Intervention de Pierre Louette

Réunion du mardi 21 septembre 2021 à 17h05
Mission d'information sur l'application du droit voisin au bénéfice des agences, éditeurs et professionnels du secteur de la presse

Pierre Louette, président de l'APIG :

Merci beaucoup, madame la présidente, monsieur le rapporteur, de nous donner l'occasion de nous retrouver en présentiel et de revenir à ces modalités d'antan, qui permettaient de nous croiser.

En préambule, nous avons la chance d'avoir un parlement très actif dans ce débat sur le droit voisin. La France a longtemps été la « fille aînée de la transposition ». En effet, le 24 juillet 2019, la directive européenne a été transposée en droit français et est ensuite entrée en vigueur. Pour autant, deux ans plus tard, la loi que vous avez adoptée, et que nous avons tous souhaitée et saluée, n'est malheureusement pas entièrement devenue réalité.

En effet, quasiment personne ne peut affirmer qu'il perçoit une rémunération au titre du droit voisin. Ceux qui en perçoivent peut-être une l'ont négociée de façon relativement cryptique de leur côté. Après une transposition rapide, nous avons rencontré des interlocuteurs extraordinairement lents dans la manière de faire vivre les dispositions de cette loi.

Nous pouvons comprendre que personne n'ait envie de payer cet élément nouveau. Pour autant, il faut se conformer à la loi et permettre qu'elle devienne réalité.

L'APIG est aujourd'hui très bien représentée par M. Jean-Pierre de Kerraoul, éminent représentant de la presse hebdomadaire régionale, qui a un rôle extrêmement important dans nos territoires, qui est souvent issue de la Résistance ou de mouvements religieux, catholiques en particulier, et qui est pleine d'énergie et de diversité. M. Jean‑Nicolas Baylet est le dirigeant du groupe La Dépêche du Midi et représente la presse quotidienne régionale, une autre famille, sachant que l'APIG est également composée de la presse quotidienne départementale et de la presse quotidienne nationale, dont je suis aujourd'hui le représentant, tout en étant président de l'APIG depuis bientôt un an.

L'APIG est née d'une volonté de simplifier la vie de la Représentation nationale, en réduisant le nombre d'interlocuteurs. Nous avons essayé de rapprocher les différentes familles : les quotidiens nationaux et régionaux, les quotidiens départementaux et la presse hebdomadaire régionale.

L'APIG est aujourd'hui une famille très importante, avec près de 300 titres de presse d'intérêt général, 225 journaux régionaux et locaux, 10 000 journalistes et plus de 48 millions de lecteurs mensuels, toutes familles confondues. Elle occupe une place centrale à la fois dans la presse en général, dans la presse d'intérêt général en particulier. La notion d'intérêt général nous tient à cœur. Nous estimons qu'elle mérite d'être défendue, tout à la fois contre les grands acteurs supranationaux qui ont parfois tendance à méconnaître cette notion, et également contre des attaques venues de l'intérieur, certains acteurs souhaitant renouveler ou modifier cette notion, qui a toute sa force aujourd'hui.

L'APIG est également représentée par son directeur général, Pierre Petillault, et son directeur général adjoint, Samir Ouachtati, que vos services connaissent.

Je souhaite revenir sur le modèle économique des titres de l'APIG, pour essayer d'en poser les grands éléments. Ce modèle économique est divers au sein de l'APIG, mais n'est pas non plus celui de la presse magazine ou de la presse spécialisée. De manière très globale, la presse est soumise depuis une vingtaine d'années à des mouvements baissiers sur la diffusion payée du papier. Depuis une dizaine d'années, la presse quotidienne nationale fait face à une baisse annuelle de 10 à 15 % des ventes de journaux papier, avec quelques variations selon les années. Depuis le début de l'année, cette baisse est de 13 % pour la plupart des titres. S'agissant de la presse quotidienne régionale, très ancrée dans ses territoires et auprès de son lectorat, certainement plus que la presse quotidienne nationale, la baisse s'élève à 3 ou 4 % par an.

Cette baisse des ventes papier signifie une baisse d'une des trois sources de revenus d'un journal, à savoir la publicité. Les deux autres sources sont la vente en kiosque - dont le nombre diminue depuis plusieurs années d'environ mille par an -, et les abonnements.

Nous savons que les revenus publicitaires de la presse ont été globalement divisés par deux en dix ans. Sont apparus deux nouveaux acteurs, très importants, que sont Google et Facebook. Dans le domaine des investissements publicitaires que consentent les entreprises, ils ont raflé 70 % des dépenses publicitaires en ligne, et 83 % de la croissance de ces dépenses. La position de ces deux acteurs est extrêmement forte, avec un incrément annuel très important.

Je souhaiterais resituer l'importance de ces deux acteurs dans le paysage mondial. Les chiffres sont à la fois éclatants et inquiétants. Les investissements publicitaires mondiaux représentent 700 milliards de dollars, dont 400 milliards d'investissements classiques et 300 milliards d'investissements dans le numérique. Sur ces 300 milliards, Google et Facebook représentent 100 milliards chacun, soit deux tiers des parts de marché. Aussi, ces deux acteurs captent plus de 25 % des investissements publicitaires mondiaux.

Dans tous les secteurs, en termes de droit de la concurrence, nous ne pouvons pas éviter de considérer qu'il existe des acteurs puissants, voire des acteurs dominants.

Si l'occasion nous en est donnée, nous aurons des remarques sur la manière de réorienter des investissements publicitaires vers les familles de presse, et sur les raisons pour lesquelles ce serait souhaitable. Au-delà des intérêts économiques des acteurs, il existe des raisons particulières de défendre la presse d'information politique et générale, car elle a un rôle important à jouer dans la société, qui est la formation des opinions dans le monde. J'en suis profondément convaincu. Nous pouvons parfois l'observer par la démonstration par l'absurde ou par l'absence.

Une analyse a été menée par le centre d'études de Sciences Po sur le lien entre la présence de journaux locaux aux États-Unis et la propension à voter. Il a été constaté que dans les territoires dans lesquels la presse locale avait disparu, les gens allaient beaucoup moins voter. Leur envie de faire partie de la société, leur consentement à être des citoyens actifs et engagés, diminuent.

Il n'est absolument pas démontré en revanche que la fréquentation assidue des réseaux sociaux vous incite à aller voter.

Par ailleurs, il est établi que, parfois, lesdits réseaux sociaux sont manipulés à leur insu, et ne permettent pas de développer un sens démocratique, alors que la lecture de la presse d'information politique et générale continue à être une manière de se former et de s'informer, tout en restant proche des préoccupations légitimes des citoyens.

Au-delà du constat objectif de décroissance de la publicité et de la difficulté de notre modèle, que nous appelons la « transition numérique », il y a un sens particulier à défendre la presse de façon générale, et cette famille en particulier. C'était l'un des objets des travaux très longs et difficiles d'adoption de la directive sur le droit voisin, puisqu'il était question de trouver une nouvelle source de revenus. L'idée est de faire en sorte qu'une partie de la valeur ajoutée revienne à ceux qui en sont à l'origine.

Nous sommes tout de même dans une situation où deux grands acteurs publicitaires, qui ont tout de même des mérites, ont contribué à paupériser une famille qui vivait déjà la transformation de la consommation, du papier vers le numérique.

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