Mission d'information sur l'application du droit voisin au bénéfice des agences, éditeurs et professionnels du secteur de la presse

Réunion du mardi 21 septembre 2021 à 17h05

Résumé de la réunion

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La réunion

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MISSION D'INFORMATION SUR L'APPLICATION DU DROIT VOISIN AU BÉNÉFICE DES AGENCES, ÉDITEURS ET PROFESSIONNELS DU SECTEUR DE LA PRESSE

Mardi 21 septembre 2021

La séance est ouverte à à dix-sept heures.

(Présidence : Mme Virginie Duby-Muller)

La mission d'information auditionne M. Pierre Louette, président de l'APIG (Alliance de la presse d'information générale), M. Jean-Pierre de Kerraoul, président de la commission juridique de l'APIG, M. Pierre Petillault, directeur général de l'APIG, et M. Jean-Nicolas Baylet, président de l'Union de la presse en région (UPREG), vice-président de l'APIG, et président-directeur général du groupe La Dépêche du Midi

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Bonjour à vous tous et merci de votre présence aujourd'hui. Nous poursuivons notre série d'auditions dans le cadre de la mission d'information sur l'application du droit voisin au bénéfice des agences, éditeurs et professionnels du secteur de la presse, par l'audition de l'Alliance de la presse d'information générale (APIG). Nous vous avons transmis un questionnaire, l'idée étant de vous donner une trame sur les sujets qui intéressent notre mission. Cette mission d'information s'inscrit dans le cadre de la décision historique rendue par l'Autorité de la concurrence. En préambule, pouvez-vous présenter l'APIG et l'aboutissement des négociations menées avec Google en matière de droit voisin ?

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Pierre Louette, président de l'APIG

Merci beaucoup, madame la présidente, monsieur le rapporteur, de nous donner l'occasion de nous retrouver en présentiel et de revenir à ces modalités d'antan, qui permettaient de nous croiser.

En préambule, nous avons la chance d'avoir un parlement très actif dans ce débat sur le droit voisin. La France a longtemps été la « fille aînée de la transposition ». En effet, le 24 juillet 2019, la directive européenne a été transposée en droit français et est ensuite entrée en vigueur. Pour autant, deux ans plus tard, la loi que vous avez adoptée, et que nous avons tous souhaitée et saluée, n'est malheureusement pas entièrement devenue réalité.

En effet, quasiment personne ne peut affirmer qu'il perçoit une rémunération au titre du droit voisin. Ceux qui en perçoivent peut-être une l'ont négociée de façon relativement cryptique de leur côté. Après une transposition rapide, nous avons rencontré des interlocuteurs extraordinairement lents dans la manière de faire vivre les dispositions de cette loi.

Nous pouvons comprendre que personne n'ait envie de payer cet élément nouveau. Pour autant, il faut se conformer à la loi et permettre qu'elle devienne réalité.

L'APIG est aujourd'hui très bien représentée par M. Jean-Pierre de Kerraoul, éminent représentant de la presse hebdomadaire régionale, qui a un rôle extrêmement important dans nos territoires, qui est souvent issue de la Résistance ou de mouvements religieux, catholiques en particulier, et qui est pleine d'énergie et de diversité. M. Jean‑Nicolas Baylet est le dirigeant du groupe La Dépêche du Midi et représente la presse quotidienne régionale, une autre famille, sachant que l'APIG est également composée de la presse quotidienne départementale et de la presse quotidienne nationale, dont je suis aujourd'hui le représentant, tout en étant président de l'APIG depuis bientôt un an.

L'APIG est née d'une volonté de simplifier la vie de la Représentation nationale, en réduisant le nombre d'interlocuteurs. Nous avons essayé de rapprocher les différentes familles : les quotidiens nationaux et régionaux, les quotidiens départementaux et la presse hebdomadaire régionale.

L'APIG est aujourd'hui une famille très importante, avec près de 300 titres de presse d'intérêt général, 225 journaux régionaux et locaux, 10 000 journalistes et plus de 48 millions de lecteurs mensuels, toutes familles confondues. Elle occupe une place centrale à la fois dans la presse en général, dans la presse d'intérêt général en particulier. La notion d'intérêt général nous tient à cœur. Nous estimons qu'elle mérite d'être défendue, tout à la fois contre les grands acteurs supranationaux qui ont parfois tendance à méconnaître cette notion, et également contre des attaques venues de l'intérieur, certains acteurs souhaitant renouveler ou modifier cette notion, qui a toute sa force aujourd'hui.

L'APIG est également représentée par son directeur général, Pierre Petillault, et son directeur général adjoint, Samir Ouachtati, que vos services connaissent.

Je souhaite revenir sur le modèle économique des titres de l'APIG, pour essayer d'en poser les grands éléments. Ce modèle économique est divers au sein de l'APIG, mais n'est pas non plus celui de la presse magazine ou de la presse spécialisée. De manière très globale, la presse est soumise depuis une vingtaine d'années à des mouvements baissiers sur la diffusion payée du papier. Depuis une dizaine d'années, la presse quotidienne nationale fait face à une baisse annuelle de 10 à 15 % des ventes de journaux papier, avec quelques variations selon les années. Depuis le début de l'année, cette baisse est de 13 % pour la plupart des titres. S'agissant de la presse quotidienne régionale, très ancrée dans ses territoires et auprès de son lectorat, certainement plus que la presse quotidienne nationale, la baisse s'élève à 3 ou 4 % par an.

Cette baisse des ventes papier signifie une baisse d'une des trois sources de revenus d'un journal, à savoir la publicité. Les deux autres sources sont la vente en kiosque - dont le nombre diminue depuis plusieurs années d'environ mille par an -, et les abonnements.

Nous savons que les revenus publicitaires de la presse ont été globalement divisés par deux en dix ans. Sont apparus deux nouveaux acteurs, très importants, que sont Google et Facebook. Dans le domaine des investissements publicitaires que consentent les entreprises, ils ont raflé 70 % des dépenses publicitaires en ligne, et 83 % de la croissance de ces dépenses. La position de ces deux acteurs est extrêmement forte, avec un incrément annuel très important.

Je souhaiterais resituer l'importance de ces deux acteurs dans le paysage mondial. Les chiffres sont à la fois éclatants et inquiétants. Les investissements publicitaires mondiaux représentent 700 milliards de dollars, dont 400 milliards d'investissements classiques et 300 milliards d'investissements dans le numérique. Sur ces 300 milliards, Google et Facebook représentent 100 milliards chacun, soit deux tiers des parts de marché. Aussi, ces deux acteurs captent plus de 25 % des investissements publicitaires mondiaux.

Dans tous les secteurs, en termes de droit de la concurrence, nous ne pouvons pas éviter de considérer qu'il existe des acteurs puissants, voire des acteurs dominants.

Si l'occasion nous en est donnée, nous aurons des remarques sur la manière de réorienter des investissements publicitaires vers les familles de presse, et sur les raisons pour lesquelles ce serait souhaitable. Au-delà des intérêts économiques des acteurs, il existe des raisons particulières de défendre la presse d'information politique et générale, car elle a un rôle important à jouer dans la société, qui est la formation des opinions dans le monde. J'en suis profondément convaincu. Nous pouvons parfois l'observer par la démonstration par l'absurde ou par l'absence.

Une analyse a été menée par le centre d'études de Sciences Po sur le lien entre la présence de journaux locaux aux États-Unis et la propension à voter. Il a été constaté que dans les territoires dans lesquels la presse locale avait disparu, les gens allaient beaucoup moins voter. Leur envie de faire partie de la société, leur consentement à être des citoyens actifs et engagés, diminuent.

Il n'est absolument pas démontré en revanche que la fréquentation assidue des réseaux sociaux vous incite à aller voter.

Par ailleurs, il est établi que, parfois, lesdits réseaux sociaux sont manipulés à leur insu, et ne permettent pas de développer un sens démocratique, alors que la lecture de la presse d'information politique et générale continue à être une manière de se former et de s'informer, tout en restant proche des préoccupations légitimes des citoyens.

Au-delà du constat objectif de décroissance de la publicité et de la difficulté de notre modèle, que nous appelons la « transition numérique », il y a un sens particulier à défendre la presse de façon générale, et cette famille en particulier. C'était l'un des objets des travaux très longs et difficiles d'adoption de la directive sur le droit voisin, puisqu'il était question de trouver une nouvelle source de revenus. L'idée est de faire en sorte qu'une partie de la valeur ajoutée revienne à ceux qui en sont à l'origine.

Nous sommes tout de même dans une situation où deux grands acteurs publicitaires, qui ont tout de même des mérites, ont contribué à paupériser une famille qui vivait déjà la transformation de la consommation, du papier vers le numérique.

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Merci. Souhaitez-vous compléter les propos de M. Louette ou que nous posions immédiatement nos questions ? Monsieur le rapporteur.

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Merci, Présidente. Merci pour votre exposé introductif et de vous être rendus disponibles pour cette audition importante.

Avez-vous, au sein de l'APIG, une idée du nombre de titres qui ont contractualisé en direct le droit voisin ? Connaissez-vous par ailleurs le manque à gagner pour l'APIG des droits voisins non perçus ?

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Pierre Louette, président de l'APIG

Je vais engager la réponse et mes collègues complèteront mon propos.

A ma connaissance, trois ou quatre titres ont contractualisé le droit voisin. Sans connaître le détail de leur fonctionnement, ils sont entrés dans des partenariats plus globaux.

Compte tenu de la puissance des acteurs comme Facebook et Google et de la difficulté du dialogue, il existe de multiples partenariats possibles, dans lesquels nous pouvons inclure la dimension de droit voisin.

Admettons que la décision très forte de l'Autorité de la concurrence soit venue rebattre les cartes. Aujourd'hui, tous les acteurs, y compris ceux qui ont cédé sans doute hâtivement à des chemins non pas solidaires, mais solitaires, se replaceront dans le cadre du collectif dès lors que l'Autorité a posé des principes très clairs, à la fois en termes de cadre et d'étapes, et que nous sommes entrés dans une nouvelle négociation. Nous savons que l'Autorité n'acceptera pas qu'un nouveau produit vienne compenser les droits voisins. Il faut une rémunération au titre des droits voisins.

La première vertu de l'accord-cadre passé par l'APIG avec Google a été de lui faire reconnaître par écrit qu'il allait rémunérer des droits voisins, en dehors de la création d'un autre produit qui viendrait en complément.

La deuxième vertu de cet accord-cadre est qu'il permettait de jeter un voile sur quelques initiatives solitaires. L'APIG reste unie dans la volonté de trouver un accord collectif.

Sa troisième vertu est de donner un espoir de rémunération aux plus petits titres, qui n'ont pas toujours de directeur juridique pour négocier et qui s'en remettent à leur syndicat pour que les plus puissants puissent contribuer à protéger les plus faibles.

Dans le cadre de la décision de l'Autorité, nous ouvrons une discussion et avons deux mois pour la conclure. Il faut une rémunération des droits voisins, proportionnée à la valeur créée par nos contenus sur Google ou Facebook.

S'agissant de Google, nous avons reçu de nombreux documents décrivant de manière liminaire cette valeur. Il s'agit de déterminer une assiette, un taux et un mécanisme de répartition, pratiques relativement classiques, que nous ne parvenons pas à obtenir depuis deux ans.

Par sa décision, l'Autorité a ouvert cette voie. Je crois que Google et Facebook sont aujourd'hui prêts à avancer et souhaitent – comme nous – conclure cette longue négociation.

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Jean-Nicolas Baylet, président de l'UPREG, vice-président de l'APIG, et directeur général du groupe La Dépêche du Midi

En évoquant le manque à gagner, vous touchez le cœur du sujet. La problématique à laquelle nous sommes confrontés depuis deux ans est justement de tomber d'accord sur une évaluation des droits voisins, qui sont totalement inédits.

Dans un premier temps, la loi dit qu'il faut rémunérer ce droit voisin, sans en fixer le contour ni l'évaluation. Les premières négociations avec Google et Facebook portaient sur cette évaluation avec des méthodes empiriques. De notre côté, nous avons évalué les coûts de production, les revenus que Google pouvait tirer de ces contenus, sans disposer de données chiffrées.

C'est d'ailleurs l'objet de la décision de l'Autorité de la concurrence, rendue à l'été : Google doit remettre un certain nombre de données permettant d'évaluer les droits voisins. Depuis deux ans, vous comprenez que l'enjeu de Google a été de minimiser au maximum ce droit voisin dans des proportions inacceptables pour les éditeurs.

Par conséquent, la question de l'évaluation est le cœur de la problématique depuis le début des négociations avec ces acteurs.

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Jean-Pierre de Kerraoul, président de la commission juridique de l'APIG

. Nous avions commandé à EY un rapport lorsque nous avions préparé le plan filière de la presse qui a été remis en mars 2019 au Premier ministre. L'estimation réalisée par EY pour la seule presse d'information politique et générale sur une période de quatre ans (2018-2022) était de l'ordre de 300 millions d'euros.

J'ajoute un point très important pour nous tous et aux yeux de la Représentation nationale : tous les titres – sans exception – sont inclus dans l'accord-cadre négocié par l'APIG, preuve qu'elle est une organisation capable de faire prévaloir la solidarité au profit des moins armés, aux trois exceptions près que nous connaissons.

Nous devrons nous souvenir de ce point capital pour la suite, dans les méthodes de négociation et dans les moyens dont nous pourrons disposer si la Représentation nationale ou si les dispositions européennes renforcent le dispositif. Le droit voisin est pour toute la presse et ne doit pas se traduire par une aggravation des déséquilibres et inégalités.

Grâce au travail conduit par l'APIG dans la solidarité, nous sommes parvenus à maintenir cette chance donnée aux plus petits titres de réussir leur transition numérique.

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Lors des auditions précédentes, nous avons reçu la Fédération nationale de la presse d'information spécialisée (FNPS), le Syndicat des éditeurs de la presse magazine (SEPM) et le Syndicat de la presse d'information indépendante en ligne (Spiil), qui ont présenté leur projet d'organisme de gestion collective (OGC) notamment prévu par la directive européenne 2019/790. Avez-vous entrepris des discussions pour rejoindre ce projet ? Quel est votre avis sur les positions prises par ces trois organismes ?

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Pierre Louette, président de l'APIG

Dès les mois d'octobre-novembre 2019, nous avons reçu Jean-Noël Tronc alors directeur général de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem), à mon initiative, afin d'expliquer au conseil d'administration de l'APIG la manière dont la SACEM pourrait être un acteur à nos côtés.

Or, ce jour-là, pour différentes raisons, Jean-Noël Tronc n'a pas exprimé avec un véritable enthousiasme l'envie de prendre en charge nos problématiques.

Par ailleurs, nous avons exploré une voie européenne. Dans l'idée de créer un couple franco-allemand, nous nous sommes rapprochés de la société VG Média, alors même que l'Allemagne n'avait alors plus de cadre pour les droits voisins. Le projet n'a pas encore abouti à ce stade. Aujourd'hui, nous regardons de façon très ouverte cette question, même si nous aurons besoin de clarifier certaines positions avec d'être réunis dans un organisme de gestion collective.

Il est peut-être plus difficile pour nous que pour d'autres d'être ensemble avec le Spiil, le SEPM ou la FNPS qui, à certains égards, contestent une notion forte à nos yeux, celle d'information politique et générale (IPG). Ce point n'est pas un facteur de réunion, mais de désunion. Or l'union est un combat. Nous essayons de faire ce que nous pouvons de ce point de vue.

Selon moi, Jean-Marie Cavada peut tout à fait incarner et animer cet effort et j'ai confiance en lui. Pour cela, nous devons tout d'abord être absolument d'accord au sein même de l'APIG avant d'être associés à ces autres familles dans cet effort collectif.

Pour continuer à donner complètement vie à cette loi, nous devons parler à de nombreux autres acteurs. Pour exemple, Twitter contribue à propager, partager, diffuser des contenus d'information. Twitch diffuse également de l'information. Microsoft est prêt à se mettre d'accord et s'est déclaré ouvert à la gestion collective, mais préfère attendre que Google se positionne avant de signer. Tous ont envie de se positionner les uns par rapport aux autres.

Nous pourrions tout à fait être dans une gestion collective avec les familles mentionnées ou d'autres. Nous finirons par l'être, car c'est clairement le sens de l'histoire, mais j'ignore exactement à quelle date.

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Nous allons également auditionner Twitter. Suite à la décision de l'Autorité de la concurrence, Google est-il revenu vers vous pour discuter ?

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Pierre Louette, président de l'APIG

Absolument. Nous avons échangé et nous avons à présent ouvert la période de deux mois. Google a énormément travaillé pour cerner cette fameuse assiette, estimée par EY, et s'est rapproché de nous. Il a réalisé ses propres calculs afin de fournir la valeur créée par les contenus d'information dans les différents services de Google. Les services de l'APIG sont en train de contre-expertiser cette assiette. Nous devrons nous mettre d'accord et j'espère que nous trouverons une solution dans les délais impartis, sans avoir recours à la création de mécanismes d'arbitrage, comme dans certains pays.

La situation est différente avec Facebook. Nous n'avons pas intenté d'action en justice. La discussion est d'ordre commercial et se base sur des fondements juridiques qui sont de faire exister les droits voisins.

J'ai bon espoir que nous pourrons conclure très rapidement, ce qui permettrait d'obtenir un accord global et une rémunération pour ces droits voisins.

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Jean-Nicolas Baylet, président de l'UPREG, vice-président de l'APIG, et directeur général du groupe La Dépêche du Midi

Il est à noter un point important toutefois : tout en discutant avec vous, Google fait systématiquement appel des décisions de l'Autorité de la concurrence. L'année dernière, Google a perdu sur tous les points de son appel, puis il a à nouveau fait appel. Cela en dit long sur sa volonté d'aboutir dans ses négociations avec nous.

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Jean-Pierre de Kerraoul, président de la commission juridique de l'APIG

Dans l'immédiat, nous ne nous sommes pas précipités sur une formule d'organisme de gestion collective parce que nous partageons le sentiment que, dans la négociation avec les deux gros acteurs évoqués, il est vraiment essentiel que ce soit les éditeurs eux-mêmes qui aient « la main ».

La négociation est extrêmement complexe et suppose une connaissance fine des circuits, qu'il s'agisse de la création éditoriale, de la diffusion de la publicité, des différentes technologies ou des enjeux politiques éditoriaux et humains. Ce dossier dispose d'énormément d'angles d'attaque. Le seul avantage concurrentiel que l'on puisse avoir dans une négociation avec un partenaire dont la dimension financière est tellement supérieure à la nôtre est précisément notre identité politique d'éditeur, au sens le plus élevé du terme. Seuls des éditeurs de presse, quelle que soit la famille à laquelle ils appartiennent, peuvent espérer définir les règles du jeu, dans des conditions qui pourront être considérées comme exemplaires pour les négociations à venir avec les autres acteurs.

Si nous imaginions nous dessaisir et confier à un autre organisme, quels que soient ses mérites et compétences techniques, la mission d'une négociation aussi capitale pour nous tous, nous ferions fausse route et nous commettrions une erreur. C'est le fonctionnement même de nos sociétés démocratiques qui est en cause. Aussi, dans l'immédiat, nous ne pouvons faire autrement que de négocier nous-mêmes ces accords.

Le moment venu, il sera certainement intelligent de travailler avec l'ensemble de la presse ou de confier à tel opérateur la mission de mettre en œuvre les règles que nous aurons définies.

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Quels ont été les critères pris en compte pour évaluer les 300 millions d'euros de pertes ? En effet, en tenant compte des déports de recettes publicitaires constatés depuis des années, les montants sont bien supérieurs. Je comprends que ce montant ne représente que la presse IPG.

Vous avez expliqué les relations commerciales complexes entre les éditeurs de presse et les plateformes. Il y a la question du placement de la publicité. Comment s'assurer que la rémunération sur le droit voisin ne sera pas récupérée via des commissions pour placement de publicité, par exemple ? La réflexion sur le placement publicitaire a-t-elle été intégrée dans l'accord ?

Pouvez-vous nous éclairer sur la situation d'Apple sur les titres de presse, avec sa position dominante sur les applications, via des commissions ? Quand vous entrez dans un abonnement de presse via Apple, le titre de presse n'a plus une grande maîtrise de ce qui se passe avec l'abonné.

Vous expliquez que les autres acteurs, plus secondaires, attendent pour se positionner. Cela signifie que les processus d'entente sont relativement étranges et risquent, à nouveau, de donner lieu à des procédures au niveau de la réglementation de la concurrence. Quel est votre sentiment sur le sujet ?

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Pierre Louette, président de l'APIG

Il faut avoir bien présent à l'esprit que ces acteurs sont nés dans les années 2000, avec pour promesse d'organiser l'information du monde. Ils sont ensuite devenus des entreprises publicitaires, très puissantes. Les parts de marché de Google sont énormes en matière de recherche (93 % des recherches en France). Face à des acteurs aussi puissants, nous sommes dans leur écosystème. Dans le domaine de la publicité dite « programmatique », nous entrons essentiellement dans le dispositif de Google. Il est à noter que, par le passé, Google a parfois cédé à l'autopréconisation et des dérives ont été soulignées à plusieurs reprises.

Dernier point que nous avons rencontré dans nos discussions depuis deux ans, c'est l'idée selon laquelle le trafic que l'on vous envoie vaut rémunération. Or ce n'est pas vrai. Le trafic que l'on vous envoie crée du trafic, mais ne compense que très partiellement tout le trafic qui va par ailleurs être monétisé par les six premiers que sont les sites de recherche ou les réseaux sociaux.

Facebook a 3 milliards d'utilisateurs dans le monde et nous sommes une armée de petits sites de destination qui reçoivent un peu de cette manne de trafic qui a d'ores et déjà été monétisée. Nous constatons dans les chiffres que nous avons perdu 2 milliards de recettes publicitaires en papier et que nous ne les avons pas gagnées en on line. Ce transfert n'est pas qualifiable en soi. Ce qui est qualifiable, c'est la position dominante acquise par certains et l'exercice qu'ils en font.

Il est important de l'avoir en tête. Nous avons constaté des mérites et des dérives. Certaines ont été sanctionnées. La Cour d'appel de Paris l'a très bien mentionné dans son jugement : l'envoi de trafic n'est pas une rémunération du droit voisin. Il nous a été proposé une clause très simple qui est la suivante : «  Comme nous contestons cette directive et son sens général, si vous voulez continuer à être représentés dans les résultats de recherche de Google, renoncez à votre rémunération  ». C'est la raison même du procès que nous avons intenté. Cette clause a été jugée par l'Autorité de la concurrence comme s'apparentant à un abus de position dominante. Dès lors que 20 à 25 % de notre trafic provient des mêmes acteurs, nous pouvons difficilement continuer à fonctionner comme avant. Nous sommes dans cet état de dépendance. Au demeurant, ces acteurs hésitaient malheureusement à appliquer pleinement la loi.

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Jean-Nicolas Baylet, président de l'UPREG, vice-président de l'APIG, et directeur général du groupe La Dépêche du Midi

Sur la question publicitaire, nous n'avons pas de moyen coercitif pour empêcher Google d'augmenter ses prix sur quelque secteur que ce soit, notamment sur sa dimension technologique. Google est un acteur technologique, avec lequel nous avons des partenariats technologiques. Si demain Google décide d'augmenter ses prix, notre seule liberté est de quitter Google pour utiliser d'autres technologies.

Quant à la publicité, aujourd'hui, celle vendue sur Google, qui représente une partie largement majoritaire du marché, fonctionne sur un système d'enchères. Ces enchères, dans leur valeur intrinsèque, ont déjà un mécanisme qui permet d'augmenter les prix tant que de nouveaux acteurs entrent sur le marché. Pour autant, nous n'avons pas de moyen de dire que Google ne répercutera pas cette dimension sur d'autres de ses services.

S'agissant d'Apple, tout comme Google, il est concerné par le droit voisin. Si vous utilisez des solutions d'Apple, comme un iPhone, des informations (Apple news) sont délivrées par Apple sans aucune rémunération perçue par les éditeurs. Cela représente un service significatif pour Apple. Le droit voisin encadre également cette dimension. Quant aux commissions perçues par Apple sur les applications, depuis l'origine, Apple prélève d'autorité une commission de 30 % pour les abonnements des titres de presse. Suite à la grogne mondiale des titres de presse, elle est passée de 30 % la première année à 15 % les années suivantes.

Plusieurs plaintes ont été déposées dernièrement aux États-Unis, et l'Europe – dont la France – est également en passe de protester contre cette mesure. Aussi, Apple vient d'annoncer qu'il allait passer à 15 % de commission. Nous dépendons de la bonne volonté de ces services. Pour certains éditeurs, et notamment pour la presse quotidienne nationale, les volumes d'abonnements sont importants. Pour ces raisons, certains éditeurs de la sphère numérique comme Spotify ou Netflix ont décidé de suspendre la prise d'abonnement via les modules d'Apple.

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Jean-Pierre de Kerraoul, président de la commission juridique de l'APIG

S'agissant de la question relative à l'estimation des 300 millions d'euros de manque à gagner, EY a cumulé à l'époque trois méthodes d'approche estimative en regardant les évaluations de marché, et en comparant des données, Google ne donnant jamais de chiffres précis. Par différence, EY a estimé la part des grands acteurs, notamment Google et Facebook. Les montants obtenus semblaient relativement cohérents par rapport à d'autres domaines comme la musique. La perte représentait 10 à 12 % du chiffre d'affaires global de la profession.

J'entends votre crainte que les revenus des droits voisins disparaissent dans la distribution des circuits publicitaires. Entre l'investissement brut de l'annonceur et le revenu net de l'éditeur, les pertes en ligne sont considérables et estimées à 50 %, compte tenu des différentes étapes techniques et des intermédiaires qui sont en général contrôlés par Google.

La seule manière de limiter ce risque de perte en ligne, c'est de mettre en place une régulation européenne extrêmement sévère, afin d'interdire ces pratiques inacceptables et contraires au bon fonctionnement du marché. C'est la raison pour laquelle nous évoquions l'importance du Digital Markets Act en cours d'élaboration à Bruxelles.

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Avez-vous des relations régulières avec vos homologues européens pour réfléchir à la meilleure manière de traiter le sujet ?

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Jean-Pierre de Kerraoul, président de la commission juridique de l'APIG

Nous avons des relations permanentes au sein de notre organisation qui est l'Association des éditeurs européens. Nous avons une équipe commune entre les éditeurs de presse quotidienne et les éditeurs de presse magazine, à Bruxelles. Nous nous concertons en permanence sur la meilleure attitude à adopter, les actions à conduire et les demandes à faire auprès de la Commission européenne, du Conseil et du Parlement. Nous avons été très actifs au moment de l'adoption de la directive et nous continuons à l'être. Je préside actuellement cette association, à la demande de mes collègues, compte tenu de la position de la France. Je peux vous assurer que la concertation est étroite et permanente, avec un très bon esprit de l'ensemble des confrères issus de toutes les formes de presse en Europe.

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Merci. Souhaiteriez-vous ajouter des points avant de conclure ?

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Pierre Louette, président de l'APIG

Je saisis l'occasion pour revenir une dernière fois sur le sujet de régulation européenne. Vous avez un rôle très particulier à jouer. Vous l'avez déjà joué et vous le jouez encore - cette série d'auditions en est la preuve – dans le besoin et l'incitation à élever notre niveau de jeu.

En effet, nous sommes face à des acteurs d'un genre nouveau, qui représentent la plateformisation de l'économie, qui va souvent de pair avec l'abonnement. Les grands distributeurs vont désormais procéder par abonnement. Les plateformes prennent des parts de marché essentielles et hébergent des données. Cette situation n'existait pas véritablement il y a dix ans, en tout cas pas dans les mêmes proportions.

De cette plateformisation nait le besoin de textes comme le Digital Services Act (DSA) qui va reconnaître le rôle des gatekeepers qui ont un rôle particulier, car étant à l'entrée des plateformes. Par ailleurs, ces plateformes ont un impact très clair dans la régulation économique et dans la régulation démocratique de nos vies. Ce ne sont pas des mots creux. Toutes les preuves ont été données dans telle ou telle campagne électorale ou formation de groupe extrémiste. Elles sont tellement puissantes qu'elles donnent la capacité à s'organiser et pas toujours pour le mieux.

De la régulation économique, nous passons très vite à des enjeux démocratiques. Nous sommes donc au cœur absolu des missions du Souverain qui s'expriment à travers les lois que vous adoptez, les enquêtes que vous diligentez. Nous sommes prêts à toujours vous accompagner dans l'explication générale de ces situations, comme nous le faisons à longueur de colonne dans nos journaux, et pas uniquement dans une défense catégorielle de nos intérêts.

Nous traversons des phases de transformation qui sont dures. Nous essayons de gagner de nouveaux territoires. Pour autant, nos rédactions ont l'envie, chevillée au corps, d'expliquer et de faire vivre cette information libre, par tous les moyens. En cela, nous sommes au centre des prérogatives parlementaires : de l'économie à la démocratie et même à la formation de l'opinion publique.

Avec le président du directoire de Bayard Presse (quotidien La Croix ), Pascal Ruffenach, nous voulons notamment développer l'éducation aux médias, qui est encore plus essentielle qu'auparavant, parce qu'elle s'accompagnera d'une éducation à la grammaire des algorithmes, la grammaire de nos vies numériques qui constituent des heures de nos vies tout court.

Nous vous remercions de nous avoir donné l'occasion de partager ces points de vue. Nous comptons sur vous pour knous aider à faire vivre ces lois qui sont votées et doivent se concrétiser le plus rapidement possible.

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Merci à vous tous pour la qualité de ces échanges et les nombreux éléments qui contribueront à nourrir cette mission d'information. Bonne soirée à tous.

La réunion se termine à dix-sept heures cinquante-cinq.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur l'application du droit voisin au bénéfice des agences, éditeurs et professionnels du secteur de la presse

Réunion du mardi 21 septembre 2021 à 17 heures

Présents. – Mme Émilie Cariou, Mme Virginie Duby-Muller, M. Laurent Garcia