Intervention de éric Dupond-Moretti

Séance en hémicycle du mardi 13 juillet 2021 à 15h00
Prévention d'actes de terrorisme et renseignement — Présentation

éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice :

Nous ne sortirons vainqueurs de la lutte contre le terrorisme islamiste qui menace et endeuille notre nation qu'à la condition que notre engagement commun soit sans faille. Cet engagement doit se traduire notamment par la capacité d'adapter nos outils techniques et juridiques afin d'appréhender encore plus efficacement la totalité du spectre des menaces terroristes. C'est le sens même des dispositions du projet de loi dont nous débattons à nouveau aujourd'hui, après l'échec de la commission mixte paritaire la semaine dernière.

Ce combat, vous le savez déjà, le Gouvernement s'y est pleinement consacré en accordant une augmentation historique de 8 % au budget du ministère de la justice, en créant, avec le parquet national antiterroriste, une juridiction entièrement dédiée, en accroissant le nombre de quartiers d'évaluation de la radicalisation et, comme vient de le rappeler Mme Schiappa, en créant 10 000 postes de policiers et de gendarmes supplémentaires.

Ces actions et ces efforts sont indispensables pour gagner la lutte contre le terrorisme islamiste et ne plus vivre les drames que nous avons connus encore récemment. Je veux bien sûr avoir une pensée toute particulière pour chacune de leurs victimes, qu'elles soient civiles ou membres des forces de sécurité intérieure. Je souhaite ici leur rendre hommage.

Dans cet engagement qui est le nôtre contre le terrorisme islamiste, je viens porter devant vous l'objectif que s'est fixé avec constance la Chancellerie : réduire drastiquement la menace que représentent les personnes condamnées pour des actes de terrorisme, qui manifestent encore, alors que leurs peines arrivent à terme, des signes de dangerosité.

J'ai déjà eu l'occasion de le dire devant vous : d'ici à la fin de l'année 2023, 162 personnes actuellement détenues pour actes de terrorisme en lien avec la mouvance islamiste auront purgé leur peine. Or certaines d'entre elles présenteront sans doute encore des signes de radicalisation à l'approche de cette échéance.

Je veux saluer avec force et gratitude l'action et l'implication des agents de l'administration pénitentiaire, ainsi que la qualité du travail réalisé dans nos établissements pour endiguer la radicalisation. Malheureusement, tous ces efforts ne sont pas suffisants et, en l'état actuel du droit, ces mêmes détenus se verraient quitter la détention sans suivi ni accompagnement adaptés.

L'article 5 du projet de loi tel qu'adopté en première lecture par votre assemblée proposait précisément de combler cette lacune en créant une nouvelle mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste et de réinsertion, permettant notamment de contraindre la personne condamnée à une série d'obligations que la loi ne pouvait pas lui imposer jusqu'à présent. Ces nouvelles dispositions s'inscrivaient dans une parfaite complémentarité entre l'autorité administrative chargée de la surveillance et du contrôle des individus sortant de détention, et l'autorité judiciaire, qui assurait leur suivi et leur réinsertion au moyen d'obligations et d'interdictions spécifiques.

Enfin, la rédaction des dispositions de l'article 5 tirait toutes les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel du 7 août dernier de censurer la proposition de loi instaurant des mesures de sûreté à l'encontre des auteurs d'infractions terroristes à l'issue de leur peine. Tandis que cette proposition de loi s'inscrivait déjà dans notre volonté commune d'apporter une solution à la nouvelle menace des sortants de prison condamnés pour terrorisme – je tiens d'ailleurs à saluer votre engagement sans faille, madame la présidente de la commission des lois, chère Yaël, ainsi que celui du rapporteur, cher Raphaël –, le Conseil constitutionnel était venu rappeler au législateur l'impérieuse nécessité de veiller au caractère adapté, nécessaire et proportionné de mesures restrictives de liberté lorsqu'elles sont imposées à des personnes ayant purgé leur peine.

En première lecture, le Sénat a toutefois souhaité réécrire l'article 5 du projet de loi en mettant en péril les équilibres trouvés avec l'article 3 et les mesures administratives, au risque d'une nouvelle censure constitutionnelle. Ce n'était pas acceptable au regard de l'importance des enjeux dont il est ici question. En effet, le nouveau dispositif proposé par le Sénat crée une mesure judiciaire de sûreté mixte, comprenant non seulement des obligations destinées à la réinsertion similaires à celles prévues par le projet de loi du Gouvernement, mais également des obligations destinées à assurer la surveillance de la personne. Or certaines de ces obligations et interdictions sont similaires ou voisines de celles prévues par les MICAS, comme l'interdiction de paraître dans certains lieux ou de fréquenter certaines personnes.

Une telle superposition de dispositifs de sûreté différents, placés sous la responsabilité d'autorités différentes, susceptibles d'être appliqués à des mêmes fins et aux mêmes personnes et prévoyant des prescriptions similaires ou identiques, crée une complexité qui menace la sécurité juridique de l'ensemble du dispositif et fragilise l'efficacité de l'action de l'État dans sa lutte contre la radicalisation. Par ailleurs, et c'est peut-être encore plus grave, la réécriture du Sénat ne répondait pas complètement aux exigences constitutionnelles rappelées par le Conseil constitutionnel, s'agissant, en particulier, des conditions de renouvellement de la mesure.

C'est à l'aune de ces considérations que le Gouvernement salue le rétablissement par la commission des lois de l'Assemblée nationale de la rédaction de la mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste et de réinsertion afin que le régime applicable aux détenus terroristes ayant purgé leurs peines s'inscrive, de manière cohérente et conformément aux exigences constitutionnelles, dans la législation existante destinée à prévenir les actes de terrorisme et que ce régime puisse enfin entrer en vigueur.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.