Intervention de Capitaine Renaud Ramillon-Deffarges

Réunion du mercredi 27 mars 2019 à 16h15
Commission d'enquête sur la situation, les missions et les moyens des forces de sécurité, qu'il s'agisse de la police nationale, de la gendarmerie ou de la police municipale

Capitaine Renaud Ramillon-Deffarges, président national de la Fédération nationale des réservistes opérationnels et citoyens de la Gendarmerie nationale (FNROCGN) :

Mesdames et messieurs, je préside la Fédération nationale des réservistes opérationnels et citoyens de la Gendarmerie nationale, la plus ancienne association de réservistes, créée en 1996 à la demande du directeur général de l'époque, et ayant pour vocation de faire remonter au commandement un certain nombre de faits constatés sur le terrain, mais également de participer à la réflexion collective de la gendarmerie sur le statut des réservistes.

Les manifestations actuelles démontrent la fragilité du contrat social. La remise en cause de l'autorité de l'État, constatée sur l'ensemble du territoire, nous interroge. Comme l'a indiqué le géographe Christophe Guilluy, « le service public de la sécurité, auquel la gendarmerie contribue, représente, matérialise le dernier lien dans beaucoup de territoires, entre le citoyen et l'État républicain ».

Cette seconde commission d'enquête, en moins d'un an, sur les forces de l'ordre, est une bonne chose. Il nous paraît important que la réflexion sur notre politique de sécurité intérieure se fasse, comme pour les armées, dans un schéma global.

Ces dernières années, deux Livres blancs et une revue stratégique ont été consacrés aux armées. Nous pensons, après l'adoption de la loi de programmation militaire (LPM), qu'il est important que la politique de sécurité intérieure s'inscrive dans la même dynamique, notamment au vu de l'évolution de la délinquance qui impose bien souvent des évolutions budgétaires en matière de matériel et des évolutions législatives.

Ainsi l'annonce d'une possible loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure (LOPSI), par le ministre de l'intérieur lors de ses voeux aux forces de sécurité intérieure, est une bonne idée. Elle permettra notamment de fixer les grandes orientations de notre politique de sécurité intérieure, ainsi que les grandes orientations budgétaires, à l'heure où nous assistons à l'émergence du concept de sécurité globale, sur lequel le président de la commission d'enquête a beaucoup travaillé, et qui évoque la coproduction de sécurité, la politique partenariale et donc l'émergence d'un nouvel acteur dans le champ de la sécurité intérieure – les acteurs de sécurité privée.

La réserve militaire de la gendarmerie, ce sont 30 000 réservistes opérationnels et 1 500 réservistes citoyens. La réserve militaire, et plus particulièrement la réserve opérationnelle, permet à la gendarmerie de disposer d'un vivier d'utilisation souple, et ainsi de bénéficier d'une manoeuvre globale plus importante.

La réserve opérationnelle est un peu l'équivalent de l'effet multiplicateur keynésien dans le domaine économique, puisqu'elle nous permet de démultiplier nos forces sur le terrain et d'avoir une empreinte au sol beaucoup plus importante, notamment quand les brigades sont très occupées par des missions de police judiciaire alors que toutes les missions de police administrative, surveillance de proximité et sécurité du quotidien, doivent être assurées.

Notre réserve militaire est un modèle pour les autres armées notamment en termes de gestion. Par ailleurs, et c'est important de le rappeler dans le cadre des réflexions actuelles sur le service national universel, la réserve militaire de la gendarmerie participe fortement au lien nécessaire entre la nation et ses forces armées.

La sociologie du réserviste démontre toute sa richesse. Nous avons, d'une part, pour un tiers, les anciens de l'arme au passé militaire, et, d'autre part, des réservistes issus du civil. Il s'agit aussi bien d'étudiants, de chômeurs, de fonctionnaires, d'artisans que de professions libérales. Et c'est justement cette richesse qui participe à la réussite de notre modèle de réserve.

Ces réservistes, malgré leur vie professionnelle et personnelle, décident de renforcer, sur une partie de leur temps libre, les forces de la gendarmerie. Quand ils signent un engagement à servir dans la réserve (ESR), ils intègrent, comme leurs camarades d'active, la notion de sacrifice ultime, c'est-à-dire qu'ils peuvent payer de leur vie leur engagement. Je vous rappelle, mesdames et messieurs les députés, que quatre-vingts réservistes ont été blessés l'année dernière.

En ce qui concerne les freins actuels, le premier est budgétaire. Le budget de la réserve de la gendarmerie est une variable d'ajustement, non seulement pour la gendarmerie, mais également, de manière plus globale, pour le ministère de l'Intérieur.

Ce frein budgétaire est aujourd'hui problématique, alors même que le directeur général souhaite consolider notre modèle de réserve – la fidélisation de nos réservistes est une priorité. Il nuit également à nos chefs opérationnels, puisque le manque de visibilité budgétaire ne leur permet pas de concevoir une manoeuvre globale sur l'année. Comment, en effet, prévoir une manoeuvre pour les fêtes de fin d'année, quand vous n'avez aucune visibilité sur le budget ?

Ce coup de frein budgétaire est le second en moins de dix ans. Le premier a eu lieu en 2012, avec la mise en place de la révision générale des politiques publiques (RGPP), qui avait entraîné le départ de nombreux cadres, de sous-officiers, de gradés de réserve ; c'est-à-dire de ceux qui constituent le squelette de notre réserve opérationnelle. Alors que, le 31 décembre 2011, nous disions aux adjudants, aux lieutenants et aux capitaines de réserve : « Vous êtes formidables », le 1er janvier 2012 le discours a été : « Vous nous coûtez trop cher, nous ne pouvons plus vous employer » ! Nous avons perdu, en 2012, un grand nombre de camarades expérimentés sur lesquels l'institution avait beaucoup investi en matière de formation. En termes de budget cumulé, je suis persuadé que nous avons perdu plus d'argent que nous en avons économisé.

L'année dernière, grâce à une action du directeur général et du ministre de l'Intérieur de l'époque, nous avions obtenu des autorisations d'engagement sur le second semestre 2018. Mais les crédits de paiement n'ont pu être libérés avant 2019. C'est-à-dire que des réservistes ont travaillé pendant six mois sans être payés, alors que le sacrifice ultime fait partie de leur contrat.

Au-delà des moyens alloués par votre assemblée dans le cadre des projets de loi de finances, cette problématique budgétaire nous pousse à réfléchir à la nécessité de rechercher de financements innovants. Notre association, à travers le programme « les cadets de la gendarmerie », avait notamment proposé à la région de gendarmerie d'Île-de-France un financement innovant : un dispositif selon lequel des réservistes opérationnels encadraient des jeunes en stage de découverte de la gendarmerie. L'encadrement de jeunes n'étant pas la mission prioritaire des réservistes – la loi du 3 août 2009 rappelle que leurs missions prioritaires sont des missions de type opérationnel –, nous avions imaginé que les crédits de personnel, dits de titre 2, puissent être remboursés à la gendarmerie. Forte de cette réflexion, la région de gendarmerie d'Île-de-France, avec le conseil régional d'Île-de-France et Île-de-France Mobilités, qui a la volonté d'employer des réservistes sur le réseau ferré francilien et de démultiplier ainsi les forces de sécurité sur les réseaux de transport publics, a imaginé un dispositif similaire pour rembourser à la gendarmerie les salaires des réservistes employés. Sachant qu'il ne s'agit pas d'une mise à disposition, l'autorité d'emploi et le donneur d'ordres restent la région de gendarmerie d'Île-de-France. Par ailleurs, je tiens à préciser que nous ne sommes pas en train de lever une armée de mercenaires au profit du conseil régional d'Île-de-France.

J'attire votre attention sur ce dispositif, car la direction générale rencontre des difficultés à mettre en place ce mécanisme de financements innovants. Mais sachez que, si cette convention se met en place, ce sont 500 000 euros qui seraient débloqués, étant donné qu'un réserviste est payé en moyenne 80 euros par jour. Je vous laisse imaginer le nombre de réservistes qui pourraient être déployés sur les réseaux de transport publics franciliens et ainsi contribuer à la sécurité publique.

Les restrictions budgétaires sont également un frein au perfectionnement de nos réservistes, puisqu'elles ne permettent pas à l'institution de leur offrir la formation continue dont ils doivent bénéficier. Cette formation se veut exigeante et approfondie, les réservistes ne travaillant pas à plein temps. Attention, je ne dis pas que nos réservistes ne sont pas des professionnels ; je parle de perfectionnement.

S'agissant des autres freins, je citerai la relation entre les réservistes et les employeurs. Je vous l'ai dit, la réussite de notre réserve repose sur la diversité sociale des réservistes. Or, ceux-ci ont souvent un problème avec leur employeur pour se libérer et, sont parfois, obligés de puiser dans leurs réductions du temps de travail (RTT).

Plus généralement, notre modèle de réserve repose sur la loi des 35heures. Chaque année le Conseil supérieur de la réserve militaire (CSRM) remet un prix à l'entreprise qui a libéré ses salariés pour qu'ils puissent partir en mission. Une année, j'ai proposé d'attribuer ce prix à Martine Aubry et Dominique Strauss-Kahn, auteurs de la loi sur les 35 heures, nos réservistes étant aujourd'hui obligés de poser des RTT pour partir en mission ; c'était une plaisanterie, bien évidemment.

Nous devons cependant sortir de cette logique et les partenaires sociaux doivent s'emparer de cette problématique. La Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), le Mouvement des entreprises de France (MEDEF) et le secteur de l'économie sociale et solidaire (ESS) doivent réfléchir, avec les syndicats, à cette question pour trouver une solution « gagnant-gagnant ». Un réserviste, épanoui par les missions qu'il accomplis, est plus performant et productif au travail – des études menées par le CSRM l'ont démontré.

Une personne qui souhaite intégrer la réserve doit suivre une préparation militaire gendarmerie de quinze jours. Or, aucune disposition légale ne contraint un employeur à libérer ses salariés pour qu'ils rejoignent la réserve. Ils suivent donc cette formation pendant leurs congés ou prennent parfois des congés sans solde. Nous devons débattre de cette question avec les employeurs ; je ne pense pas que 30 000 réservistes puissent mettre à mal l'économie de notre pays quand ils s'absentent pour se former.

Des aides ont déjà été mises en place dans le cadre de la création de la Garde nationale, notamment une incitation financière et des réductions d'impôt mais ces mesures fiscales sont lourdes à mettre en oeuvre, notamment pour les petites et moyennes entreprises (PME). Des aides plus souples seraient nécessaires.

Les conventions entreprise-Défense se développent ; c'est une bonne chose. Se pose néanmoins la question de l'effectivité des droits. Notre association milite pour que soit créé, auprès du secrétariat de la Garde nationale, un poste de médiateur, dont la vocation serait de régler les contentieux qui existent entre le salarié et son employeur, quand ce dernier refuse de le libérer.

Je terminerai sur la question de la protection des réservistes. Cette protection doit intégrer la protection fonctionnelle, la protection balistique – je pense au gilet pare-balles qui va enfin être remis aux réservistes, alors qu'il est inscrit depuis bien longtemps déjà sur la feuille de route élaborée par le général Denis Favier – et la protection du matériel.

Concernant le matériel, les réservistes étaient, jusque récemment, doté de la même arme que le personnel d'active, le SP 2022, une arme commune à la police, à la gendarmerie et aux douanes. Le recrutement de personnels d'active et la décision d'attribuer une arme au gendarme pour toute sa carrière ont changé la donne : désormais les SP 2022 prévus pour les réservistes sont utilisés dans les écoles ; la gendarmerie a donc ressorti le PA MAS G1. Les réservistes possèdent désormais une arme différente que les actifs, alors même que la force de la réserve est construite sur le postulat selon lequel il n'existe aucune différence entre un réserviste et un gendarme d'active. Il serait bon d'acheter des SP2022 et de les attribuer aux réservistes.

Dernier point, la protection sociale du réserviste – dossier que notre association porte depuis 1996. Je vous rappelle que quatre-vingts réservistes ont été blessés, et que ces blessures ont eu un impact sur leur vie professionnelle et personnelle.

La loi de 1999 a mis en place la réparation intégrale du préjudice – confirmée par la dernière loi de programmation militaire –, qui prévoit la responsabilité sans faute de l'État. Les réservistes, juridiquement parlant, bénéficient d'un régime de protection maximale.

La gendarmerie, sous l'impulsion du général Denis Favier, du général Richard Lizurey et du général Alain Coroir, a mis en place un dispositif d'accompagnement à la protection sociale du réserviste, qui vise à aider le commandement dans la gestion des dossiers des réservistes blessés en mission. Nous disposons donc, en interne, d'un système performant. Cependant, ce sont les secrétariats généraux pour l'administration du ministère de l'intérieur (SGAMI) qui traitent les dossiers. Or ils ne sont pas habitués à traiter un dossier de militaire de la gendarmerie – il traite plutôt des dossiers des fonctionnaires de police – et encore moins d'un réservsite ; de fait, les procédures sont longues.

Traiter un dossier de réserviste n'est pas simple. Si la réparation intégrale du préjudice et la responsabilité de l'État sans faute sont prévues, la réparation doit être calculée en fonction de la profession du réserviste – et elles sont très variées. La mise en oeuvre est donc très compliquée. Nous avons besoin de fluidité et de souplesse. Un effort de formation des personnels de SGAMI doit être réalisé et une procédure devrait être élaborée pour les aider à traiter ces dossiers.

Au cours des débats relatifs à la loi de programmation miltaire (LPM), l'idée avait été émise de confier les dossiers des réservistes blessés en mission aux caisses primaires d'assurance maladie (CPAM). Mais, les CPAM ont un fonctionnement autonome – non hiérarchisé – et ne connaissent pas le statut des réservistes. Il est par ailleurs extrêmement difficile d'intervenir pour débloquer un dossier. C'est la raison pour laquelle, il est important que le traitement des dossiers des réservistes reste de la compétence du ministère de l'intérieur et des SGAMI.

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