Intervention de le garde des sceaux

Réunion du mardi 2 mars 2021 à 17h30
Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

le garde des sceaux :

Ayant reçu à la Chancellerie, à la demande du président de la République, toutes les associations de protection de l'enfance, j'ai constaté que tous les sujets ne font pas consensus parmi elles, ni même en leur sein. Ainsi, il n'y a pas d'accord sur la durée souhaitable de la prescription – et lors de la discussion de la proposition de loi de Mme Isabelle Santiago, j'ai observé que certains parlementaires proposaient 50 ans mais que d'autres préféraient que l'on ne modifie pas le délai en vigueur. Si le consensus existe sur le seuil de consentement à 15 ans, il n'apparaît pas s'agissant de l'écart d'âge – et ceux qui approuvent le principe s'interrogent sur l'écart lui-même : pourquoi cinq ans plutôt que quatre, me demande-t-on ainsi ? Nous avons fait au mieux, en retenant ce qui nous paraissait cohérent et reflétant les choses de la vie.

Définir un seuil de consentement était important, après qu'une cour d'assises avait pris la décision d'acquitter un homme poursuivi pour le viol d'une fillette de 11 ans, faute d'avoir pu caractériser la violence, la contrainte, la menace ou la surprise. De telles décisions ne seront plus possibles. Les amours adolescentes existent, mais qui n'est doué de suffisamment de bon sens pour distinguer les relations sexuelles entre un homme de 60 ans et une jeune fille de 14 ans des relations qui peuvent se nouer entre une jeune fille du même âge et un adolescent de 17 ans ? L'écart d'âge de 5 ans que nous avons retenu n'est pas un axiome ; il résulte de réflexions et de consultations.

Madame Battistel, la notion de viol est bien reprise dans le texte, tout comme celles d'agression sexuelle et d'atteinte sexuelle. Pour la raison dite, je veux que les actes bucco‑génitaux soient inclus dans les éléments constitutifs du viol. La jurisprudence avait déjà établi que le cunnilingus est une pénétration sexuelle ; maintenant, la règle sera claire.

Nous sommes favorables à la sanction pénale de la complicité d'incitation au crime qu'est la sextorsion. Pourquoi se battrait-on contre la haine en ligne tout en laissant filer ceux qui incitent à la commission d'un viol ou d'une agression sexuelle ?

J'avais fixé l'objectif que mille bracelets anti-rapprochement soient mis à la disposition des magistrats en septembre 2020 ; il est tenu. Quarante-et-une obligations de le porter ont été prononcées en matière pénale, deux en matière civile. Le chiffre est assez faible, mais le dispositif a été lancé à la fin de l'année 2020 ; la justice est une vieille dame et les juridictions doivent s'habituer à l'outil. Certains procureurs, très entreprenants, sont en pointe à ce sujet ; il faut désormais diffuser et homogénéiser les bonnes pratiques, en cette matière comme dans les autres.

Depuis mon arrivée à la Chancellerie, une conseillère aux bonnes pratiques se rend dans les juridictions et rapporte les initiatives prises. Des dispositifs remarquables ont été instaurés. Ainsi, au Cateau-Cambrésis, de jeunes médecins hospitaliers ont instauré un dispositif d'accueil des femmes victimes de violences conjugales. La femme qui arrive aux urgences est soignée, un psychologue la rassure, un assistant social s'occupe de son cas – c'est essentiel pour qu'une plainte soit déposée quand il y a des enfants – puis les gendarmes, alertés par les médecins, viennent et enregistrent sa plainte si elle le souhaite. Ensuite arrivent procureur et avocat. Tout cela se fait à l'hôpital, dans de petites salles assurant le secret, en partenariat avec la justice et la préfecture. Cette formidable chaîne d'assistance doit être généralisée partout où cela est possible et nous avons pris des mesures en ce sens. Á Amiens, c'est autre chose : l'institut médico-légal se rend chez la victime pour faire le constat des coups et préserver les droits de celui qui est accusé de les avoir portés s'il réfute l'accusation.

Pour ce qui est d'apprécier une possible manipulation, madame Trastour-Isnart, le juge compétent est le juge des enfants, et il connaît ce processus. S'il est convaincu qu'un mineur est manipulé, on en revient à la notion de contrainte, et il y a viol. Aujourd'hui, l'auteur d'un viol peut affirmer que sa victime, mineure de 15 ans, était consentante ; si la loi est votée, il ne pourra plus dire cela. Si deux mineurs ont des versions différentes des faits, l'incrimination de viol ou d'agression sexuelle pourra s'appliquer : ce n'est pas parce que l'on est dans l'écart d'âge légal que l'on est exonéré de responsabilité en matière criminelle.

S'agissant de la protection à la sortie de prison, l'ordonnance de protection permet à qui en bénéficie de se voir attribuer un logement social en priorité, de débloquer une épargne salariale et d'obtenir une carte de séjour temporaire en dépit de la cessation de la vie commune. C'est le protocole à la sortie de prison, conçu pour éviter le retour de l'auteur des violences à son ancien domicile. Á cela s'ajoute une prise en charge psychologique, sanitaire et sociale, accompagnement nécessaire.

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