Intervention de Julien Denormandie

Réunion du vendredi 25 mars 2022 à 9h00
Commission des affaires économiques

Julien Denormandie, ministre :

Monsieur Moreau, l'aide à l'alimentation animale ne concernera pas les seuls monogastriques, mais sera au bénéfice de tous les éleveurs – y compris ceux pratiquant la polyculture-élevage. Nous finaliserons lundi prochain, avec les professionnels, les seuils de déclenchement. Je pense qu'ils seront fixés assez bas, autrement dit à une dépendance à l'alimentation animale extérieure assez faible, et qu'il y aura des taux différenciés en fonction du niveau de dépendance. Le cadre global sera parachevé au tout début de la semaine prochaine. Nous souhaitons en discuter avec les professionnels pour être certains de toucher un maximum d'éleveurs.

On constate l'augmentation d'un certain nombre de prix de vente, ce qui est heureux. Ainsi en est-il pour l'allaitant ou pour le porc, lequel a vu son cours s'élever de près de 40 centimes depuis un peu plus d'un mois. Cela étant, les prix demeurent inférieurs aux coûts de production. Certains éleveurs travaillent toujours à perte. Dans un certain nombre de secteurs, le prix augmente, mais dans des proportions inférieures à ce qui serait nécessaire pour couvrir les coûts de production. Je m'inquiète en particulier pour le secteur laitier. Je voudrais être sûr que les aides que nous instituons apportent des solutions aux producteurs.

Pour répondre à votre seconde question, je confirme que les polyculteurs-éleveurs seront éligibles au dispositif de prise en charge des cotisations sociales. Tout agriculteur peut y prétendre dès lors qu'il est en difficulté : cela ne dépend pas de la nature de son activité.

Monsieur Bolo, l'épidémie de grippe aviaire à laquelle nous sommes confrontés est d'une ampleur inédite. Classiquement, l'influenza est propagée par les oiseaux migrateurs lorsqu'ils se dirigent vers le sud, et affecte alors le Sud-Ouest. Or, pour la première fois de mémoire d'anciens, le virus est déposé par les oiseaux qui remontent vers le nord. Il touche la Vendée et les Pays de la Loire ; l'Italie connaît les mêmes difficultés.

Monsieur Jean-Luc Mélenchon explique sur tous les plateaux de télévision et de radio que la propagation de l'épidémie est due au mode d'élevage. J'espère que vous lui expliquerez, madame Taurine, qu'il n'y a aucune corrélation : le virus est apporté par les oiseaux migrateurs et tous les élevages sont touchés, qu'ils soient ouverts ou couverts ; les mesures de biosécurité ont permis de le montrer. En revanche, ce qui joue dans la propagation du virus, c'est la densité des élevages dans les territoires. Le protocole de biosécurité, que vous connaissez bien, madame Taurine, veille à sacraliser le mode d'élevage, y compris quand il s'agit d'élevages en plein air, contrairement à ce que l'on faisait auparavant – et ce, même si Stéphane Le Foll, qui a dû faire face aux premières crises, a accompli un travail absolument remarquable. Pour les élevages en plein air, nous préconisons l'installation de filets de sécurité plutôt que la claustration.

Mais le virus auquel nous faisons face est d'une contagiosité incroyable. Il n'a plus rien à voir avec celui qui avait touché le Sud-Ouest : il se transmet de manière aéroportée, alors que d'habitude l'influenza aviaire se propage à l'occasion des déplacements humains et des mouvements de matériel, ou de gros coups de vent. Qui plus est, le virus touche aussi bien les palmipèdes que les poulets, alors que, normalement, ces derniers sont beaucoup plus résistants.

Vous avez tout à fait raison, monsieur Bolo, de souligner l'importance du recours au chômage partiel ou encore à l'activité partielle de longue durée (APLD). La région Pays de la Loire, par exemple, est quasiment au plein-emploi : si des élevages, des abattoirs ou des unités de transformation doivent fermer en totalité, ou même en partie, et que le personnel s'en va, le secteur aura par la suite de grosses difficultés pour recruter. Nous sommes donc en train d'instaurer des dispositifs de chômage partiel et d'APLD, en liaison avec le cabinet de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.

Tous les éleveurs affectés touchent des indemnités, quels que soient les modes de vente et de production. En ce qui concerne la rapidité du versement, nous procédons comme nous l'avons fait pour le Sud-Ouest, c'est-à-dire en deux temps : d'abord les aides liées à la situation sanitaire, c'est-à-dire au dépeuplement des élevages, puis les aides économiques, tenant compte de la perte d'activité entre le dépeuplement et le repeuplement. Le versement des premières a commencé dans les Pays de la Loire et il est quasiment achevé dans le Sud-Ouest – à mon arrivée au ministère, il fallait attendre en moyenne douze à dix-huit mois avant que le premier euro soit versé : les process ont été modifiés de manière à accélérer les versements. Le déblocage des aides économiques, quant à lui, prend plusieurs mois, car il faut mesurer la perte d'activité.

Monsieur Benoit, l'arrêté relatif au dépeuplement vise notamment à préserver des zones de production, ce qui met en jeu la conservation du patrimoine génétique des espèces. Une réunion avec les professionnels a lieu aujourd'hui même. Du reste, il s'agit d'un arrêté additionnel, car nous en avions déjà pris plusieurs.

Madame Tiegna, madame Taurine, nous avons énormément investi, au cours des deux dernières années, en faveur de la biosécurité, dans le prolongement de ce qu'avaient fait Stéphane Le Foll puis Stéphane Travert – Didier Guillaume, pour sa part, n'avait pas eu à connaître d'épidémie d'influenza aviaire. Nous avons également fait en sorte que la filière prenne des engagements, y compris – ce qui était une première – pour diminuer la densité dans certains territoires.

Cela dit, il ne faut pas se leurrer : j'ai la conviction qu'on n'échappera pas à un vaccin contre le virus. À cet égard, la position de la profession elle-même a évolué. Il n'est pas possible de vivre avec une telle épée de Damoclès au-dessus de la tête. Absolument tous les types d'élevage sont visés, en plein air ou non, claustrés ou non. On n'arrivera pas à installer de jeunes agriculteurs si l'on n'écarte pas cette menace. Depuis deux ans, nous avons travaillé dans ce sens. Au niveau national, les tests portant sur deux vaccins commenceront dans les prochaines semaines. Au niveau européen, également, nous avons défendu le recours à un vaccin, notamment auprès des autorités vétérinaires. Nous essayons de parvenir à un consensus. Comme vous le savez, l'utilisation d'un vaccin ne dépend pas seulement d'une décision nationale : elle s'inscrit dans un cadre international, notamment européen – en l'espèce, celui du marché commun. Tout cela prend du temps, mais nous avançons. J'ai d'ailleurs prévu d'aborder la question lors du Conseil des ministres de l'agriculture, le 7 avril prochain.

M. Potier, M. Herth et Mme Deprez-Audebert ont évoqué la stratégie « Farm to fork ». J'ai toujours été très clair sur ce point : je ne remets pas en cause les objectifs et la vision politique consistant à opérer une transition agroécologique en Europe. C'est même une nécessité impérieuse. Du reste, cette transition est un élément essentiel de la stratégie de résilience et d'indépendance que je défends. Mais il faut lui adjoindre des objectifs politiques en matière de résilience et d'indépendance alimentaires. Jusqu'à présent – et c'est là quelque chose qui devrait tous nous interpeller, – jamais la question de la quantité d'alimentation qu'il faut produire n'avait été débattue. Mais comment élaborer une stratégie sans déterminer quelle est la cible ? Je ne prétends pas définir cette cible ; je dis simplement que le fait de s'asseoir tous ensemble autour d'une table et de se demander quel doit être l'objectif de production au niveau européen me paraît être une démarche basique, mais essentielle et de portée géostratégique. La géopolitique du blé, cela existe ; les Russes la pratiquent même depuis vingt ans.

Par ailleurs, je fais partie de ceux qui ont la conviction qu'il est possible de maintenir notre appareil de production, voire de produire plus pour assumer notre mission nourricière, tout en protégeant plus. Cela s'appelle le progrès. Mais cela nécessite d'investir. Or les politiques européennes sont dans l'injonction, mais ne favorisent pas l'investissement. Quand je pense à l'énergie que j'ai dû déployer pour faire accepter l'idée d'inclure des aides à la culture de protéines dans la politique agricole commune et dans le plan stratégique national, alors que l'objectif de ces aides était de retrouver de l'indépendance, je me dis que le chemin est encore long… La France agricole avait titré : « Denormandie continue sa croisade pour les protéines végétales ».

À travers « France 2030 » et « France relance », nous investissons massivement dans les engrais. La stratégie « Farm to fork », quant à elle, n'aborde la question que pour diminuer leur consommation et limiter les émissions de protoxyde d'azote. Elle ne cherche pas à investir massivement, à l'échelon européen, pour créer des unités de fabrication d'engrais recourant à l'électrolyse, ce qui permettrait d'obtenir des produits dégageant beaucoup moins de protoxyde d'azote, ni à utiliser des protéines pendant l'interculture pour éviter le recours à des engrais, ni à favoriser l'utilisation d'engrais organiques, par exemple en associant les éleveurs et les céréaliers. Elle ne s'intéresse qu'à la réduction de l'utilisation.

Il est important de se fixer des objectifs de réduction des engrais, notamment au regard des enjeux climatiques ; nous avons d'ailleurs pris des engagements nationaux en la matière et nous respectons les trajectoires prévues. Mais il faut y adjoindre des objectifs de production à l'échelle européenne et d'investissement pour limiter nos dépendances s'agissant des engrais et des protéines. Je me bats pour cela depuis deux ans. Quand j'entends dire que je tourne casaque, que je balaye d'un revers de main la stratégie « Farm to fork », cela me fait bien rire : je n'ai cessé d'affirmer que le progrès consistait à assumer notre rôle nourricier tout en protégeant plus, en prenant toujours l'exemple des protéines et des engrais. C'est exactement ce que nous faisons à travers « France 2030 » et « France relance ».

Nous avons une vision claire, nous nous sommes fixés des objectifs et nous investissons. Il faut procéder de la même manière à l'échelon européen. Les lignes bougent. J'en veux pour preuve le fait que, pour la première fois, dans la déclaration qu'elle a faite avant-hier, la Commission a évoqué la possibilité d'inclure des objectifs de résilience. Il en va de même du Conseil des chefs d'État et de gouvernement. La présidente de la Commission a parlé d'indépendance alimentaire. Or cela faisait des années que la question n'avait pas été abordée à l'échelon européen. Je plaidais dans ce sens depuis deux ans. C'est une bonne chose que le réveil se soit produit, même s'il a fallu pour cela qu'une tragédie se produise. La trajectoire agroécologique doit être suivie, monsieur Potier, mais en même temps que la trajectoire nourricière.

Pour concilier les deux, certains considèrent qu'il faut réaffecter une partie des productions. Par exemple, une part importante de la production de céréales étant destinée à l'alimentation animale, il faudrait la réorienter vers l'alimentation humaine. C'est une question intéressante, mais il convient de préciser deux choses. D'abord, aucune des études et prises de position en ce sens ne prend en compte l'enjeu démographique mondial, ni même à l'échelle européenne. Or il y a de plus en plus de gens à nourrir, avec de moins en moins de terres accessibles, du fait du changement climatique. La responsabilité de l'Europe sera d'assumer cet état de fait. Ensuite, la question de la production de biocarburants et de bioénergie à travers l'agriculture n'est jamais envisagée, en tout cas dans son ensemble. C'est un vrai sujet, sur lequel la réflexion doit continuer à progresser. Ces questions passionnantes sont enfin posées, ce qui nous permettra d'avancer et de faire enfin bouger les lignes. Cela me tient beaucoup à cœur, car je défends cette position depuis deux ans. On a parfois prétendu que j'étais un productiviste, ce qui n'est pas le cas – mais vous le savez, monsieur Potier.

Quant à ce que vous disiez, monsieur Herth, sur la nécessité d'éviter de prendre des initiatives isolées au sein de l'Union européenne, vous avez tout à fait raison et nous y sommes vigilants.

Monsieur Benoit, vous demandez si les aides à l'alimentation animale doivent passer par les entreprises ou bien être versées directement aux éleveurs. Nous en avons longuement discuté avec l'ensemble des acteurs. Pour ne rien vous cacher, j'étais plutôt partisan, au début, de verser l'aide aux entreprises distribuant les aliments plutôt qu'aux éleveurs, tout simplement parce qu'elles ne sont que quelques centaines, contre des milliers d'éleveurs. Au fur et à mesure, nous nous sommes aperçus que cela fonctionnait dans certaines filières, mais que les choses étaient beaucoup plus compliquées dans d'autres. Par ailleurs, il fallait s'assurer que l'intégralité de l'aide était répercutée vers les éleveurs, tout en sachant qu'il n'était pas possible de plafonner les prix des produits. Le mécanisme de contrôle est apparu trop complexe et pas assez performant pour garantir le résultat. Après avoir bien examiné les deux options pour trouver la meilleure, ou la moins mauvaise, nous nous sommes donc orientés vers une aide aux éleveurs.

Vous avez mille fois raison en ce qui concerne la lutte contre la spéculation. C'est surtout aux niveaux du G7 et du G20 qu'il faut agir. Il importe, avant toute chose, de développer la transparence, s'agissant des stocks comme des quantités qui devront être produites. C'est précisément ce en quoi consiste l'un des trois piliers de l'initiative FARM. Le manque de transparence concernant les stocks est un gros problème. Il faudrait, en particulier, que la Chine fasse la transparence sur ses stocks de grains, mais c'est un secret très bien gardé. Il y a trois semaines, les autorités chinoises ont annoncé une diminution de 20 % de la production du pays, ce qui a entraîné aussitôt une augmentation des cours du blé. Quelques jours plus tard, elles sont revenues sur leur déclaration, ce qui a détendu le marché. En réalité, nous ne savons pas si la production chinoise se maintient ou si les autorités ont fait cette annonce pour acheter des céréales à moindre coût et reconstituer leurs stocks.

Madame la ministre Pinel, vous avez évoqué l'enveloppe de 500 millions d'euros, dont 89 millions pour la France, annoncée par la Commission européenne pour venir en aide aux États membres. Nous réfléchissons à l'usage que nous pouvons faire de cette somme. Je tiens à la rapidité dans l'exécution, et je veux être certain que nous l'utiliserons à bon escient. Cette annonce a été faite il y a quarante-huit heures ; nous réfléchissons.

S'agissant du remboursement de la TICPE sur le GNR pour 2021, il sera versé par anticipation. Par ailleurs, un acompte de 25 % sur le remboursement de TICPE pour 2022 sera versé. Ce taux pourra être porté à 50 % en fonction de l'évolution de la situation. Quant au plan de souveraineté consacré aux fruits et légumes frais, il s'inscrit dans le cadre du plan d'investissement « France 2030 ».

S'agissant des engrais naturels, la question est de savoir comment en développer l'usage, en tenant compte de deux données, l'une immuable et l'autre évolutive. Ce qui est immuable, c'est la directive « Nitrates », ainsi que la protection de nos sols et de nos nappes phréatiques contre les nitrates. Il faut veiller attentivement au respect de cette directive.

Mais l'on observe que si l'engrais organique – le lisier, par exemple – est bel et bien utilisé, il n'y a pas d'accord entre éleveurs et céréaliers permettant d'échanger du lisier contre des céréales. La raison en est le coût élevé de l'utilisation de l'engrais organique, notamment de son transport, par rapport au coût de l'utilisation d'engrais chimiques. À présent, les courbes se sont croisées. Je nourris la croyance que le prix élevé de l'engrais chimique induira une revalorisation de l'engrais organique et rendra rentables des opérations qui ne l'étaient pas. Certains comportements devraient changer. Pour être complet, je devrais évoquer les accords conclus entre certains éleveurs et certains céréaliers, mais je parle à grands traits.

Madame Taurine, vous posez une question très juste et légitime : quel modèle agricole nous faut-il ? Nous devons aborder cette question sous l'angle de nos niveaux de production. Il ne s'agit pas d'un « gros mot », il s'agit même à mes yeux d'une question très importante. Une solidarité nous lie à nos partenaires du Maghreb et d'Afrique subsaharienne. Elle suppose d'investir là-bas, mais aussi, inévitablement, de participer à la fourniture d'aliments, en raison de considérations géopolitiques qu'il convient de ne pas ignorer. La France a une mission nourricière à l'échelle du monde et doit l'assumer ; l'Europe encore plus.

Un modèle fondé exclusivement sur des circuits courts, pour notre seul bénéfice, est à mes yeux un modèle purement égoïste. Je ne dis pas que vous défendez cette position, madame Taurine, mais elle ressurgit sans cesse dans le débat. Je pense qu'il faut produire à la fois pour le circuit court et pour l'export. Il faut à la fois produire et protéger. Certains diront que c'est du « en même temps » ; je l'assume. En tout état de cause, je suis absolument persuadé que c'est possible.

Tel est le sens de la « troisième révolution agricole » que j'ai lancée il y a déjà de longs mois. Je suis persuadé que c'est le sens de l'histoire, surtout dans un contexte où nous n'avons pas encore intégré tout ce que nous devons faire en matière de biocarburants et de bioénergies, et où nous allons connaître une augmentation de la population, alors que les terres seront de moins en moins arables. La pression, dans les prochaines années, ira s'accentuant ; notre responsabilité aussi, c'est une certitude.

Monsieur Bothorel, vous n'avez pas à vous excuser d'aborder les sujets que vous avez évoqués. Notre mission consiste à les traiter. J'en profite pour signaler l'existence de l'adresse électronique taskforce.agri@agriculture.gouv.fr, qui permet de joindre la cellule du ministère qui gère ces questions au jour le jour. Il ne faut pas hésiter à faire part de toutes les difficultés rencontrées.

Madame la ministre Batho, je vous le dis comme je le pense : j'ai trouvé votre intervention totalement indécente. Vous n'avez pas parlé de l'Ukraine, mais d'un sujet qui concerne votre territoire, et qui y suscite une manifestation aujourd'hui. Je trouve cela totalement déplacé. J'hésite même à vous répondre, et je ne le ferai que par respect pour votre fonction. Cette audition porte sur l'Ukraine, pas sur le département des Deux-Sèvres.

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