Intervention de David Gruson

Réunion du mardi 23 octobre 2018 à 11h40
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

David Gruson, membre du comité de direction de la chaire Santé de Sciences Po, professeur associé à la faculté de médecine Paris-Descartes, fondateur de l'initiative Ethik IA :

Je répondrai de manière groupée aux deux questions : comment traiter les dérives dans l'accès aux données de santé, et quelle est la faiblesse principale de notre système ?

La France dispose de données de santé de qualité mais aujourd'hui faiblement utilisées et valorisées pour améliorer le système de santé. Le constat a été dressé par le rapport de la mission de préfiguration du Health Data Hub souhaité par le Président de la République, rendu le 12 octobre. Dans son avis, le Comité consultatif national d'éthique indique que cette plateforme est une bonne voie de passage. Si nous sommes capables de créer cette interface technologique, qui permettra d'assurer un niveau de sécurisation et d'ouvrir un partage plus large des données de santé dans un cadre qui soit créateur de confiance, c'est sans doute la voie de passage à privilégier.

Si ce message est bien reçu en France, il conviendra assez vite de le faire passer au niveau européen, pour essayer d'avoir une démarche commune sur ces questions.

Quelle est la faiblesse prioritaire à traiter ? Il faudrait imaginer un régime plus efficace d'alimentation de ce futur Health Data Hub en données de santé. En effet, à partir du moment où nous créons une infrastructure technologique sécurisée, avec la garantie de bon fonctionnement et de sécurisation qu'apporte la puissance publique, nous pouvons peut-être nous permettre d'élaborer un mécanisme de recueil facilité de données. Notre droit connaît déjà un mécanisme de consentement présumé pour les prélèvements d'organes ; ce qui existe pour les organes pourrait exister, dès lors que le cadre de confiance a été créé, pour des données de santé dont le traitement serait mobilisé à des fins d'amélioration de la qualité et de l'efficacité du système.

Cela nous permettrait de sortir de ce que nous connaissons aujourd'hui, à savoir des bases de données de très bonne qualité, mais qui ne communiquent pas entre elles : des bases de données médico-administratives, comme le Système national d'information inter-régimes de l'assurance maladie (SNIIRAM), et des données cliniques réelles, comme les clichés d'imagerie qui sont aujourd'hui stockés dans les cabinets des radiologues ou dans les établissements de santé.

Je crois à une clé d'entrée pour le Hub, à la fois par des thématiques amenées par les associations de patients, et par les spécialités. Par exemple, les radiologues se sont organisés en jetant les bases d'un écosystème français d'IA en radiologie. Ils ont établi cet écosystème, avec leur société savante, la Société française de radiologie (SFR), la Fédération nationale des médecins radiologues (FNMR) et le Syndicat des radiologues hospitaliers (SRH). Ils ont essayé de définir des bases efficaces médicalement et responsables éthiquement de l'émergence de l'IA dans la discipline. Il y a là un point de contact à imaginer dans l'opérationnalité de l'émergence de l'IA.

Enfin, vous avez évidemment raison de mettre l'accent sur un enjeu absolument central, qui est celui de l'adaptation de la formation. La France a pris du retard. Elle commence à le résorber après une prise de conscience. D'abord du fait de l'annonce, par la Conférence des doyens des facultés de médecine (CDFM), de la mise en place en 2019 d'un module de sensibilisation des étudiants aux enjeux de la médecine algorithmique dès la première année de médecine, via le groupement d'intérêt public (GIP) de l'Université du numérique en santé. Il conviendra de développer des contenus plus spécialisés. Ensuite, du fait de l'annonce par la directrice générale de l'Agence nationale du développement professionnel continu (ANDPC) de l'inscription, dès 2019, de l'intelligence artificielle comme orientation prioritaire de développement professionnel continu (DPC) afin d'enclencher une dynamique de formation continue auprès des médecins.

Je terminerai en abordant la question de l'impact de l'IA sur les métiers, même s'il ne s'agit pas forcément d'un domaine législatif, car les changements peuvent être importants. C'est un sujet que nous avons étudié avec l'Institut Montaigne ; un rapport sera publié dans les prochains jours. Le débat public est très concentré sur l'impact de l'IA sur les spécialités médicales, mais en réalité, pour ces spécialités, les effets « ressources humaines » (RH) ne sont pas acquis et nous ne pouvons pas affirmer que telle ou telle spécialité médicale disparaîtra. Cela dépendra de l'évolution technologique et des choix qui seront faits pour les professions paramédicales adjacentes – radiologue, manipulateur en électroradiologie médicale, etc.

En revanche, nous mesurons d'ores et déjà des effets importants du déploiement de l'IA sur les fonctions ou les métiers supports. Comme dans d'autres secteurs de la vie économique et sociale, les fonctions du back office du soin sont l'objet de transformations très significatives pour lesquelles il est nécessaire de mettre en place une stratégie d'accompagnement, afin d'éviter des impacts brutaux pour certains métiers.

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