de sécurité du quotidien, on pense tout de suite à la notion de proximité. Mais la tranquillité publique, l'insécurité locale, ne se séparent pas de la délinquance et la délinquance de la grande délinquance. Nous ne devons pas, dans nos réflexions, avoir des visions séparées. Il faut avoir une vision intégrée des questions, c'est essentiel. Il est important de comprendre que de nombreux problèmes d'insécurité concernent non pas un département, mais plusieurs, voire plusieurs régions.

Je suis favorable à la mise en place d'échelons intermédiaires de commandement qui pourraient apporter des réponses à ces problématiques, de plus en plus prégnantes, de lutte contre ces phénomènes de délinquance qui nous dépassent, et dépassent les échelons locaux. Des échelons qui pourraient mettre en oeuvre la suppléance, qui est notre système d'organisation – alors que nous sommes dans la subsidiarité : chaque échelon joue à son niveau. En jouant la suppléance, nous pourrions mettre en oeuvre les moyens au bon niveau, avec des moyens d'appui, dans une notion globale d'intégration de tous les moyens de renseignement, de police judiciaire et de police administratif – ainsi que des moyens spécialisés. C'est ce que nous devons arriver à produire, en complément des dispositifs de proximité du quotidien, qui sont essentiels, mais qui ne doivent pas faire perdre de vue tout ce qui relève du contrôle des flux.

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