Intervention de Julien Denormandie

Réunion du jeudi 8 juillet 2021 à 9h05
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation :

La PAC répond à un objectif politique européen et national. À l'origine, en 1958, il s'agissait avec le traité de Rome de 1958 d'ouvrir l'agriculture française vers la recherche des marchés, selon l'expression employée par MM. Pisani et consorts, et d'augmenter la production. Il fallait nourrir le peuple de France et consolider l'agriculture grâce au marché commun. Depuis plusieurs décennies, la PAC vise aussi à favoriser la contribution de l'agriculture à la transition environnementale.

Le cadre politique de la future PAC a été défini, ce qui ne fut pas une mince affaire. Certains États membres considéraient en effet que la PAC n'était plus un pilier de la politique européenne, ce qui constituait une erreur fondamentale pour la France. Nous nous sommes beaucoup battus pour que la PAC reste l'un des piliers de la politique européenne, c'est-à-dire que les financements soient maintenus. Nous avons eu gain de cause après un gros travail et la France a emporté un vrai succès.

La deuxième bataille que nous avons livrée portait sur la vision politique de la PAC. Dans le traité de Rome, elle était essentiellement économique. Après la modification survenue au cours du XXe siècle, elle était devenue économique et environnementale. Dorénavant, elle sera économique, environnementale et sociale. C'est important à de nombreux égards. D'abord parce qu'il est incompréhensible qu'au sein du marché européen, tous les pays ne respectent pas un socle commun de normes sociales. C'est une aberration. Par ailleurs, notre agriculture y trouvera un moyen de lutter contre la concurrence déloyale de certains pays européens qui, pendant des années, ont pratiqué le dumping social sur le dos des travailleurs agricoles ou de nos agricultures. C'est une autre grande victoire française, car peu de pays défendaient l'inclusion du socle social. La nouvelle PAC comprend donc clairement les volets économique, environnemental et social.

Vous me demandez, madame la présidente, comment la PAC va contribuer à la transition agroenvironnementale. La politique agricole commune repose sur deux piliers. Schématiquement, le premier regroupe les aides au revenu et le second les aides à l'investissement. Pour accélérer la transition, nous avons obtenu la définition d'un certain nombre de lignes rouges au niveau européen.

Première ligne rouge : tous les nouveaux mécanismes, notamment l'écorégime, seront obligatoires pour tous les pays européens. Dans le passé, les obligations environnementales s'accompagnaient de palanquées de dérogations. Un débat important a porté sur la part des financements soumise à l'écorégime : 20 %, 25 % ou 30 % ? Ma position a toujours été claire : mieux vaut un écorégime à 25 % sans aucune dérogation qu'un à 30 % avec des dérogations permettant à des pays de ne pas l'appliquer, car il en résulterait une concurrence déloyale. En outre, quand un pays qui fait partie du marché commun n'est pas soumis au même cadre de transition environnementale, cela ralentit les transitions chez ses voisins.

L'accélération de la transition passe par une convergence par le haut de toutes les normes, au sein et à l'extérieur du marché commun. Ne pas considérer cette convergence comme le principal vecteur d'accélération de la transition serait folie. Ce qui ralentit nos transitions, c'est non pas l'impossibilité technique, mais un manque de création de valeur économique, parce qu'un produit est mis en concurrence avec des productions d'autres pays de l'Union européenne qui ne respectent pas les mêmes normes environnementales. C'est encore plus vrai s'agissant de la politique commerciale.

Deuxième ligne rouge : la transition est un investissement qui n'est pas réalisable sans un revenu. Tous ceux qui expliquent que la PAC devrait exclusivement consister en aides à l'investissement balaient d'un revers de main la structuration actuelle du compte de résultat d'un agriculteur. Que cela soit bien ou mal, l'aide au revenu constitue une part parfois très importante de ce compte. Ceux qui souhaitent imposer aux agriculteurs de réaliser des investissements oublient que les soutiens étatiques à l'investissement, nationaux ou européens, représentent au maximum 40 % ou 60 % du montant total. Il faut donc s'adresser à son banquier pour obtenir les sommes restantes. Or, sans revenus consolidés, le banquier refusera de prêter et la transition ne se fera pas.

Les revenus des agriculteurs doivent également être consolidés en dehors de la PAC. C'est tout l'enjeu notamment de la proposition de loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs déposée par MM. Grégory Besson-Moreau, Stéphane Travert, Thierry Benoit et de nombreux autres. C'est la mère des batailles car les agriculteurs souhaitent vivre de leur travail plutôt que de subventions.

La troisième ligne rouge porte sur la mise en œuvre des nouveaux instruments. J'ai évoqué les deux piliers que sont les aides au revenu et les aides à l'investissement. Au sein du premier pilier, il existe un mécanisme, le paiement vert, qui conditionne 30 % des aides au revenu au respect d'exigences environnementales. La nouvelle PAC va étendre la conditionnalité à 100 % de ces aides.

En outre, nous allons créer le mécanisme de l'écorégime, qui prévoit que seulement 75 % des aides seront préalablement versés à l'agriculteur, les 25 % restants ne l'étant ensuite que si des conditionnalités environnementales sont bien respectées. Entre parenthèse, quel corps socio-économique, à part le monde agricole, accepterait un tel mécanisme ? Imaginez que le Président de l'Assemblée nationale propose de ne vous verser que 75 % de votre indemnité et ne vous donne le reste que si vous acceptez de passer au vélo, de rénover votre logement ou de changer de type de carburant !

Les conditions environnementales prévues dans les écorégimes suivent trois voies : la diversité des cultures, car le type de culture retenu peut encourager la biodiversité et consolider l'écosystème, les certifications et les infrastructures agroécologiques. Je pense notamment aux haies, dont je suis un fervent défenseur et qu'il faut reconstituer dans notre pays.

Nous allons aussi renforcer très significativement les aides aux protéines. L'un des plus grands scandales environnementaux du monde agricole est la dépendance de l'Europe au soja brésilien organisée depuis plus de cinquante ans. C'est une honte : le soja brésilien, c'est de la déforestation importée et de la biodiversité dégradée. Pour y remédier, il faut prendre des décisions courageuses et mettre en place des aides couplées pour les productions riches en protéines d'un niveau supérieur. Mais le montant global des aides couplées étant limité, cela signifie que les aides pour les autres secteurs seront réduites. Cela implique des choix difficiles. Je suis néanmoins convaincu que la priorité donnée aux protéines ­– le montant des aides pour les protéines sera doublé en fin de période – est absolument essentielle. Je suis très fier que nous ayons réussi à ouvrir cette voie.

Le deuxième pilier regroupe les aides à l'investissement, qui permettent d'accompagner les transitions et la mise en place du cadre environnemental. Plusieurs choix stratégiques ont été faits.

Le montant des mesures agroenvironnementales (MAE) a été maintenu – nous établirons ensuite la nature de ces mesures.

Nous avons également maintenu le niveau de l'indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN), notamment pour l'élevage. N'oublions pas par exemple que les brebis du Quercy – les meilleures amies des pompiers dans le Lot – constituent un apport environnemental.

Je me suis déjà exprimé mille fois à propos de l'agriculture biologique, mais je tiens à y revenir car j'ai été outré par les campagnes qui m'ont personnellement visé. Le slogan de l'une d'elles était : « Denormandie veut mettre la bio à poil ». Certains, dont une star de la télévision, se sont fait photographier nus avec une pancarte affirmant que je diminuais de 66 % les aides au bio, ce qui est totalement faux. Dans les aides à l'investissement, la ligne consacrée à l'agriculture biologique passe de 250 à 340 millions d'euros : un tel effort n'a jamais été consenti ! Nous allons consacrer 1,7 milliard d'euros au bio sur la période.

Le débat porte en revanche sur la nature de ces aides. Il remonte à 2017, lorsque l'État et de nombreuses régions, constatant que nous importions 30 % de notre consommation en agriculture biologique, ont décidé que les aides devaient aller en priorité à la conversion pour accompagner les exploitations conventionnelles qui passent au bio. Les aides au bio s'élèvent actuellement à 250 millions d'euros par an, dont 50 millions d'aide au maintien et 200 millions d'aide à la conversion. Le montant va passer à 340 millions d'euros, entièrement consacrés à l'aide à la conversion.

Je peux entendre qu'il y ait un débat sur la nature des outils et que certains souhaitent proposer d'autres idées. Je suis prêt à ouvrir tous les dossiers sans tabou. Mais il ne faut pas faire croire que le Gouvernement diminue de 66 % les aides au bio alors que les sommes pour l'investissement dans le bio augmentent de plus de 30 %, en partie à la suite des choix budgétaires du Premier ministre en faveur de l'agriculture. Le maintien de l'ICHN et des MAE et l'augmentation de 30 % des investissements en faveur de la conversion vers l'agriculture biologique n'ont été possibles que parce que l'État vient ajouter 140 millions d'euros annuels à la PAC.

Au-delà des mesures portant sur les piliers de la PAC, un combat politique a commencé à s'ouvrir et sera mené lors de la présidence française du Conseil de l'Union européenne. La PAC est passée d'une vision purement économique à une vision économique et environnementale, puis sociale. Mais la politique commerciale n'a pas suivi les mêmes évolutions. Je pense que c'est le défi d'une génération.

Faute de convergence, on trouve parfois sur le marché commun des produits qui ne répondent pas aux mêmes normes. Quand le consommateur n'est pas capable de différencier deux produits, ou que les différences de prix sont telles qu'il choisira le moins cher, tous les efforts potentiels de transition sont ruinés. Ce qui est vrai au niveau européen l'est plus encore au niveau international. Nous importons ainsi en France des produits qu'il est interdit d'y produire. Cela devrait éveiller les consciences ! Comment pouvons-nous accepter de vendre des produits dont les modes de production sont interdits dans notre pays ? Quelque chose ne tourne pas rond.

J'ai beaucoup essayé de faire bouger les lignes à ce sujet lors des discussions sur la PAC. Les parlementaires européens demandent, à juste titre, que la PAC s'aligne sur le Green Deal. Mais il faut que la politique commerciale aille également dans ce sens. Alors que certains pays utilisent encore des antibiotiques de croissance, nous ne pouvons pas interdire l'importation en Europe de viandes produites ainsi. Nous sommes en passe de remporter ce combat dans les prochains mois, car l'Europe va adopter un acte délégué pour interdire enfin l'importation de ces viandes. Mais il n'y a aucune possibilité de réguler l'importation de soja brésilien qui cause la déforestation. Ce sont ces mécanismes qui font que nos enfants mangent dans les cantines du poulet ukrainien ou brésilien, beaucoup moins cher, élevé dans des conditions que nous n'accepterions pas.

C'est l'enjeu des clauses miroirs, et c'est l'une des priorités de la future présidence française du Conseil de l'Union européenne. Nous avons remporté une première victoire dans la PAC, car nous avons obtenu une déclaration des trois institutions demandant un rapport sur les clauses miroirs. Nous n'avons pas réussi à faire adopter une mesure au niveau législatif mais les choses pourront néanmoins avancer. Ce sera un combat de plusieurs années. Il passera par des victoires comme l'acte délégué sur les antibiotiques de croissance, mais il prendra du temps. Il ne faut pas renoncer. Il faut profiter de la présidence française pour franchir un point de non-retour et tracer la voie.

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