Intervention de Annie Chapelier

Réunion du mardi 6 novembre 2018 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnnie Chapelier, rapporteure :

Chers collègues, le texte qu'il nous est proposé de ratifier aujourd'hui concerne les pays et territoires d'outre-mer (PTOM) de la France. Ce terme désigne les territoires liés constitutionnellement à un État membre de l'Union européenne. Ils sont ainsi « associés » à l'Union européenne au nom des relations particulières qu'ils entretiennent avec un État membre. À cet égard, les pays et territoires d'outre-mer ne sont pas soumis au droit européen. Ils sont aujourd'hui au nombre de 26 avant effet du Brexit en mars 2019 et sous réserve de la période transitoire de deux ans. Le Royaume-Uni dispose de 14 PTOM. Pour la France, il s'agit de la Nouvelle-Calédonie et ses dépendances, de la Polynésie française, de Saint-Pierre-et-Miquelon, des Terres australes et antarctiques françaises, de Wallis et Futuna et, depuis 2012, de Saint-Barthélemy. Mais le Danemark (Groenland), les Pays-Bas et le Royaume-Uni en ont aussi. Au total, ils représentent une population supérieure à un million d'habitants et des territoires dont l'importance est capitale pour l'ensemble de l'Union européenne.

Le projet de loi qui nous est soumis vise à autoriser l'adhésion de la France à la Convention dite Lugano II qui concerne la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale. Pour mémoire, avant la communautarisation de la coopération judiciaire civile, les règles de compétence, de reconnaissance et d'exécution en matière civile et commerciale à l'intérieur de la Communauté européenne étaient intégralement régies par une convention internationale fermée, la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968. Avec la communautarisation de la coopération judiciaire, cette convention a été transformée, sur la forme comme sur le fond, en règlement européen. Parallèlement, deux conventions Lugano I et Lugano II sont venues réglementer la coopération judiciaire avec les anciens pays de l'AELE.

Or, comme je l'ai dit, le droit européen ne s'applique pas directement aux pays et territoires d'outre-mer, qui appliquent donc encore la convention de Bruxelles. Il fallait donc combler ce vide juridique et cette différence de traitement entre territoire métropolitain et ultramarin.

Grâce à cet accord, la France y remédie par une adhésion formelle à Lugano II au nom de ses pays et territoires d'outre-mer. C'est donc désormais cette convention qui s'appliquera, en lieu et place de la convention de Bruxelles de 1968 à Saint-Barthélemy, à Saint-Pierre-et-Miquelon, dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises.

Je vous renvoie au rapport pour le détail du contenu de l'accord. Il s'agit principalement d'assurer aux pays et territoires d'outre-mer une sécurité et une prévisibilité juridiques plus importantes en cas de litiges civils et commerciaux transfrontières impliquant un ressortissant d'un État membre de l'Union européenne, l'Islande, la Norvège ou la Suisse. Ces litiges sont devenus en effet plus fréquents avec l'application des principes de libre circulation des biens, des services, des capitaux et des personnes. Les menus ajustements législatifs en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie ne font pas obstacle à l'adhésion de la France à la Convention de Lugano II. En revanche, la sécurité et la prévisibilité judiciaires en découlant constitueront un atout pour l'ensemble des pays et territoires d'outre-mer, levant une barrière juridique au développement de leurs relations commerciales.

J'en citerai un exemple, un autre figure dans le rapport : une société néocalédonienne a vendu d'importantes quantités de nickel à une entreprise allemande. Celle-ci ne veut pas payer le prix convenu, prétendant que le contrat est nul. Après l'entrée en vigueur de la convention de Lugano II, la société néocalédonienne pourra faire déclarer exécutoire en Allemagne le jugement rendu par le tribunal de Nouméa, aux fins d'exécution forcée en Allemagne, c'est-à-dire afin de faire procéder à des actes d'exécution matérielle sur les biens ou les actifs que l'entreprise allemande y possède. La procédure prévue par la convention Lugano II est plus simple que celle prévue par la convention de Bruxelles actuellement applicable.

Enfin, j'aimerais terminer par une rapide évocation du caractère tout à fait stratégique des pays et territoires d'outre-mer pour la France et l'Union européenne. On l'oublie parfois, mais notre pays est le « pays des trois océans », qui grâce à ses outre-mer possède l'un des premiers domaines maritimes au monde. Notre première frontière est celle que nous partageons avec le Brésil. Notre première zone économique exclusive est située dans le Pacifique. Or nos outre-mer sont hélas parfois les oubliés de notre réflexion géostratégique.

Il faut le rappeler coopération avec l'Union européenne permet tout d'abord aux pays et territoires d'outre-mer d'appuyer leurs efforts dans des secteurs clés pour leur développement : emploi et insertion professionnelle, tourisme, desserte maritime, développement numérique, télémédecine, gestion et conservation de la biodiversité terrestre et marine, énergies durables, adaptation au changement climatique, etc.

Mais les pays et territoires d'outre-mer contribuent aussi au rayonnement de l'Union européenne dans le monde, avec une dimension maritime essentielle – notre zone économique exclusive représente près de 11 millions de km² grâce aux pays et territoires d'outre-mer français ; une expertise à partager (gestion des risques, santé : télémédecine, greffes) ; une capacité à coopérer avec les pays voisins pour faire face aux défis communs (participation aux organisations régionales comme la Communauté du Pacifique, le Forum des Îles du Pacifique, le Programme régional océanien de l'environnement, l'Organisation des pêches de l'Atlantique Nord-Ouest).

Je ne citerai que quelques axes de coopération qui me semblent mériter une attention particulière. La défense de la biodiversité et de ressources naturelles exceptionnelles tout d'abord. Les pays et territoires d'outre-mer français regroupent 80 % de la biodiversité française et 10 % des récifs coralliens mondiaux (essentiellement dans la zone Pacifique). Ils ont fait de la conservation de la biodiversité une priorité. Il y a là un axe de coopération important. L'énergie ensuite. Les pays et territoires d'outre-mer sont des laboratoires d'initiatives à forte valeur ajoutée pour l'UE avec un très fort potentiel en matière d'économie verte et économie bleue, économie circulaire, énergies renouvelables, lutteadaptation au changement climatique. Enfin, la coopération universitaire : il existe des universités de pointe en outre-mer avec par exemple l'Université de Nouvelle-Calédonie et l'Université de Polynésie française ainsi qu'un réseau bien implanté de centres de recherche nationaux et locaux. Je crois savoir qu'il existe une réflexion actuellement sur la mise en place d'Erasmus régionaux, nous devons y accorder une attention particulière. La santé avec des services médicaux performants (modernisation récente des infrastructures, télémédecine en développement, coopération sanitaire avec des pays de leurs bassins géographiques respectifs).

Au bénéfice de ces remarques, je vous invite à adopter ce projet de loi

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