Intervention de Julien Denormandie

Réunion du jeudi 8 juillet 2021 à 9h05
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Julien Denormandie, ministre :

M. Templier a demandé en quoi les outils de production permettent de diminuer les quantités d'intrants apportés– produits phytosanitaires, engrais, eau. Aucun agriculteur ne cherche à mettre, par plaisir ou volonté, plus que ce dont la plante ou le sol ont besoin, d'une part, contrairement à ce que certains veulent faire croire, parce que les agriculteurs chérissent l'environnement ; d'autre part, parce qu'ils sont des entrepreneurs, avec un compte de résultat, qui préfèrent dépenser moins pour les intrants. Il est donc essentiel de savoir comment accompagner l'agriculture de précision par le machinisme.

Certains dispositifs existent au sein de la politique agricole commune, notamment au travers des programmes opérationnels ou par le truchement des MAE, lorsque telle est leur finalité. Le vrai coup de boost sur le machinisme agricole a été donné dans le plan de relance, avec l'ouverture d'une ligne de 215 millions d'euros pour acheter du matériel, notamment de substitution – il a représenté 75 % des dépenses – et investir dans la recherche. Quinze millions d'euros ont été prévus pour les recherches dans le matériel, qui sont capitales. La France est à la pointe dans ce secteur, mais il faut continuer à l'améliorer.

Avec le Secrétariat général pour l'investissement, placé sous l'autorité du Premier ministre, nous élaborons des stratégies pour déployer le quatrième programme d'investissement d'avenir (PIA4). Elles permettront de développer sensiblement l'agriculture de précision et l'agroéquipement. J'ai rencontré hier le secrétaire général pour définir une stratégie en matière d'agroéquipement et une stratégie en matière d'alimentation, chère au ministre M. Guillaume Garot, Nous sommes en train de la finaliser et l'annoncerons prochainement.

Monsieur Sermier, je prends bonne note de votre demande d'inclure à l'avance les coûts des modifications culturales du fait du changement climatique, pour maintenir les appellations d'origine contrôlée. Le changement climatique est le principal défi auquel nous sommes confrontés.

C'est pourquoi, il y a un mois et demi, nous avons lancé le « Varenne agricole de l'eau et de l'adaptation au changement climatique ». Il comprend trois groupes thématiques : le premier porte sur la gestion des aléas climatiques, notamment la sécheresse, avec le fameux comité national de gestion des risques en agriculture (CNGRA), dont il est question tous les étés, ou pour l'instauration d'une assurance récolte.

Le deuxième groupe traite de la prévention et de l'adaptation de nos modes de culture, par exemple par des investissements dans l'irrigation ou des tours antigel. Les moyens d'adaptation des pratiques culturales existent. L'atelier a été confié aux représentants des instituts techniques et des professions. Le plan de relance a consacré une enveloppe de 200 millions d'euros au volet relatif à la prévention, qui est en cours de déploiement et obtient de bons résultats. Il nous faut continuer en ce sens. S'agissant de la recherche variétale, vous connaissez ma position sur les nouvelles techniques de sélection des plantes (NBT, new breeding techniques ) : tout en cadrant les avancées, il faut saisir le progrès, pour mieux adapter nos cultures aux sécheresses.

Le troisième groupe vise à adapter notre aménagement hydraulique sur le territoire.

Les trois groupes présenteront leurs résultats au fur et à mesure, jusqu'au début de 2022.

Quant à la réforme de l'assurance récolte, si nous parvenons à la mener bien, elle sera la réforme la plus structurelle pour notre agriculture depuis la PAC. Les Espagnols l'ont réalisée à la fin des années 1970, avec quarante ans d'avance sur nous concernant les effets du changement climatique. Ils ont été obligés de créer un vaste système d'assurance récolte, qui deviendra une nécessité impérieuse en France dans les prochaines années.

Le principe de base de l'assurance récolte, que j'ai longtemps étudié dans des fonctions précédentes, est de reconnaître qu'il n'y a pas de solution. Depuis des années, tout le monde la cherche dans le système actuel. En réalité, il n'y en a pas : le monde agricole n'est pas capable de financer lui-même le risque climatique. C'est d'ailleurs intuitif : habitant au cinquième étage d'un immeuble à Charenton-le-Pont, je paie une surprime catastrophe naturelle dans mon assurance habitation, bien que mon risque d'inondation soit limité. Dans le monde agricole, confronté au défi de l'assurance récolte, cela ne fonctionne pas ainsi.

Nous travaillons sur ce sujet, notamment avec l'un de vos collègues, M. Frédéric Descrozaille, pour bâtir un système multiple combinant une contribution nationale et des systèmes de co-assurance et de réassurance. Mon objectif est d'en introduire les bases dans les articles non rattachés de la loi de finances pour 2022, puis de travailler à finaliser le dispositif. La tâche est immense, puisqu'il s'agit de repenser un système assurantiel de fond en comble, pour adosser le nouveau régime à la future PAC, dès qu'elle entrera en vigueur. Si nous y parvenons, ce sera une réussite majeure.

Pour ce qui concerne le carbone qu'a évoqué Mme Aude Luquet, on oublie que le monde agricole est la surface terrestre qui capte le plus de carbone, avant la forêt, Celle-ci a réussi à structurer un système en créant des marchés volontaires pour capter du carbone et le valoriser ; l'agriculture n'a pas su le faire, il y a quinze ans. Cela ne signifie pas qu'il est trop tard, mais il faut tout structurer.

D'abord, dans le cadre du plan de relance, nous avons établi un dispositif de diagnostic carbone que nous finançons à hauteur de 10 millions d'euros : tout exploitant installé depuis moins de cinq ans peut y prétendre, afin d'identifier les émissions carbone de son exploitation ainsi que la manière de les réduire. Il n'y a rien de tel pour avancer et trouver des solutions concrètes.

Le projet, qui vient d'être lancé, est bien relayé par les agriculteurs, notamment les jeunes agriculteurs. Je me suis rendu il y a une semaine dans le département du Nord pour les premiers diagnostics carbone. Alors qu'ils coûtent 2 500 ou 3 000 euros, l'agriculteur ne paie que 200 euros, grâce au plan de relance.

Deuxième étape : nous finalisons les méthodes de labellisation pour valoriser la captation de carbone dans le sol d'un point de vue économique, donc créer un système vertueux où l'on aligne création de valeur environnementale et création de valeur économique. Si, demain, un agriculteur peut tirer profit de la valorisation du carbone capté dans le sol, après-demain, les exploitants seront d'autant plus nombreux à le faire. Pour cela, il faut créer la méthodologie – le milieu environnemental carbone parle de « labels ». Nous en avons déjà créé trois, dont un sur l'élevage. Nous attendons le quatrième, sur la grande culture. Ce volet est presque finalisé.

Ensuite, on structure la demande. On regroupe des industriels, y compris en créant une plateforme entre l'offre et la demande. On valorise alors les tonnes de carbone que nos agriculteurs peuvent capter dans le sol : les industriels n'auront donc pas à aller acheter des crédits carbone je ne sais où. On enclenche là une énorme dynamique dans la profession. Un point de non-retour sera bientôt atteint, ce qui signifie que le projet, poussé par le plan de relance, se fera.

Je fais partie des ministres qui, au niveau européen, ont défendu le fait que la PAC devait être en lien avec le Green Deal – nous étions d'ailleurs très peu nombreux, au début. J'ai toujours été convaincu que ce pacte était nécessaire car il permettrait d'obtenir l'accord politique in fine, notamment avec le Parlement. Ainsi, lorsque le Green Deal sera traduit en un texte législatif au niveau européen, il faudra que nos PSN soient conformes ou qu'ils soient revus pour être mis en conformité.

S'agissant des conditionnalités, il y aura toujours des personnes pour dire que ce n'est pas assez. Tout n'est certes pas parfait mais le paiement vert de la PAC passera de 30 % à 100 %, auquel s'ajoutera 25 % d'écorégimes. Le référentiel actuel comprend aussi les socles de conditionnalité que l'on appelle les bonnes conditions agricoles et environnementales (BCAE). Par exemple, les systèmes d'infrastructure agroenvironnementale, qui étaient au minimum de 2 % de la surface de l'exploitation, passent à 4 %. Ce sont les parties non productives, que l'on appelle communément les jachères, même si des haies sont préférables.

Mon objectif est de convaincre le plus grand nombre d'agriculteurs de choisir de cultiver des protéines. C'est pourquoi nous insistons sur cette voie dans la conception de l'écorégime, en lien avec la diversification culturale.

De même, dans la voie des conditionnalités BCAE 9, comme de l'écorégime, il faut inciter à créer des haies. Les agriculteurs craignent toutefois de figer leur exploitation car on ne revient que rarement sur une haie, tant son bénéfice est grand. Or, les images aériennes d'antan l'attestent, les exploitations vivent. Je suis un fervent défenseur des haies, mais, en politique publique, il faut comprendre pourquoi l'utilisateur lui-même n'en veut pas.

Par le biais du plan de relance, l'État les finance, avec les collectivités locales, notamment les régions, à hauteur de 50 millions d'euros. Nous avons d'ailleurs créé un label bas carbone haies, et, dans le cadre des BCAE 9 et de l'écorégime, on met le paquet sur les haies. Parallèlement, il faut accompagner les agriculteurs en expliquant comment fonctionne le système, pour appréhender les craintes et faire en sorte d'aller le plus vite possible sur le sujet. En France, depuis le remembrement, on a en effet détruit 700 000 à 1,2 million de kilomètres de haies. L'enjeu est donc massif. Si, dans cinq à dix ans, la nouvelle politique agricole commune peut être perçue comme favorisant l'écorégime protéines et les conditionnalités haies, plutôt que les jachères, je serai le plus heureux des hommes.

Les arbitrages que j'ai donnés sur le PSN et l'écorégime ont été critiqués, au motif que l'on met au même niveau HVE 3 et bio. L'écorégime concerne le premier pilier, donc une conditionnalité environnementale, non une aide à l'investissement. Le deuxième pilier, l'aide à l'investissement, vise à mener un accompagnement, par exemple à aider un exploitant à passer en bio. J'entends d'autant mieux les critiques, que je m'étais engagé, l'été dernier, à revoir le dispositif méthodologique de la HVE. Grâce aux financements que nous avons inscrits dans le plan Écophyto, nous avons lancé la revue. Elle est en cours, ainsi que la montée en gamme.

Le ministre M. Garot et Mme Mathilde Panot avançaient la question de la voie B, et de la façon de la faire évoluer. Dans la nouvelle PAC, la seule aide à l'investissement porte sur la bio. Il n'y en a pas pour la HVE. Sur le deuxième pilier, les seules aides à l'investissement sont l'ICHN – dans certains territoires, elle permet de maintenir les élevages, qui ont une incidence positive sur l'environnement ; et les MAE, qui concernent toutes les exploitations, mais pas la certification. Seule la bio bénéficie de l'aide à l'investissement, à hauteur de 340 millions d'euros. Je le dis avec fierté, c'est le poste de la PAC qui augmente le plus, avec les aides protéines et l'aide aux jeunes.

L'écorégime n'est pas une aide à l'investissement, mais une conditionnalité. Les haies, les protéines, l'agriculture de conservation ou la HVE ont toutes un apport environnemental. Il faut le déterminer, pour restituer les 25 % d'aides directes. Imaginez que, comme le demandent certains, ce montant ne soit restitué qu'aux exploitants pratiquant l'agriculture biologique. Comment expliquer à un éleveur qui construit des haies, à un exploitant qui fait de l'agriculture de conservation ou qui, en grande culture, cultive des protéines, qu'ils ne font pas assez, car leurs productions ne sont pas bio ? Cela ne fonctionne pas.

Dire que l'on place HVE et bio au même niveau est inexact ; en réalité, HVE, bio, haies, protéines ou agriculture de conservation qui capte du dioxyde de carbone sont au même plan car on parle de conditionnalité c'est-à-dire de la restitution des 25 % d'aides directes. Dans notre pays, il est bon d'avoir de nombreuses agricultures. Je ne dirai jamais qu'une agriculture spécifique est l'alpha et l'oméga.

Je défends le bio, mais tout autant les haies, la HVE et les protéines. Je donnerai, plutôt dix fois qu'une, les 25 % à un agriculteur conventionnel qui m'aidera à éviter l'importation de soja brésilien ou à l'exploitant en grandes cultures qui reconstituera des haies. En revanche, sur le volet investissement, seul le bio est concerné – tout est traité de manière différente.

S'agissant du volet social, monsieur Benoit, l'employabilité est un critère important. J'estime que cela constitue une grande avancée et qu'il faut continuer en ce sens.

Pour ce qui est de la capacité de l'agriculture à devenir, au même titre que la forêt, un puits de carbone, la question n'est pas aussi simple qu'elle en a l'air. En effet, cet objectif entre en conflit avec celui de la préservation de la biodiversité. Je fais partie de la génération des ingénieurs agronomes à qui on a répété durant des années que la captation du carbone par le sol était une solution géniale pour lutter contre le changement climatique. Seulement, le non-recours au labour implique d'utiliser des herbicides ou du glyphosate (protestations) ! Oui, les alternatives au labour, que j'ai étudiées, ne sont pas préférables, puisqu'il s'agit de détruire le couvert par électrocution, une méthode de désherbage qui éradique aussi les vers de terre, ou par le feu, voyez les photos de ces tracteurs qui brûlent tout sur leur passage ! Ce qui est intéressant, d'un point de vue démocratique, c'est que, ces vingt dernières années, le débat s'est déplacé : le sol est désormais vu comme un lieu de préservation de la biodiversité, non plus seulement comme un lieu de séquestration du carbone. Les objectifs s'affrontent, mais cela ne signifie pas qu'il n'existe pas de voie possible entre les deux. En tout état de cause, le débat ne peut pas être tranché de façon simpliste.

L'État est l'autorité de gestion des aides surfaciques, mais la gouvernance revient aux conseils régionaux qui, par le biais des comités régionaux agroenvironnementaux et climatiques (CRAEC), identifient et travaillent sur la nature des MAEC. Les régions sont les autorités de gestion des mesures non surfaciques, comme les aides à l'installation.

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