Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du jeudi 8 juillet 2021 à 9h05

Résumé de la réunion

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  • PAC
  • bio
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La réunion

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La Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire a procédé à l'audition de M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation, sur le volet climatique et environnemental du plan stratégique national élaboré dans le cadre de la politique agricole commune.

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Monsieur le ministre, alors que la navette parlementaire sur le projet de loi dit « climat et résilience » se poursuit, il nous a semblé important d'avoir votre éclairage sur le plan stratégique national (PSN) élaboré dans le cadre de la politique agricole commune (PAC). Il doit répondre à plusieurs enjeux stratégiques : garantir notre souveraineté agricole et alimentaire, assurer la transition agroécologique et permettre de construire un modèle agricole durable et résilient face aux aléas climatiques, dont nous avons constaté encore récemment la violence. La lutte contre le réchauffement climatique doit plus que jamais être notre priorité.

Une délégation de notre commission s'est rendue dans le Rhône la semaine dernière. Il est ressorti de nos échanges avec les agriculteurs, les viticulteurs et les arboriculteurs sur le terrain que l'adaptation et l'anticipation sont des enjeux majeurs. Le PSN doit constituer un outil essentiel pour engager la transition exigée, mais aussi consolider les initiatives que prennent les agriculteurs.

Monsieur le ministre, pourriez-vous rappeler les grandes étapes de l'élaboration de ce document structurant et apporter des précisions sur son contenu, en particulier son volet environnemental et climatique ?

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Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

La PAC répond à un objectif politique européen et national. À l'origine, en 1958, il s'agissait avec le traité de Rome de 1958 d'ouvrir l'agriculture française vers la recherche des marchés, selon l'expression employée par MM. Pisani et consorts, et d'augmenter la production. Il fallait nourrir le peuple de France et consolider l'agriculture grâce au marché commun. Depuis plusieurs décennies, la PAC vise aussi à favoriser la contribution de l'agriculture à la transition environnementale.

Le cadre politique de la future PAC a été défini, ce qui ne fut pas une mince affaire. Certains États membres considéraient en effet que la PAC n'était plus un pilier de la politique européenne, ce qui constituait une erreur fondamentale pour la France. Nous nous sommes beaucoup battus pour que la PAC reste l'un des piliers de la politique européenne, c'est-à-dire que les financements soient maintenus. Nous avons eu gain de cause après un gros travail et la France a emporté un vrai succès.

La deuxième bataille que nous avons livrée portait sur la vision politique de la PAC. Dans le traité de Rome, elle était essentiellement économique. Après la modification survenue au cours du XXe siècle, elle était devenue économique et environnementale. Dorénavant, elle sera économique, environnementale et sociale. C'est important à de nombreux égards. D'abord parce qu'il est incompréhensible qu'au sein du marché européen, tous les pays ne respectent pas un socle commun de normes sociales. C'est une aberration. Par ailleurs, notre agriculture y trouvera un moyen de lutter contre la concurrence déloyale de certains pays européens qui, pendant des années, ont pratiqué le dumping social sur le dos des travailleurs agricoles ou de nos agricultures. C'est une autre grande victoire française, car peu de pays défendaient l'inclusion du socle social. La nouvelle PAC comprend donc clairement les volets économique, environnemental et social.

Vous me demandez, madame la présidente, comment la PAC va contribuer à la transition agroenvironnementale. La politique agricole commune repose sur deux piliers. Schématiquement, le premier regroupe les aides au revenu et le second les aides à l'investissement. Pour accélérer la transition, nous avons obtenu la définition d'un certain nombre de lignes rouges au niveau européen.

Première ligne rouge : tous les nouveaux mécanismes, notamment l'écorégime, seront obligatoires pour tous les pays européens. Dans le passé, les obligations environnementales s'accompagnaient de palanquées de dérogations. Un débat important a porté sur la part des financements soumise à l'écorégime : 20 %, 25 % ou 30 % ? Ma position a toujours été claire : mieux vaut un écorégime à 25 % sans aucune dérogation qu'un à 30 % avec des dérogations permettant à des pays de ne pas l'appliquer, car il en résulterait une concurrence déloyale. En outre, quand un pays qui fait partie du marché commun n'est pas soumis au même cadre de transition environnementale, cela ralentit les transitions chez ses voisins.

L'accélération de la transition passe par une convergence par le haut de toutes les normes, au sein et à l'extérieur du marché commun. Ne pas considérer cette convergence comme le principal vecteur d'accélération de la transition serait folie. Ce qui ralentit nos transitions, c'est non pas l'impossibilité technique, mais un manque de création de valeur économique, parce qu'un produit est mis en concurrence avec des productions d'autres pays de l'Union européenne qui ne respectent pas les mêmes normes environnementales. C'est encore plus vrai s'agissant de la politique commerciale.

Deuxième ligne rouge : la transition est un investissement qui n'est pas réalisable sans un revenu. Tous ceux qui expliquent que la PAC devrait exclusivement consister en aides à l'investissement balaient d'un revers de main la structuration actuelle du compte de résultat d'un agriculteur. Que cela soit bien ou mal, l'aide au revenu constitue une part parfois très importante de ce compte. Ceux qui souhaitent imposer aux agriculteurs de réaliser des investissements oublient que les soutiens étatiques à l'investissement, nationaux ou européens, représentent au maximum 40 % ou 60 % du montant total. Il faut donc s'adresser à son banquier pour obtenir les sommes restantes. Or, sans revenus consolidés, le banquier refusera de prêter et la transition ne se fera pas.

Les revenus des agriculteurs doivent également être consolidés en dehors de la PAC. C'est tout l'enjeu notamment de la proposition de loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs déposée par MM. Grégory Besson-Moreau, Stéphane Travert, Thierry Benoit et de nombreux autres. C'est la mère des batailles car les agriculteurs souhaitent vivre de leur travail plutôt que de subventions.

La troisième ligne rouge porte sur la mise en œuvre des nouveaux instruments. J'ai évoqué les deux piliers que sont les aides au revenu et les aides à l'investissement. Au sein du premier pilier, il existe un mécanisme, le paiement vert, qui conditionne 30 % des aides au revenu au respect d'exigences environnementales. La nouvelle PAC va étendre la conditionnalité à 100 % de ces aides.

En outre, nous allons créer le mécanisme de l'écorégime, qui prévoit que seulement 75 % des aides seront préalablement versés à l'agriculteur, les 25 % restants ne l'étant ensuite que si des conditionnalités environnementales sont bien respectées. Entre parenthèse, quel corps socio-économique, à part le monde agricole, accepterait un tel mécanisme ? Imaginez que le Président de l'Assemblée nationale propose de ne vous verser que 75 % de votre indemnité et ne vous donne le reste que si vous acceptez de passer au vélo, de rénover votre logement ou de changer de type de carburant !

Les conditions environnementales prévues dans les écorégimes suivent trois voies : la diversité des cultures, car le type de culture retenu peut encourager la biodiversité et consolider l'écosystème, les certifications et les infrastructures agroécologiques. Je pense notamment aux haies, dont je suis un fervent défenseur et qu'il faut reconstituer dans notre pays.

Nous allons aussi renforcer très significativement les aides aux protéines. L'un des plus grands scandales environnementaux du monde agricole est la dépendance de l'Europe au soja brésilien organisée depuis plus de cinquante ans. C'est une honte : le soja brésilien, c'est de la déforestation importée et de la biodiversité dégradée. Pour y remédier, il faut prendre des décisions courageuses et mettre en place des aides couplées pour les productions riches en protéines d'un niveau supérieur. Mais le montant global des aides couplées étant limité, cela signifie que les aides pour les autres secteurs seront réduites. Cela implique des choix difficiles. Je suis néanmoins convaincu que la priorité donnée aux protéines ­– le montant des aides pour les protéines sera doublé en fin de période – est absolument essentielle. Je suis très fier que nous ayons réussi à ouvrir cette voie.

Le deuxième pilier regroupe les aides à l'investissement, qui permettent d'accompagner les transitions et la mise en place du cadre environnemental. Plusieurs choix stratégiques ont été faits.

Le montant des mesures agroenvironnementales (MAE) a été maintenu – nous établirons ensuite la nature de ces mesures.

Nous avons également maintenu le niveau de l'indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN), notamment pour l'élevage. N'oublions pas par exemple que les brebis du Quercy – les meilleures amies des pompiers dans le Lot – constituent un apport environnemental.

Je me suis déjà exprimé mille fois à propos de l'agriculture biologique, mais je tiens à y revenir car j'ai été outré par les campagnes qui m'ont personnellement visé. Le slogan de l'une d'elles était : « Denormandie veut mettre la bio à poil ». Certains, dont une star de la télévision, se sont fait photographier nus avec une pancarte affirmant que je diminuais de 66 % les aides au bio, ce qui est totalement faux. Dans les aides à l'investissement, la ligne consacrée à l'agriculture biologique passe de 250 à 340 millions d'euros : un tel effort n'a jamais été consenti ! Nous allons consacrer 1,7 milliard d'euros au bio sur la période.

Le débat porte en revanche sur la nature de ces aides. Il remonte à 2017, lorsque l'État et de nombreuses régions, constatant que nous importions 30 % de notre consommation en agriculture biologique, ont décidé que les aides devaient aller en priorité à la conversion pour accompagner les exploitations conventionnelles qui passent au bio. Les aides au bio s'élèvent actuellement à 250 millions d'euros par an, dont 50 millions d'aide au maintien et 200 millions d'aide à la conversion. Le montant va passer à 340 millions d'euros, entièrement consacrés à l'aide à la conversion.

Je peux entendre qu'il y ait un débat sur la nature des outils et que certains souhaitent proposer d'autres idées. Je suis prêt à ouvrir tous les dossiers sans tabou. Mais il ne faut pas faire croire que le Gouvernement diminue de 66 % les aides au bio alors que les sommes pour l'investissement dans le bio augmentent de plus de 30 %, en partie à la suite des choix budgétaires du Premier ministre en faveur de l'agriculture. Le maintien de l'ICHN et des MAE et l'augmentation de 30 % des investissements en faveur de la conversion vers l'agriculture biologique n'ont été possibles que parce que l'État vient ajouter 140 millions d'euros annuels à la PAC.

Au-delà des mesures portant sur les piliers de la PAC, un combat politique a commencé à s'ouvrir et sera mené lors de la présidence française du Conseil de l'Union européenne. La PAC est passée d'une vision purement économique à une vision économique et environnementale, puis sociale. Mais la politique commerciale n'a pas suivi les mêmes évolutions. Je pense que c'est le défi d'une génération.

Faute de convergence, on trouve parfois sur le marché commun des produits qui ne répondent pas aux mêmes normes. Quand le consommateur n'est pas capable de différencier deux produits, ou que les différences de prix sont telles qu'il choisira le moins cher, tous les efforts potentiels de transition sont ruinés. Ce qui est vrai au niveau européen l'est plus encore au niveau international. Nous importons ainsi en France des produits qu'il est interdit d'y produire. Cela devrait éveiller les consciences ! Comment pouvons-nous accepter de vendre des produits dont les modes de production sont interdits dans notre pays ? Quelque chose ne tourne pas rond.

J'ai beaucoup essayé de faire bouger les lignes à ce sujet lors des discussions sur la PAC. Les parlementaires européens demandent, à juste titre, que la PAC s'aligne sur le Green Deal. Mais il faut que la politique commerciale aille également dans ce sens. Alors que certains pays utilisent encore des antibiotiques de croissance, nous ne pouvons pas interdire l'importation en Europe de viandes produites ainsi. Nous sommes en passe de remporter ce combat dans les prochains mois, car l'Europe va adopter un acte délégué pour interdire enfin l'importation de ces viandes. Mais il n'y a aucune possibilité de réguler l'importation de soja brésilien qui cause la déforestation. Ce sont ces mécanismes qui font que nos enfants mangent dans les cantines du poulet ukrainien ou brésilien, beaucoup moins cher, élevé dans des conditions que nous n'accepterions pas.

C'est l'enjeu des clauses miroirs, et c'est l'une des priorités de la future présidence française du Conseil de l'Union européenne. Nous avons remporté une première victoire dans la PAC, car nous avons obtenu une déclaration des trois institutions demandant un rapport sur les clauses miroirs. Nous n'avons pas réussi à faire adopter une mesure au niveau législatif mais les choses pourront néanmoins avancer. Ce sera un combat de plusieurs années. Il passera par des victoires comme l'acte délégué sur les antibiotiques de croissance, mais il prendra du temps. Il ne faut pas renoncer. Il faut profiter de la présidence française pour franchir un point de non-retour et tracer la voie.

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Monsieur le ministre, je vous remercie de votre présence au sein de notre commission.

Cette nouvelle PAC a été élaborée dans le contexte de lutte contre le dérèglement climatique et de constitution du Green Deal. Le secteur agricole s'est toujours adapté aux mutations de la société. Aujourd'hui, nous faisons face à une équation complexe incluant de nombreux aspects : la protection de l'environnement ; la revitalisation des zones rurales ; la souveraineté alimentaire ; la compétitivité et, évidemment, la juste rémunération des producteurs. Pour résoudre cette équation, vous et nous avons déjà agi.

Il nous faut toutefois persévérer car le défi est permanent. Dans son dernier rapport, le Haut Conseil pour le climat (HCC) a publié un tableau présentant les lacunes de chaque grande politique publique, notamment au regard des objectifs fixés par la stratégie nationale bas-carbone (SNBC). En ce qui concerne l'agriculture, et plus précisément les émissions directes et indirectes de protoxyde d'azote et de méthane, le HCC estime que la tendance actuelle est éloignée de l'orientation de la SNBC et qu'il existe des risques importants d'en dévier significativement.

Pour réduire ces émissions, on peut s'appuyer sur l'agroécologie, mais également sur l'agriculture de précision, qui permet de créer des systèmes d'aide à la décision tout en préservant les ressources naturelles et énergétiques. De manière peut-être idéalisée, on peut supposer que ce système permettrait d'agir plus efficacement pour l'environnement tout en améliorant la compétitivité.

D'après les arbitrages que vous avez rendus, l'investissement dans l'agriculture de demain fait partie intégrante des sept principaux objectifs. Quelle place sera accordée à l'agriculture de précision dans le PSN, en termes d'investissements, de numérique, de recherche et de nouvelles technologies ? Quelle part peut prendre cette agriculture de précision à la lutte contre le dérèglement climatique ?

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Monsieur le ministre, vous avez eu raison de rappeler que la PAC a beaucoup changé, mais qu'elle a répondu aux attentes qui lui étaient imposées à l'origine, alors que le pays était quasiment en famine. Les agriculteurs ont dépassé les attentes. C'est leur qualité d'être toujours plus efficaces qu'on ne le pense.

Je tiens à vous féliciter pour la qualité de votre travail. Le montant du budget consacré à la PAC est maintenu, ce qui n'aurait pas été possible si vous n'aviez pas « mouillé la chemise » avec un certain nombre de partenaires. Il reste à décliner ce budget, mais il faut d'abord de l'argent pour pouvoir faire les choses.

Je vous remercie aussi pour l'équilibre trouvé s'agissant des dispositions agroenvironnementales. Il est salué par les agriculteurs et sans doute vilipendé par ceux qui prônent l'excès. C'est une bonne chose d'être dans la mesure. Il faut expliquer à l'ensemble des agriculteurs que les normes appliquées seront exactement les mêmes pour les produits importés. Il est effet intolérable qu'il soit possible d'importer du soja favorisant la déforestation ou de la viande produite avec des antibiotiques de croissance.

Certes, il faut faire plus et mieux pour l'agriculture biologique. Mais il ne faut pas oublier que 90 % de l'agriculture est conventionnelle. Celle-ci s'améliore chaque jour davantage ; elle est très performante en qualité et en traçabilité. Il faut encourager l'adoption de la certification HVE (haute valeur environnementale).

Pour combattre le changement climatique, nous avons besoin de faire vite. Nombre de nos productions sont soumises à des appellations contrôlées, ce qui est plutôt positif. Ces productions répondent à un cahier des charges bien établi, mais il faut les faire évoluer pour les adapter aux modes de production. Je souhaite que vous fassiez le nécessaire pour que l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO) avance dans cette direction.

Enfin, l'assurance récolte est vitale pour l'agriculture française, il faudra absolument la maintenir dans la prochaine PAC.

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Les questions touchant l'INAO ont été longuement évoquées lors du déplacement de la délégation de notre commission dans le Rhône.

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Nous savons combien les négociations autour de la politique agricole commune, et plus largement l'ensemble de l'agriculture, sont complexes en raison de la multiplicité des enjeux. Il faut trouver les moyens pour soutenir la transition vers une agriculture plus durable et respectueuse de l'environnement sans hypothéquer l'avenir d'exploitations agricoles parfois en grande difficulté.

La Cour des comptes européenne a rendu récemment un rapport évaluant les différents programmes de l'Union européenne. Ses conclusions sur l'impact environnemental des mesures de la PAC sont alarmantes. Alors qu'un tiers du budget de la PAC actuelle, soit près de 100 milliards d'euros, est dédié à la lutte contre le changement climatique, les émissions de gaz à effet de serre d'origine agricole n'ont pas diminué au cours de la dernière décennie. L'institution européenne va même jusqu'à dire que la PAC aurait soutenu des pratiques climaticides. Que pensez-vous de ce jugement ?

Nous saluons la mise en place des écorégimes dans la future PAC, ils viendront rémunérer les services environnementaux rendus par l'agriculteur. Le dernier accord a permis de fixer la part des paiements directs soumis à ce dispositif à 25 % de l'enveloppe. Pouvons-nous espérer que le stockage du carbone dans les sols soit pris en compte parmi les critères retenus, ainsi que les systèmes de rotation des cultures ?

Au-delà de cet aspect financier, essentiel à la transition écologique de notre agriculture, de nombreux agriculteurs ne savent toujours pas comment mettre en œuvre les aides reçues. Ils manquent cruellement d'accompagnement sur le terrain. Comment proposer des solutions concrètes d'accompagnement et de formation afin d'engager les changements nécessaires pour une agriculture plus respectueuse de notre environnement ?

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L'enjeu est de savoir si la nouvelle PAC et le PSN sont à la hauteur des engagements que la France et l'Union européenne avaient pris lors de l'accord de Paris. Mme Aude Luquet l'a dit, un rapport récent de la Cour des comptes européenne a indiqué que la manne financière d'une centaine de milliards d'euros qui a été mise sur la table entre 2014 et 2020 à l'échelle de l'Union, n'a eu que peu d'incidence sur les émissions de gaz à effet de serre. Cela signifie qu'il faut changer de braquet. L'ambitieux Pacte vert pour l'Europe (Green Deal) est un point d'appui, mais, à ce stade, notre PSN et la nouvelle PAC ne sont pas alignés.

Tant mieux si les écorégimes permettent la convergence : c'était un des défis qu'il fallait relever ensemble. Mais la conditionnalité est parfois obtenue au rabais : il a fallu trouver des compromis, ce qui est normal, sur le plan européen, mais on court le risque d'un simple écoblanchiment ( green washing) de certaines pratiques agricoles. Ce ne sera du moins pas suffisant pour être dans la transition agroécologique, indispensable pour atteindre les objectifs de l'accord de Paris.

Par ailleurs, il n'est pas acceptable de mettre sur le même plan le niveau 3 de HVE et le bio. Si l'on veut faire des pas en avant, il faut réviser le cahier de charges de HVE3. Monsieur le ministre, quels engagements volontaristes pouvez-vous prendre pour que la France soit au rendez-vous des ambitions de l'accord de Paris ? Alors, le PSN sera un vrai levier d'efficacité. Au moment où je vous parle, j'en doute.

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Le projet de politique agricole commune et votre projet stratégique national se dessinent, avec leurs trois volets.

D'abord, le volet économique pour continuer d'assurer un bon revenu aux agriculteurs français, au-delà de ce qui est fait sur les prix agricoles, les négociations commerciales, de la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (EGALIM), ou de la proposition de loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs, dite EGALIM 2.

Ensuite, le volet environnemental, avec les écorégimes, le plan protéines, l'ICHN et le bio ; enfin, un volet social, auquel je suis sensible. Certaines activités comme l'élevage ou les fruits et légumes ont besoin de main-d'œuvre, y compris étrangère. Le fait de conditionner certaines aides à un volet social qui tient notamment compte des conventions de l'Organisation internationale du travail paraît être une avancée. Il pourrait être un jour développé sur la question de l'employabilité de la main-d'œuvre en agriculture. Il s'agit en effet, notamment dans l'élevage, et pour les filières de fruits et de légumes et la viticulture, d'emplois non délocalisables de nos territoires.

Votre stratégie consiste à embarquer le plus grand nombre d'agriculteurs vers l'agriculture bio. Elle me paraît aller dans le bon sens, en considérant que l'exploitant en bio doit en retirer un revenu acceptable, par une meilleure valeur ajoutée et un meilleur partage de la valeur.

M. Guillaume Garot l'a dit, il subsiste cependant un problème de positionnement, entre l'agriculteur en haute valeur environnementale de niveau 3 et celui qui pratique l'agriculture biologique. Certains exploitants, tels des producteurs de lait ou d'œufs, arrêtent temporairement la conversion en bio. Pour la viande bovine, la question se pose entre la HVE de niveau 3 et le label rouge. Monsieur le ministre, même si la trajectoire que vous empruntez est bonne, pouvez-vous fournir des éclaircissements sur votre stratégie, pour rassurer ?

Outre l'employabilité de la main-d'œuvre du bio, il faut souligner le rôle des régions. Jusqu'en 2022, elles sont autorités de gestion pour les aides du deuxième pilier. Les autoriserez-vous à appuyer la stratégie de la politique agricole commune, notamment pour impulser les mesures agroenvironnementales et climatiques ?

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Monsieur le ministre, votre sérénité impressionne. Mais, après tout, pourquoi s'inquiéter ? L'État français a été condamné pour inaction climatique ; le Conseil d'État lui a donné six mois pour muscler ses mesures contre le dérèglement climatique ; le rapport du 21 juin de la Cour des comptes européenne a pointé que les émissions de gaz à effet de serre d'origine agricole n'avaient pas baissé depuis 2010 ; le Haut Conseil pour le climat souligne que le rythme de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans l'agriculture est parmi les plus faibles, comparé à d'autres secteurs. Heureusement, vous avez un plan : le plan stratégique national, qui nous sauvera de la crise climatique – ou pas !

Dans votre plan, plusieurs choses étonnent. Les exploitations qui ont la certification haute valeur environnementale pourront bénéficier des aides des écorégimes. Seulement, la certification n'est pas assez vertueuse car son seuil est trop peu contraignant. Même l'Office français de la biodiversité (OFB) l'affirme, les seuils retenus ne permettront pas « de sélectionner les exploitations particulièrement vertueuses ». L'obtention de ce label impose que les achats d'intrants ne dépassent pas 30 % du chiffre d'affaires de l'exploitation. Or, selon le rapport, le seuil n'est pas discriminant pour les exploitations viticoles, qui consacrent en moyenne 14 % de leur chiffre d'affaires en intrants. Même constat en maraîchage, avec 26 %. Grâce à vous, ces exploitations seront repeintes en vert.

Par ailleurs, votre plan veut acter la disparition des aides au maintien en agriculture biologique des exploitations bio pour les concentrer sur les exploitations en conversion. C'est une grave erreur. La suppression des aides risque de ralentir le rythme des conversions, car les agriculteurs auront moins de visibilité après les cinq années réglementaires. Quel beau tour de passe-passe ! Ces deux exemples montrent d'une part que vous souhaitez attribuer un label à des pratiques qui ne sont pas vertueuses et, d'autre part, que vous retirez des aides aux exploitants dont les pratiques le sont.

Ces manœuvres ne changeront rien à l'affaire qui nous occupe : le dérèglement climatique. Plutôt que de réprimer violemment 200 paysans qui mènent une action coup de poing de la Confédération paysanne pour demander une autre politique agricole, créatrice d'emplois, vous feriez mieux de les écouter et de considérer les études qui prouvent, notamment, qu'il est possible d'atteindre l'autosuffisance alimentaire en 2050 sans recourir aux engrais azotés. Mais, pour cela, il faudrait un peu de volonté politique !

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Julien Denormandie, ministre

M. Templier a demandé en quoi les outils de production permettent de diminuer les quantités d'intrants apportés– produits phytosanitaires, engrais, eau. Aucun agriculteur ne cherche à mettre, par plaisir ou volonté, plus que ce dont la plante ou le sol ont besoin, d'une part, contrairement à ce que certains veulent faire croire, parce que les agriculteurs chérissent l'environnement ; d'autre part, parce qu'ils sont des entrepreneurs, avec un compte de résultat, qui préfèrent dépenser moins pour les intrants. Il est donc essentiel de savoir comment accompagner l'agriculture de précision par le machinisme.

Certains dispositifs existent au sein de la politique agricole commune, notamment au travers des programmes opérationnels ou par le truchement des MAE, lorsque telle est leur finalité. Le vrai coup de boost sur le machinisme agricole a été donné dans le plan de relance, avec l'ouverture d'une ligne de 215 millions d'euros pour acheter du matériel, notamment de substitution – il a représenté 75 % des dépenses – et investir dans la recherche. Quinze millions d'euros ont été prévus pour les recherches dans le matériel, qui sont capitales. La France est à la pointe dans ce secteur, mais il faut continuer à l'améliorer.

Avec le Secrétariat général pour l'investissement, placé sous l'autorité du Premier ministre, nous élaborons des stratégies pour déployer le quatrième programme d'investissement d'avenir (PIA4). Elles permettront de développer sensiblement l'agriculture de précision et l'agroéquipement. J'ai rencontré hier le secrétaire général pour définir une stratégie en matière d'agroéquipement et une stratégie en matière d'alimentation, chère au ministre M. Guillaume Garot, Nous sommes en train de la finaliser et l'annoncerons prochainement.

Monsieur Sermier, je prends bonne note de votre demande d'inclure à l'avance les coûts des modifications culturales du fait du changement climatique, pour maintenir les appellations d'origine contrôlée. Le changement climatique est le principal défi auquel nous sommes confrontés.

C'est pourquoi, il y a un mois et demi, nous avons lancé le « Varenne agricole de l'eau et de l'adaptation au changement climatique ». Il comprend trois groupes thématiques : le premier porte sur la gestion des aléas climatiques, notamment la sécheresse, avec le fameux comité national de gestion des risques en agriculture (CNGRA), dont il est question tous les étés, ou pour l'instauration d'une assurance récolte.

Le deuxième groupe traite de la prévention et de l'adaptation de nos modes de culture, par exemple par des investissements dans l'irrigation ou des tours antigel. Les moyens d'adaptation des pratiques culturales existent. L'atelier a été confié aux représentants des instituts techniques et des professions. Le plan de relance a consacré une enveloppe de 200 millions d'euros au volet relatif à la prévention, qui est en cours de déploiement et obtient de bons résultats. Il nous faut continuer en ce sens. S'agissant de la recherche variétale, vous connaissez ma position sur les nouvelles techniques de sélection des plantes (NBT, new breeding techniques ) : tout en cadrant les avancées, il faut saisir le progrès, pour mieux adapter nos cultures aux sécheresses.

Le troisième groupe vise à adapter notre aménagement hydraulique sur le territoire.

Les trois groupes présenteront leurs résultats au fur et à mesure, jusqu'au début de 2022.

Quant à la réforme de l'assurance récolte, si nous parvenons à la mener bien, elle sera la réforme la plus structurelle pour notre agriculture depuis la PAC. Les Espagnols l'ont réalisée à la fin des années 1970, avec quarante ans d'avance sur nous concernant les effets du changement climatique. Ils ont été obligés de créer un vaste système d'assurance récolte, qui deviendra une nécessité impérieuse en France dans les prochaines années.

Le principe de base de l'assurance récolte, que j'ai longtemps étudié dans des fonctions précédentes, est de reconnaître qu'il n'y a pas de solution. Depuis des années, tout le monde la cherche dans le système actuel. En réalité, il n'y en a pas : le monde agricole n'est pas capable de financer lui-même le risque climatique. C'est d'ailleurs intuitif : habitant au cinquième étage d'un immeuble à Charenton-le-Pont, je paie une surprime catastrophe naturelle dans mon assurance habitation, bien que mon risque d'inondation soit limité. Dans le monde agricole, confronté au défi de l'assurance récolte, cela ne fonctionne pas ainsi.

Nous travaillons sur ce sujet, notamment avec l'un de vos collègues, M. Frédéric Descrozaille, pour bâtir un système multiple combinant une contribution nationale et des systèmes de co-assurance et de réassurance. Mon objectif est d'en introduire les bases dans les articles non rattachés de la loi de finances pour 2022, puis de travailler à finaliser le dispositif. La tâche est immense, puisqu'il s'agit de repenser un système assurantiel de fond en comble, pour adosser le nouveau régime à la future PAC, dès qu'elle entrera en vigueur. Si nous y parvenons, ce sera une réussite majeure.

Pour ce qui concerne le carbone qu'a évoqué Mme Aude Luquet, on oublie que le monde agricole est la surface terrestre qui capte le plus de carbone, avant la forêt, Celle-ci a réussi à structurer un système en créant des marchés volontaires pour capter du carbone et le valoriser ; l'agriculture n'a pas su le faire, il y a quinze ans. Cela ne signifie pas qu'il est trop tard, mais il faut tout structurer.

D'abord, dans le cadre du plan de relance, nous avons établi un dispositif de diagnostic carbone que nous finançons à hauteur de 10 millions d'euros : tout exploitant installé depuis moins de cinq ans peut y prétendre, afin d'identifier les émissions carbone de son exploitation ainsi que la manière de les réduire. Il n'y a rien de tel pour avancer et trouver des solutions concrètes.

Le projet, qui vient d'être lancé, est bien relayé par les agriculteurs, notamment les jeunes agriculteurs. Je me suis rendu il y a une semaine dans le département du Nord pour les premiers diagnostics carbone. Alors qu'ils coûtent 2 500 ou 3 000 euros, l'agriculteur ne paie que 200 euros, grâce au plan de relance.

Deuxième étape : nous finalisons les méthodes de labellisation pour valoriser la captation de carbone dans le sol d'un point de vue économique, donc créer un système vertueux où l'on aligne création de valeur environnementale et création de valeur économique. Si, demain, un agriculteur peut tirer profit de la valorisation du carbone capté dans le sol, après-demain, les exploitants seront d'autant plus nombreux à le faire. Pour cela, il faut créer la méthodologie – le milieu environnemental carbone parle de « labels ». Nous en avons déjà créé trois, dont un sur l'élevage. Nous attendons le quatrième, sur la grande culture. Ce volet est presque finalisé.

Ensuite, on structure la demande. On regroupe des industriels, y compris en créant une plateforme entre l'offre et la demande. On valorise alors les tonnes de carbone que nos agriculteurs peuvent capter dans le sol : les industriels n'auront donc pas à aller acheter des crédits carbone je ne sais où. On enclenche là une énorme dynamique dans la profession. Un point de non-retour sera bientôt atteint, ce qui signifie que le projet, poussé par le plan de relance, se fera.

Je fais partie des ministres qui, au niveau européen, ont défendu le fait que la PAC devait être en lien avec le Green Deal – nous étions d'ailleurs très peu nombreux, au début. J'ai toujours été convaincu que ce pacte était nécessaire car il permettrait d'obtenir l'accord politique in fine, notamment avec le Parlement. Ainsi, lorsque le Green Deal sera traduit en un texte législatif au niveau européen, il faudra que nos PSN soient conformes ou qu'ils soient revus pour être mis en conformité.

S'agissant des conditionnalités, il y aura toujours des personnes pour dire que ce n'est pas assez. Tout n'est certes pas parfait mais le paiement vert de la PAC passera de 30 % à 100 %, auquel s'ajoutera 25 % d'écorégimes. Le référentiel actuel comprend aussi les socles de conditionnalité que l'on appelle les bonnes conditions agricoles et environnementales (BCAE). Par exemple, les systèmes d'infrastructure agroenvironnementale, qui étaient au minimum de 2 % de la surface de l'exploitation, passent à 4 %. Ce sont les parties non productives, que l'on appelle communément les jachères, même si des haies sont préférables.

Mon objectif est de convaincre le plus grand nombre d'agriculteurs de choisir de cultiver des protéines. C'est pourquoi nous insistons sur cette voie dans la conception de l'écorégime, en lien avec la diversification culturale.

De même, dans la voie des conditionnalités BCAE 9, comme de l'écorégime, il faut inciter à créer des haies. Les agriculteurs craignent toutefois de figer leur exploitation car on ne revient que rarement sur une haie, tant son bénéfice est grand. Or, les images aériennes d'antan l'attestent, les exploitations vivent. Je suis un fervent défenseur des haies, mais, en politique publique, il faut comprendre pourquoi l'utilisateur lui-même n'en veut pas.

Par le biais du plan de relance, l'État les finance, avec les collectivités locales, notamment les régions, à hauteur de 50 millions d'euros. Nous avons d'ailleurs créé un label bas carbone haies, et, dans le cadre des BCAE 9 et de l'écorégime, on met le paquet sur les haies. Parallèlement, il faut accompagner les agriculteurs en expliquant comment fonctionne le système, pour appréhender les craintes et faire en sorte d'aller le plus vite possible sur le sujet. En France, depuis le remembrement, on a en effet détruit 700 000 à 1,2 million de kilomètres de haies. L'enjeu est donc massif. Si, dans cinq à dix ans, la nouvelle politique agricole commune peut être perçue comme favorisant l'écorégime protéines et les conditionnalités haies, plutôt que les jachères, je serai le plus heureux des hommes.

Les arbitrages que j'ai donnés sur le PSN et l'écorégime ont été critiqués, au motif que l'on met au même niveau HVE 3 et bio. L'écorégime concerne le premier pilier, donc une conditionnalité environnementale, non une aide à l'investissement. Le deuxième pilier, l'aide à l'investissement, vise à mener un accompagnement, par exemple à aider un exploitant à passer en bio. J'entends d'autant mieux les critiques, que je m'étais engagé, l'été dernier, à revoir le dispositif méthodologique de la HVE. Grâce aux financements que nous avons inscrits dans le plan Écophyto, nous avons lancé la revue. Elle est en cours, ainsi que la montée en gamme.

Le ministre M. Garot et Mme Mathilde Panot avançaient la question de la voie B, et de la façon de la faire évoluer. Dans la nouvelle PAC, la seule aide à l'investissement porte sur la bio. Il n'y en a pas pour la HVE. Sur le deuxième pilier, les seules aides à l'investissement sont l'ICHN – dans certains territoires, elle permet de maintenir les élevages, qui ont une incidence positive sur l'environnement ; et les MAE, qui concernent toutes les exploitations, mais pas la certification. Seule la bio bénéficie de l'aide à l'investissement, à hauteur de 340 millions d'euros. Je le dis avec fierté, c'est le poste de la PAC qui augmente le plus, avec les aides protéines et l'aide aux jeunes.

L'écorégime n'est pas une aide à l'investissement, mais une conditionnalité. Les haies, les protéines, l'agriculture de conservation ou la HVE ont toutes un apport environnemental. Il faut le déterminer, pour restituer les 25 % d'aides directes. Imaginez que, comme le demandent certains, ce montant ne soit restitué qu'aux exploitants pratiquant l'agriculture biologique. Comment expliquer à un éleveur qui construit des haies, à un exploitant qui fait de l'agriculture de conservation ou qui, en grande culture, cultive des protéines, qu'ils ne font pas assez, car leurs productions ne sont pas bio ? Cela ne fonctionne pas.

Dire que l'on place HVE et bio au même niveau est inexact ; en réalité, HVE, bio, haies, protéines ou agriculture de conservation qui capte du dioxyde de carbone sont au même plan car on parle de conditionnalité c'est-à-dire de la restitution des 25 % d'aides directes. Dans notre pays, il est bon d'avoir de nombreuses agricultures. Je ne dirai jamais qu'une agriculture spécifique est l'alpha et l'oméga.

Je défends le bio, mais tout autant les haies, la HVE et les protéines. Je donnerai, plutôt dix fois qu'une, les 25 % à un agriculteur conventionnel qui m'aidera à éviter l'importation de soja brésilien ou à l'exploitant en grandes cultures qui reconstituera des haies. En revanche, sur le volet investissement, seul le bio est concerné – tout est traité de manière différente.

S'agissant du volet social, monsieur Benoit, l'employabilité est un critère important. J'estime que cela constitue une grande avancée et qu'il faut continuer en ce sens.

Pour ce qui est de la capacité de l'agriculture à devenir, au même titre que la forêt, un puits de carbone, la question n'est pas aussi simple qu'elle en a l'air. En effet, cet objectif entre en conflit avec celui de la préservation de la biodiversité. Je fais partie de la génération des ingénieurs agronomes à qui on a répété durant des années que la captation du carbone par le sol était une solution géniale pour lutter contre le changement climatique. Seulement, le non-recours au labour implique d'utiliser des herbicides ou du glyphosate (protestations) ! Oui, les alternatives au labour, que j'ai étudiées, ne sont pas préférables, puisqu'il s'agit de détruire le couvert par électrocution, une méthode de désherbage qui éradique aussi les vers de terre, ou par le feu, voyez les photos de ces tracteurs qui brûlent tout sur leur passage ! Ce qui est intéressant, d'un point de vue démocratique, c'est que, ces vingt dernières années, le débat s'est déplacé : le sol est désormais vu comme un lieu de préservation de la biodiversité, non plus seulement comme un lieu de séquestration du carbone. Les objectifs s'affrontent, mais cela ne signifie pas qu'il n'existe pas de voie possible entre les deux. En tout état de cause, le débat ne peut pas être tranché de façon simpliste.

L'État est l'autorité de gestion des aides surfaciques, mais la gouvernance revient aux conseils régionaux qui, par le biais des comités régionaux agroenvironnementaux et climatiques (CRAEC), identifient et travaillent sur la nature des MAEC. Les régions sont les autorités de gestion des mesures non surfaciques, comme les aides à l'installation.

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Jeudi, une délégation de notre commission s'est rendue dans ma circonscription, au sud du département du Rhône, pour rencontrer des maraîchers, des arboriculteurs et des viticulteurs sur le thème de l'adaptation de l'agriculture aux évolutions climatiques et aux exigences sociétales. Les agriculteurs ont souligné la nécessité de donner plus de moyens à la recherche dans les domaines de la sélection variétale, de la réduction des intrants et des évolutions culturales : quelle est votre politique en la matière ? Comment aider ceux qui expérimentent de nouvelles pratiques agroécologiques ? Des crédits de recherche pourraient-ils être attribués à des démarches participatives ? Quelles sont les ambitions du Varenne de l'eau, dans la mesure où seuls 6 % de la surface agricole utile (SAU) sont équipés de systèmes d'irrigation – contre 10 % en Italie et 14 % en Espagne ?

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Lorsque les agriculteurs qui ont bénéficié de la dotation jeune agriculteur (DJA) n'ont pas atteint le revenu de référence au bout de cinq ans, l'Europe leur demande de rembourser la dotation. Dans le Jura, un certain nombre d'entre eux étaient dans cette situation à cause des aléas climatiques survenus en 2012, année actuellement à l'étude. Pensez-vous que, comme pour 2011, ils obtiendront une dérogation – à condition, bien sûr, qu'ils soient encore agriculteurs à titre principal ?

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Je tiens à vous remercier pour votre combat, salué par tous les acteurs de nos territoires.

Si les exploitants agricoles de montagne se réjouissent du sort réservé aux ICHN, la réduction des aides aux éleveurs laitiers les inquiète, eux qui s'alarment de la baisse constante du nombre d'exploitations. Notons qu'il s'agit là d'une agriculture vertueuse – taille des exploitations, présence d'herbages –, dont il faut continuer de développer le modèle. La défense de ce système d'exploitation est aussi une question politique et je voulais savoir comment elle était assurée, aussi bien au niveau européen qu'au niveau national, dans la finalisation du PSN.

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La charte EVA-environnement n'instaure qu'un socle minimum d'exigence pour les élevages de poulets et ne comprend ni critères environnementaux spécifiques ni obligation en matière d'origine des aliments d'élevage. Or, par un arrêté du 25 janvier 2021, vous l'avez reconnue comme équivalente à l'ensemble des exigences du référentiel de la certification environnementale de deuxième niveau – HVE2 –, ce qui fait que ces poulets pourront désormais entrer dans la part de 50 % de produits de qualité et durable destinés à la restauration publique. À l'heure où l'alimentation de nos enfants et le respect de l'animal et de l'environnement sont des questions de premier plan, favoriser ainsi l'élevage intensif de poulets au sein des cantines est inconcevable. Quelle est l'opportunité d'une telle décision, qui va à l'encontre de tous nos travaux législatifs ?

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Les agriculteurs nivernais – 75 % en vaches allaitantes –, s'inquiètent du plafonnement des aides couplées animal et des écorégimes, qu'ils jugent trop restrictifs. Ils souhaiteraient que les mesures complémentaires concernant les zones intermédiaires soient réintégrées au premier pilier et que le paiement redistributif demeure limité à 10 % de l'enveloppe, avec un doublement du plafond sur les surfaces pour les zones intermédiaires. Vous l'avez expliqué, il s'agit, pour les agriculteurs, de savoir comment constituer leurs revenus afin de conserver des capacités d'investissement et de réussir la transition. Je relaie leurs inquiétudes, dans la mesure où cette nouvelle PAC les privera peut-être d'une forme de revenu essentielle.

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Lors de votre visite à Val-d'Anast, en Ille-et-Vilaine, vous vous étiez entretenu avec des agriculteurs, et notamment Gwenaël Floch, maraîcher. Il avait été évoqué l'éventualité d'une aide, forfaitaire ou pas, qui serait un filet de sécurité pour ces petites exploitations, parfois à forte intensité de main-d'œuvre, et soumises aux aléas climatiques, sanitaires et économiques. Il était question d'une enveloppe de 13 à 17 millions d'euros pour le maraîchage, mais elle serait semble-t-il consacrée aux exploitations de plus de 1 hectare. Cette question renvoie aux seuils des aides surfaciques, qui sont parfois difficiles à atteindre. Pourriez-vous apporter des précisions ?

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Julien Denormandie, ministre

Monsieur Fugit, je connais votre engagement pour la recherche variétale et comme vous, je pense qu'il faut avancer. Il faut faire évoluer le cadre juridique européen afin qu'il soit plus conforme à la réalité scientifique. On m'accusait de vouloir aller trop vite lorsque je disais cela il y a un an, mais je constate que depuis, la Commission européenne a publié un rapport sur les nouvelles techniques de sélection végétale – New Breeding Techniques (CNBT) – et que le Conseil des ministres européens de l'agriculture commence à s'interroger sur une réglementation plus adaptée qui permettrait d'injecter un peu de science et de raison dans ce domaine, ce qui est essentiel à mes yeux.

Pour les crédits, nous disposons de plusieurs voies d'action, à commencer par le compte d'affectation spéciale Développement agricole et rural (CASDAR). Un rapport d'évaluation devrait être publié prochainement, qui montre toute la pertinence du dispositif. Je compte aussi beaucoup sur les travaux que nous menons au travers du plan de relance ainsi que sur le quatrième programme d'investissements d'avenir (PIA4). Les équipes ont fait du bon travail pour finaliser des stratégies, sur l'agroéquipement et sur l'alimentation, qui intègrent des programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR). J'espère que cela permettra de donner un coup d'accélérateur dans ces domaines.

Le Varenne de l'eau traite de trois sujets, d'une impérieuse nécessité selon moi : la gestion des risques assurance récolte – une réforme structurelle qui devrait enfin aboutir avec le prochain PLF – ; l'adaptation et la prévention ; l'aménagement hydraulique.

Monsieur Sermier, nous regarderons avec beaucoup de bienveillance, soyez-en assuré, la situation des personnes tenues de rembourser la DJA. L'une de mes grandes fiertés est d'avoir réussi à faire intégrer dans la nouvelle PAC la notion de « droit à l'erreur ». J'avais été choqué, à mon arrivée au ministère, d'avoir dû signer des courriers à des agriculteurs ou à des parlementaires expliquant que, nonobstant les situations personnelles difficiles, les catastrophes naturelles et toutes sortes d'aléas de la vie, le retard ou l'erreur dans le remplissage d'un formulaire impliquaient un rappel de plusieurs années d'aides de la PAC. Je m'étais alors juré que cela n'arriverait plus. C'est le premier combat que j'ai mené au Conseil des ministres européens ; j'ai réussi à convaincre mes homologues – qui vivaient en fait la même chose – de changer la philosophie de la PAC en intégrant, dans sa nouvelle version, la notion de droit à l'erreur. Je me suis inspiré, d'ailleurs, des dispositions de la loi pour un État au service d'une société de confiance (ESSOC), que vous avez votée en 2018.

S'agissant des éleveurs laitiers, madame Riotton, monsieur Perrot, nous sommes en train de finaliser la réforme des UGB – unités de gros bétail –, une réforme très technique qui mobilise depuis plusieurs mois mes équipes, la filière allaitante, les chambres d'agriculture et leur président, qui est très investi. Jusque-là, les aides couplées étaient versées uniquement en fonction du critère « nombre de veaux par vache », ce qui donnait peu de latitude aux agriculteurs pour faire évoluer leur cheptel. Nous avons passé des heures et des heures pour modifier cette méthode de versement des aides, à rechercher le bon équilibre, dans le respect des spécificités territoriales. Nous sommes aujourd'hui dans la phase finale des discussions.

Pour les éleveurs de montagne, le sort réservé à l'ICHN constituait une ligne rouge. J'ai fait un choix fort en décidant de maintenir l'enveloppe de l'ICHN : cela implique, pour le Gouvernement, de l'abonder de 110 millions d'euros chaque année pendant cinq ans. Sans ces 550 millions, l'ICHN aurait, du fait des nouvelles règles européennes, diminué significativement. C'est donc un signal politique important et cette nouvelle ligne budgétaire figurera dans les prochains projets de loi de finances.

Madame Bassire, les volailles de chair répondant à la charte EVA-environnement sont désormais labellisées HVE2. La loi EGALIM, que vous avez votée, prévoit que, dans la restauration collective, la part de 50 % de produits de qualité et durables peut intégrer des produits issus d'une exploitation HVE2 jusqu'au 31 décembre 2029 – date butoir avancée par le projet de loi « climat et résilience » au 31 décembre 2026.

C'est un débat que j'ai eu à de nombreuses reprises avec la profession et les représentants des labels. J'estime que, comme dans la vie, il faut sérier les problèmes. J'entends bien qu'un poulet SIQO – signes officiels d'identification de la qualité et de l'origine – ou Label Rouge, ce n'est pas la même chose qu'un poulet issu d'un élevage HVE2, et qu'il convient de promouvoir ces productions dans la restauration scolaire. Mais outre ce que cela implique pour les finances des collectivités locales, ce qui m'importe avant tout, c'est que nos enfants ne mangent pas à la cantine du poulet ukrainien ou du poulet brésilien, dont la qualité sera toujours inférieure à n'importe quel poulet produit en France. Valoriser la production française, à travers la HVE2, doit être le défi prioritaire.

Monsieur Perrot, nous agissons de plusieurs manières pour les zones intermédiaires. À l'intérieur de l'enveloppe des MAE, nous dédions une enveloppe de 30 millions d'euros qui sera réservée aux zones intermédiaires, afin de garantir que ces aides iront bien à ces parties du territoire. Par ailleurs, nous mettons fin au mécanisme qui fait qu'une grande partie des zones intermédiaires, aujourd'hui, bénéficient d'un taux moyen de paiement de base inférieur à la moyenne nationale. Avec le mécanisme de l'écorégime, on instaure une convergence absolue dès le départ : 25 % du montant du premier pilier est réparti de manière homogène. Cela entraînera mécaniquement une hausse du niveau des paiements de base partout – si tant est que l'écorégime soit bien accessible.

Madame la présidente, nous sommes en train de travailler pour abaisser le seuil de l'aide au maraîchage. Nos estimations portaient entre 1 et 3 hectares ; nous avons désormais à l'esprit que les surfaces inférieures à 1 hectare – celle de Gwenaël Floch fait, de mémoire, quelque 0,8 hectare – doivent être éligibles.

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Je vous remercie, monsieur le ministre, d'avoir accepté cette audition au pied levé et d'avoir fourni à nos questions directes des réponses très précises et argumentées. Nous vous souhaitons bon courage dans la défense de ces dossiers, essentiels pour nous tous.

Informations relatives à la Commission

La Commission a nommé Mme Laurence Maillart-Méhaignerie rapporteure sur les pétitions renvoyées à la Commission.

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du jeudi 8 juillet 2021 à 9 h 05

Présents. - Mme Nathalie Bassire, M. Jean-Luc Fugit, M. Guillaume Garot, Mme Chantal Jourdan, M. Jean-Claude Leclabart, Mme Aude Luquet, Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, Mme Sandra Marsaud, Mme Mathilde Panot, M. Patrice Perrot, Mme Véronique Riotton, M. Jean-Marie Sermier, M. Sylvain Templier, M. Vincent Thiébaut, M. Jean-Marc Zulesi

Excusés. - M. Jacques Krabal, Mme Frédérique Tuffnell

Assistait également à la réunion. - M. Thierry Benoit