Intervention de Emmanuel Besnier

Réunion du jeudi 7 juin 2018 à 9h30
Commission d'enquête chargée de tirer les enseignements de l'affaire lactalis et d'étudier à cet effet les dysfonctionnements des systèmes de contrôle et d'information, de la production à la distribution, et l'effectivité des décisions publiques

Emmanuel Besnier, président-directeur général de Lactalis :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, si je suis ici parmi vous, c'est pour répondre aux questions légitimes qu'a soulevé l'accident sanitaire survenu dans notre usine de Craon. J'ai moi aussi la volonté de faire toute la lumière sur ce qui s'est passé, d'en tirer les enseignements et de mettre en place les mesures qui s'imposent pour que cela ne se reproduise plus.

Mais avant de commencer, je voudrais renouveler mes excuses, à titre personnel et au nom de tous les collaborateurs du groupe, aux familles des bébés malades et à celles qui se sont inquiétées. Je mesure pleinement la souffrance de ces familles. À ma connaissance, tous les bébés vont bien, et c'est vraiment l'essentiel pour nous. Oui, nous avons failli à notre mission qui est de garantir la mise sur le marché de produits sains. C'est notre contrat de base. Je le dis et je le répète, nous n'aurons jamais assez de mots pour nous excuser.

Je tiens toutefois à préciser que, contrairement aux accusations ou aux insinuations dont nous avons été l'objet, il ne s'agit absolument pas d'une fraude. À aucun moment nous n'avions eu connaissance de la présence de salmonelle dans nos produits finis, et toutes nos analyses sont libératoires. Les produits que nous avons commercialisés étaient donc sains, selon toutes les analyses réalisées. Il est essentiel de le rappeler.

Il est aussi essentiel de rappeler la probité des collaborateurs de l'usine de Craon, qui ont été très touchés professionnellement et personnellement par cette crise. C'est encore une période très douloureuse pour eux et, plus généralement, pour l'ensemble des collaborateurs du groupe. Notre professionnalisme a été mis à mal. Le groupe s'est retrouvé sous les feux des médias et de la critique, voire de propos diffamatoires. Je salue le courage et l'engagement des équipes pendant ces longues semaines.

Je pense qu'il est nécessaire de vous présenter le groupe. Lactalis est une entreprise familiale créée par mon grand-père à Laval, en Mayenne, il y a quatre-vingt-cinq ans. Issu d'une famille de tonneliers, mon grand-père avait eu la bonne idée de se lancer dans la fabrication de fromages. En octobre 1933, il fabriquait ses dix-sept premiers camemberts à la marque Le petit Lavallois. En 1955, quand il est décédé, Lactalis était une petite entreprise locale d'une cinquantaine de salariés. C'est mon père qui, en quarante-cinq ans, en a fait le leader de l'industrie française et européenne.

Je préside le groupe depuis maintenant dix-huit ans, avec pour objectif de poursuivre ce développement, notamment à l'international. Nos troupes sont constituées de 80 000 collaborateurs répartis sur 240 sites de production. Nous sommes une entreprise singulière, 100 % familiale, qui se développe mondialement depuis son siège de Laval, autour d'un seul métier : valoriser le lait sous toutes ses formes.

Notre mission est donc de faire partager au plus grand nombre toute l'excellence, la richesse et la diversité des produits laitiers. Fromagers à l'origine, nous avons la particularité d'être présents sur l'ensemble des catégories laitières : fromage, lait de consommation, beurre, yaourts, ingrédients industriels et poudre infantile.

Notre entreprise est fondamentalement rurale et française. Nous en sommes fiers et nous le revendiquons. Nos laiteries sont au milieu des campagnes : 85 % de nos collaborateurs habitent dans des villes de moins 10 000 habitants ; ils sont en contact direct avec les territoires et le monde agricole dont ils sont souvent issus. Le siège du groupe est à Laval, en Mayenne, et j'en suis fier. Nous sommes Français ; la France est notre moteur et j'ai coutume de dire que c'est le coeur du groupe. C'est notre histoire et l'origine de notre tradition laitière dont nous faisons la promotion dans le monde depuis plus de quarante ans. Même si nous sommes présents dans une centaine de pays, la France reste le marché principal : nous y réalisons environ un quart de notre activité ; nous y employons 15 000 collaborateurs dans soixante-dix usines réparties sur tout le territoire. Nous collectons du lait auprès de 15 000 éleveurs dans soixante-treize départements.

Enfin, notre groupe est discret, je l'assume et c'est largement lié à ma personnalité : j'ai toujours mis en avant l'entreprise et nos produits plus que ma personne. Dans cette discrétion, un certain nombre de rumeurs ou de fausses informations ont circulé. Certains veulent transformer cette discrétion en opacité, c'est une grave erreur. Je reconnais que cette discrétion fait que nous sommes mal connus et que cela alimente la suspicion.

Le groupe Lactalis est heureusement complètement différent de l'image que certains veulent lui attribuer. En termes d'organisation, notre société est composée de plusieurs divisions faisant chacune un métier spécifique. Lactalis Nutrition est la division qui gère la poudre de lait infantile. Elle compte 800 collaborateurs, un site de production à Craon et un siège commercial en Ille-et-Vilaine. Pour ce qui est du site de Craon, il était composé de deux tours de poudre lait infantile. La tour n° 1 était déjà en activité avant notre rachat du groupe Celia en 2007 et la tour n° 2, créée dans un nouveau bâtiment, a été mise en service en 2013.

Je voudrais revenir sur la chronologie des événements tels que nous les avons vécus, ce qui permettra de clarifier certains points et de répondre à quelques-unes de vos interrogations.

Le vendredi 1er décembre 2017 à 19 heures 46, la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations de la Mayenne, la DDCSPP 53, nous alerte sur la contamination de vingt jeunes enfants à la salmonelle Agona. C'est un véritable choc. Nous activons immédiatement notre cellule de crise. Dans la nuit, sur la base des premiers éléments transmis et grâce à notre traçabilité, nous identifions les douze lots correspondant aux trois références de produits concernés.

Le samedi 2 décembre, en accord avec les autorités, nous procédons au retrait- rappel de ces douze lots. Dans le même temps, nous mettons en place un numéro vert afin de répondre aux inquiétudes des parents et d'identifier de nouveaux cas potentiels. En parallèle, nous lançons spontanément une série d'investigations complémentaires, en procédant notamment à des analyses dans notre échantillothèque. À partir de cette date, il n'y a plus eu aucun cas nouveau de bébé malade. Tous les cas révélés ultérieurement sont ceux de bébés tombés malades avant le 2 décembre.

Le vendredi 8 décembre, au regard de nos investigations et de nouveaux résultats d'analyse, nous arrêtons la production et nous proposons une extension du retrait-rappel aux autorités. La DGCCRF nous informe vouloir procéder à un retrait plus large et par arrêté ministériel. Nous partageons toutes les informations à notre position pour en fixer les dates. À cet instant, toutes nos investigations convergeaient vers une contamination intervenue début mai 2017 sur les produits de la tour n° 1.

Le samedi 9 décembre, par arrêté préfectoral, l'activité poudre de lait infantile de Craon est officiellement suspendue.

Le dimanche 10 décembre, un arrêté ministériel est pris, prononçant le retrait et le rappel de 620 lots correspondant à l'ensemble des fabrications de la tour n° 1 depuis le 15 février 2017. Nous n'avons jamais contesté cette décision du ministre et, avec le recul, je répète que je pense que c'était la meilleure solution.

Le mardi 12 décembre, à la suite de nouvelles vérifications, nous constatons qu'il manque cinq lots dans la liste des 620 lots concernés par l'arrêté ministériel. Nous informons les autorités et nous étendons immédiatement le retrait-rappel à ces cinq lots. Ceux-ci ne concernaient que notre marque dédiée à la pharmacie et ils n'étaient donc pas commercialisés en grande distribution.

Le jeudi 21 décembre, compte tenu des résultats d'analyses contradictoires reçus entre le 12 et le 20 décembre, nous questionnons la fiabilité du test et nous décidons de procéder au retrait-rappel des 720 lots fabriqués dans la tour n° 2 depuis le 15 février 2017. Aujourd'hui, à la lumière de tous les éléments à notre disposition, nous pouvons dire que ces produits de la tour n° 2 n'étaient pas contaminés.

Le vendredi 12 janvier 2018, constatant les difficultés rencontrées par nos clients pour mettre en oeuvre le retrait-rappel, nous décidons de l'étendre à tous les produits fabriqués à Craon, quelle que soit la date. Au total, nous aurons fait un retrait-rappel de plus de 40 millions de boîtes, dont 12 millions en France.

Le 31 janvier Santé publique France publie un rapport sur l'analyse des cas de salmonellose Agona depuis 2000. Nous découvrons que vingt-cinq cas avaient été identifiés entre 2006 et 2017. Je décide alors la fermeture définitive de la tour n° 1.

Tout au long de ces semaines, nous n'avons eu d'autre préoccupation que d'arrêter les conséquences de cet accident pour éviter qu'il y ait de nouveaux bébés malades, autres que les quarante et un identifiés par Santé publique France.

Je voudrais maintenant répondre à certaines de vos interrogations.

Commençons par celles qui portent sur l'origine de la contamination. Dès que nous l'avons trouvée, nous l'avons communiquée. Des experts indépendants et reconnus ont validé notre explication. Cette contamination a eu lieu au pied de la tour n° 1. Des travaux ont été réalisés dans cette tour au 1er trimestre 2017, dans les espaces pourtant confinés ; des sols et des carrelages ont été cassés, libérant les salmonelles. Des équipements amovibles sur le bas de la tour n° 1, ajoutés uniquement pour produire de petites séries, ont alors été contaminés. La poudre elle-même était contaminée de manière sporadique.

Vous avez aussi posé des questions sur nos autocontrôles. Notre groupe met, tous les jours, des millions de produits sur le marché. La sécurité de nos consommateurs est notre obsession quotidienne. Des bactéries pathogènes comme les salmonelles se trouvent partout dans la nature. Notre objectif est donc de prendre toutes les mesures d'hygiène pour permettre qu'elles n'entrent pas dans l'usine.

Nous réalisons des millions d'analyses et de contrôles. À titre d'exemple, sur le seul site de Craon, nous faisons plus de 200 000 analyses par an dont 40 000 sur les agents pathogènes. À Craon, neuf techniciens de laboratoire sont formés et dédiés aux autocontrôles. Ils sont aussi en charge des prélèvements et des analyses, en application du plan de maîtrise sanitaire validé par les autorités. Nous effectuons quatre niveaux d'analyse : sur l'environnement par des prélèvements aléatoires à différents endroits du site, réalisés avec des lingettes ; en sortie de tour par des prélèvements en continu, automatisés, systématiques et représentatifs de l'ensemble de la production ; sur les ingrédients ; sur les produits finis par des prélèvements automatiques de boîtes envoyées fermées au laboratoire externe.

Ces contrôles servent de sonnette d'alarme. Si nous avons un contrôle positif, nous lançons immédiatement tout un plan d'analyses complémentaires, des actions de nettoyage et de désinfection. Ce n'est ni banal ni exceptionnel d'avoir des environnements positifs dans une usine. Ce qui est primordial, c'est le bon calibrage du nombre d'autocontrôles et le plan d'action qui suit. Nous avons un engagement de résultat et nos autocontrôles existent pour qu'il soit respecté.

L'ensemble des résultats de ces autocontrôles est consigné dans un registre dédié et consultable à tout moment par les autorités lors de leurs contrôles. Jusqu'à présent, la loi ne prévoit la transmission aux autorités que des seules analyses positives de produits finis mis sur le marché, pas de celles concernant l'environnement. Les responsables de la DGAL l'ont d'ailleurs confirmé devant vous. À ma connaissance, aucune entreprise ne transmettait ses analyses de manière volontaire. On a voulu faire apparaître la non-transmission de nos analyses en environnement comme un comportement inhabituel et lié à la non-transparence de Lactalis. Or c'est la règle générale dans l'industrie. Si la réglementation devait évoluer, nous nous y conformerions bien évidemment. Plus que la transmission aux autorités de contrôles positifs, c'est le plan de maîtrise sanitaire de chaque usine qui est primordial. Les autorités de l'État pourraient se concentrer sur l'existence d'un plan d'analyse minimum.

Toutes les analyses du groupe sont confiées à des laboratoires externes certifiés. Je réfute donc toute ingérence dans le travail de ces laboratoires. Nous nous interrogeons toujours, comme je l'ai dit, sur les résultats des analyses confiées au laboratoire externe. Nous ne comprenons pas comment plus de 15 000 analyses, effectuées en 2017 avant le 1er décembre, n'ont révélé aucun résultat positif sur nos produits. À la suite de l'accident, entre le 1er et le 31 décembre 2017, nous avons lancé une série de contre-analyses sur les mêmes lots de produits finis. Sur les 3 600 analyses réalisées, soixante-deux étaient positives. Il est évident que si un résultat positif avait été communiqué avant le 1er décembre, aucun produit n'aurait été mis sur le marché. La crise aurait pu ainsi être évitée.

Je voudrais aussi évoquer l'impact de cet accident sur les salariés du groupe et les producteurs de lait. À mes yeux, il s'agit d'un point crucial auquel j'ai toujours porté la plus grande attention. Notre volonté a toujours été de limiter autant que possible l'impact de cet accident sur nos collaborateurs. C'est pourquoi nous nous sommes très rapidement engagés dans une démarche de mobilité afin d'offrir à chaque salarié une proposition d'emploi au sein du groupe dans un autre site ou une autre division. Ce ne fut pas chose aisée, et je salue ici la responsabilité de nos organisations représentatives du personnel et celle de nos collaborateurs. Malheureusement, en dépit de tous ces efforts, nous ne pourrons peut-être pas apporter de solution recevable pour certaines des 800 personnes concernées. S'agissant des producteurs de lait, je répète ici que la crise n'aura pas d'impact sur eux. Le lait est envoyé dans d'autres sites du groupe. Nous assumons bien évidemment les conséquences financières de cet accident. C'est une force pour cette activité d'appartenir à un grand groupe. Sans le soutien de Lactalis, cette filiale serait en faillite totale, ce qui entraînerait des répercussions sur 800 salariés et plus de 500 producteurs de lait.

Pour conclure, je voudrais vous faire part des mesures que nous avons mises en place, à la suite de cette crise. Nous devions tirer les leçons de cet accident pour les familles, pour nos consommateurs, pour nos collaborateurs et pour tous ceux qui travaillent à nos côtés. Aujourd'hui, nous relevons encore d'un niveau notre exigence en termes de qualité sanitaire et de contrôle pour assurer une sécurité toujours plus forte.

Je vais vous en donner trois exemples clairs dans le cadre du redémarrage de la tour n° 2 : la refonte du zoning, des sas et des protections associées, ainsi que des règles d'hygiène sur le site ; le renforcement des plans d'analyse ; le recours à plusieurs laboratoires d'analyses. Toutes ces mesures ont été présentées et partagées avec les autorités. C'est dans ce cadre que ces dernières nous ont autorisé, la semaine dernière, à faire des tests sur de la poudre pour adulte.

Monsieur le président, cette commission d'enquête a aussi pour objectif de faire des propositions pour que cela ne se reproduise pas. Si vous le permettez, je voudrais vous livrer quelques pistes de réflexion sur les enseignements à tirer de cette crise.

Tout d'abord, nous devons travailler avec la distribution sur l'évolution du code-barres actuel, voire sur son remplacement à terme par un système permettant une meilleure identification des lots, car la procédure de retrait ou de rappel ne peut que rester au niveau des lots.

Il me semble important, comme cela a été évoqué par d'autres, de mettre en place une plateforme unique et officielle récapitulant l'ensemble des rappels sur le territoire français, afin de mieux informer le consommateur.

Pour la poudre infantile premier âge, vu la fragilité des bébés de moins d'un an, ne serait-il pas opportun d'abaisser le seuil d'alerte par les autorités sanitaires ? Actuellement, l'alerte est déclenchée quand huit malades ont été détectés au cours d'une même semaine. Ne pourrait-on pas avertir le fabricant à chaque cas pour qu'il puisse effectuer des investigations en profondeur ?

Nous avons décidé de répartir nos autocontrôles sur au minimum deux laboratoires différents pour les ateliers qui fabriquent du lait infantile et cette mesure pourrait être généralisée.

Mesdames et messieurs les députés, j'espère avoir répondu à vos questions. Je voudrais vous réaffirmer que nous tirons les leçons de cet accident, que mes équipes et moi-même sommes décidés à retrouver le chemin de la confiance.

Je cède maintenant la parole à M. Boinard qui va vous expliquer les procédures de retrait-rappel.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.