Intervention de Emmanuel Derieux

Réunion du mercredi 13 octobre 2021 à 14h30
Mission d'information sur l'application du droit voisin au bénéfice des agences, éditeurs et professionnels du secteur de la presse

Emmanuel Derieux, professeur à l'université Panthéon-Assas (Paris II) :

Dans le document que je vous ai fait parvenir hier, j'ai essayé de mettre en quelques mots des réflexions ou interrogations sur la consécration de droits voisins des éditeurs et agences de presse. Je dois avouer que je n'ai toujours pas compris la pertinence de la consécration en droit français, sinon en droit européen, d'un droit voisin des éditeurs et des agences de presse.

Ces éditeurs sont titulaires de droits d'auteur, soit en tant que cessionnaires des droits des journalistes et des autres auteurs qui apportent des contributions dans les publications, et ils sont titulaires au titre de l'œuvre collective des droits sur l'ensemble que constitue la publication de presse dans des conditions telles que, en droit français, je ne vois pas ce que comportent ces droits voisins revendiqués par les éditeurs et agences de presse.

La notion de presse comporte une incertitude. En effet, on ignore si la presse en ligne relève du statut de la presse ou du statut de la communication publique électronique. Une publication de presse comporte des textes rédigés, éventuellement des illustrations graphiques, qui sont des œuvres protégées par le droit d'auteur.

Le contributeur qui met ses créations à la disposition d'une publication cède les droits. L'entreprise éditrice est cessionnaire des droits dans des conditions qui lui sont très favorables depuis les dispositions de la loi de 2009. En effet, les droits d'auteur des journalistes sont très largement cédés à la publication. L'une des difficultés d'application, d'interprétation du droit, est que la notion d'entreprise éditrice et la notion de publication de presse connaissent des divergences de définitions, selon les dispositions du code de la propriété intellectuelle ou de la loi du 1er août 1986 sur le statut d'entreprise de presse.

C'est ma perception du caractère très insatisfaisant du droit en la matière : abondance des textes et inflation à la fois dans le nombre et le volume des textes. Il a fallu quinze articles pour transposer les dispositions de la directive, et un article crée lui-même quatre ou cinq articles du code de la propriété intellectuelle.

Je ne perçois pas la nécessité de la consécration de droits voisins et droits d'auteur au profit des agences et éditeurs de presse, même si j'entends leurs revendications. Je ne crois pas que cet interventionnisme incessant introduise cohérence, rigueur et clarté dans le droit en vigueur. On nous parle toujours de simplification du droit, mais en voulant le simplifier, on ne fait que le compliquer.

Les droits voisins sont d'une durée de deux ans, alors que les droits d'auteur ont une durée de soixante-dix ans. Les autres droits voisins du droit d'auteur, en droit européen comme en droit français, sont de cinquante ans.

Je fais certainement preuve d'incompétence et j'avoue mon ignorance, mais je ne comprends vraiment pas ce que l'on attend de la consécration de ces droits voisins au profit des éditeurs et agences de presse.

La principale cible de la revendication des éditeurs de presse, Google, est surtout l'objet de procédures pour dénonciation de pratiques anticoncurrentielles ou pour non-négociation dans des conditions satisfaisantes. La sanction de l'Autorité de la concurrence est confirmée par la Cour d'appel, mais le litige ne porte pas sur la question même des droits voisins.

Je suis très perplexe face à toute cette agitation législative, à la fois européenne et française.

Pardonnez-moi d'être ainsi critique et non pas constructif dans mon approche de cette question, mais j'entendrai volontiers des analyses ou interprétations différentes, qui seraient pour moi très éclairantes.

Pardon pour ce préliminaire très négatif.

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