Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Réunion du mardi 2 mars 2021 à 17h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • conjugale
  • sexuelle
  • viol

La réunion

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La réunion est ouverte à 17 heures 30.

Présidence de Mme Marie-Pierre Rixain, présidente.

La délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes auditionne M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la Justice

Les débats sont accessibles sur le portail vidéo de l'Assemblée à l'adresse suivante :

http://assnat.fr/7XuOfS

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Monsieur le garde des Sceaux, nous voulons d'abord nous entretenir avec vous des suites données au Grenelle des violences conjugales, marqueur du quinquennat qui doit, nous l'espérons, permettre de briser le cycle fondant ce phénomène. La Délégation y a largement contribué par le biais d'un Livre blanc où sont formulées 200 recommandations. Comment ces mesures se sont-elles concrétisées, singulièrement les bracelets électroniques anti-rapprochement et les unités médico-judiciaires, dispositifs cruciaux pour la prise en charge des victimes, et qui ont fait l'objet d'abondements sans précédent en 2020 et en 2021 ?

Quand on parle de violences conjugales, on ne prend pas toujours la mesure des violences économiques ou administratives que le terme recouvre. Constitutives d'un système d'emprise globale, elles parachèvent pourtant une mainmise totale que caractérise son ampleur – détournement de revenus, contrôle des opérations bancaires, des moyens de paiement, des allocations familiales… – et sa durée : toutes les victimes témoignent qu'il leur est très difficile de gérer à nouveau les biens et les avoirs dont elles ont été dépossédées. Trop longtemps, les violences économiques ont été légitimées par l'État ; il a fallu attendre la loi du 13 juillet 1965 pour qu'une femme puisse ouvrir un compte bancaire en son nom propre et sans l'accord de son mari, ou travailler sans le consentement de celui-ci. Après que le Groupe d'experts sur la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique du Conseil de l'Europe, dans son rapport d'évaluation de novembre 2019, a appelé les autorités françaises à établir des dispositifs juridiques aptes à protéger les femmes des violences économiques, notre Délégation a consacré, le 25 novembre dernier, un colloque à ce sujet. Aux nombre des recommandations qui figurent dans le rapport qui en découle, nous proposons en premier lieu la reconnaissance dans notre droit des violences économiques, sur le modèle du harcèlement moral, pour améliorer la prise en charge des victimes ; qu'en pensez-vous ?

J'en viens aux suites données à l'arrêt de la Cour de cassation du 14 octobre 2020, dont les considérants me semblaient révéler des insuffisances dans le droit protégeant les mineurs victimes de violences sexuelles. Nous vous avions adressé un courrier à ce sujet ; quelle est votre réaction ?

Les violences sexuelles commises sur les mineurs persistent. L'enquête Virage conduite par l'Institut national d'études démographiques indique que 52,7 % des viols ou des tentatives de viol déclarés par les femmes et 75,5 % de ceux déclarés par les hommes surviennent avant que les victimes soient âgées de 18 ans. Ces agressions, qui ont principalement lieu au sein de la famille, sont destructrices pour les victimes et pour notre société, car quand un être humain est ainsi violenté, blessé physiquement et psychiquement, tous les principes républicains sont bafoués. Un acte de violence sexuelle n'est pas qu'une question privée ne concernant que la victime et son agresseur, mais c'est également une question sociétale qui appelle une révolution irréversible dans sa prise en charge. Récemment, des textes puissants, tel le récit de Camille Kouchner, ont suscité des milliers de témoignages révélant l'ampleur de ces violences et des contraintes sociales, familiales et juridiques qui pèsent sur les victimes.

Dans ce contexte, la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes a constitué une avancée importante, en portant à 30 ans après la majorité des victimes présumées le délai de prescription des crimes sexuels commis sur des mineurs et en renforçant l'arsenal juridique qui sanctionne les violences sexuelles à leur encontre. Néanmoins, des clarifications sont nécessaires. Les propositions de loi de notre collègue Isabelle Santiago, membre de la Délégation, et de Mme Annick Billon, présidente de la Délégation aux droits des femmes du Sénat, nous offrent l'opportunité d'améliorer le droit, dans le sens des propositions faites par la Délégation en 2018 à l'occasion des travaux que j'ai menés avec nos collègues Sophie Auconie et Erwan Balanant. Nous proposions de criminaliser toute forme d'atteinte sexuelle commise sur un mineur et je me réjouis que cette proposition trouve une issue favorable.

M. Balanant et Mme Battistel ont rendu un excellent rapport sur la proposition de loi de Mme Santiago ; je partage leur volonté de nommer clairement les infractions nouvelles et de fixer un seuil de consentement permettant l'établissement d'un interdit clair, protecteur pour nos enfants. Tous deux ont été reconduits dans leur fonction de rapporteurs sur la proposition de loi de Mme Annick Billon, dont l'approche complémentaire est précieuse. Je salue la mobilisation de nos homologues du Sénat, qui travaillent de longue date à mieux protéger les victimes de violences sexuelles. Vous avez manifesté votre soutien à ce texte, moyennant certains aménagements ; pourrez-vous nous en dire davantage ? Je me réjouis de notre volonté partagée de progrès rapides.

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éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la Justice

Je suis heureux d'évoquer avec vous des questions qui sont au cœur des préoccupations du ministère ; je pense en particulier au suivi des mesures prises à l'issue de la concertation organisée par le Gouvernement dans le cadre du Grenelle des violences conjugales à l'automne 2019. Je souligne le chemin parcouru, d'abord sous l'égide de Mme Belloubet, à l'ouverture de ces travaux et depuis lors. Je traiterai, dans ce propos liminaire, des trois idées fortes qui ont inspiré les lois de décembre 2019 et de juillet 2020 que vous avez votées : proaction, protection, probation.

Proaction, pour commencer. La domination que l'un peut exercer sur l'autre au sein du couple – très souvent celle de l'homme sur la femme, mais pas toujours – est un processus destructeur que j'ai pu mesurer dans le cadre de mes anciennes activités professionnelles. L'emprise est une forme de violence physique qui doit être prise en compte par le juge avec attention et circonspection. Le péril qui en découle fait que l'intervention doit être rapide et, bien sûr, adaptée à la situation. Tel est l'esprit de la loi que vous avez votée en décembre 2019 et qui fixe à six jours le délai du prononcé d'une ordonnance de protection.

Un comité de pilotage national de l'ordonnance de protection, présidé par Mme Ernestine Ronai, a été installé fin juin 2020. Il est composé de tous les partenaires impliqués dans la procédure : magistrats, avocats, huissiers et associations. Des conseils locaux permettent de décliner les protocoles sur l'ensemble du territoire. Je souligne l'efficacité des filières de l'urgence définies au sein des tribunaux en s'appuyant sur un guide du traitement juridictionnel des violences conjugales établi par les services de la Chancellerie. Ce guide trace le parcours idéal de traitement judiciaire d'un dossier de violences conjugales, du dépôt de la requête ou de la plainte à l'exécution des décisions. Plus de quarante juridictions ont déjà adopté les circuits courts pour le traitement plus efficace de l'urgence et une meilleure communication entre les services.

C'est aussi parce que l'emprise enferme la victime dans le silence et l'empêche de révéler les violences subies que vous avez modifié les dispositions législatives relatives au secret médical, permettant ainsi aux médecins de révéler les faits de violence conjugale sans le consentement de la victime s'il estime qu'elle est en danger immédiat. Des vies ont ainsi été sauvées : les chiffres dont je vous ferai part montre une amélioration. Mais chaque meurtre ou assassinat d'un conjoint demeure un échec collectif et le nombre de victimes de violences au sein des couples reste important. Cela nous incite tous à continuer ce combat commun.

Un vade-mecum été rédigé, je vous l'ai dit, et des protocoles sont en cours de signature entre parquets et conseils départementaux de l'Ordre des médecins. Les médecins doivent être convaincus de la nécessité d'adhérer à cette solution qui permet d'éviter le drame absolu. Le conseil de l'Ordre, reçu à la Chancellerie, nous a dit qu'il en irait ainsi. C'est une évolution fondamentale pour la protection des victimes de violences conjugales.

Celles-ci ne concernent pas que le couple. Elles ont aussi un effet dévastateur sur les enfants, qui en sont les victimes collatérales sinon directes et qui doivent eux aussi être protégés. Vous avez adopté des dispositions qui permettent de remettre en cause l'exercice de l'autorité parentale par les conjoints violents, ce compris par le juge pénal. Il est d'ailleurs intéressant que certaines dispositions s'appliquent au civil et au pénal. C'est le cas aussi des ordonnances d'éloignement ; il y a quelques jours a été prononcée la première ordonnance d'éloignement en matière civile. Les mentalités sont donc en train de changer.

Ensuite vient la probation. Il ne peut y avoir de protection efficace des victimes sans contrôle strict des auteurs et sans prise en charge de leur violence. En cas d'ordonnance d'éloignement par exemple, rien ne serait pire que de ne pas se préoccuper du lieu où le conjoint violent sera hébergé, car s'il ne l'est pas, on a la quasi-certitude que, quelles que soient les mesures prises, il tentera de revenir sur les lieux de ses méfaits. Le double regard porté – bienveillant sur la victime, humain sur le parcours du conjoint violent – est essentiel à la protection des victimes. Ce serait une erreur de négliger ce deuxième volet, erreur que vous n'avez pas commise.

Au nombre des mesures de contrôle strict des auteurs et de prise en charge de leur violence, il y a le bracelet anti-rapprochement. Comme je m'y étais engagé, mille de ces dispositifs sont disponibles depuis fin septembre 2020. Peut-être ne sont-ils pas encore suffisamment utilisés, mais on est là dans le champ de la liberté juridictionnelle. En tous les cas, ils ont été distribués et sont à la disposition des magistrats. D'autre part, 1 716 téléphones grave danger avaient été déployés au début du mois de janvier dernier. La prise en charge des auteurs de violences passe aussi par les juridictions, en lien avec les services pénitentiaires d'insertion et de probation et avec les associations qui ont mis au point des stages de prévention de violence conjugale. L'augmentation du nombre d'obligations de stage prononcées comme alternative à la condamnation est impressionnante : de 1 500 stages en 2018, on est passé à plus de 9 000 en 2020. Enfin, la prévention de la récidive demande une prise en charge pluridisciplinaire, psychologique, sanitaire et sociale. J'ai rappelé dans la circulaire diffusée le 3 août 2020 que ces éléments sont indissociables, et les différents acteurs développent dans cet esprit des suivis renforcés tant en phase pré-sentencielle qu'après le jugement de condamnation.

J'en viens aux dispositions que le Gouvernement entend mettre en œuvre. D'abord est venue la proposition de loi présentée par Mme Annick Billon, que l'actualité récente a brutalement mise en lumière. J'ai dit à Camille Kouchner que son récit faisait œuvre d'utilité publique, mais je pense qu'il ne faut pas opposer la libération de la parole des victimes et la présomption d'innocence, et que la présomption d'innocence ne doit pas entraver la libération de la parole. Nous devons y être extrêmement attentifs.

Je suis tout disposé à répondre aux questions portant sur le seuil de consentement et sur les délais de prescription que vous voudrez me poser.

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Je vous remercie, monsieur le garde des Sceaux. J'approuve l'action de votre ministère relative aux auteurs de violences conjugales. Nous constatons, dans nos circonscriptions, que les femmes victimes de violences peuvent y être assignées à vie si les auteurs ne sont pas traités et je me félicite que les actions dont nous nous étions fait les chantres dans le cadre du Grenelle des violences conjugales trouvent une issue favorable.

Avec les ordonnances de protection, le téléphone grave danger constitue un élément décisif de la prise en charge des violences conjugales. Aussi, la définition des critères de délivrance de ces outils doit permettre qu'il soit assez protecteur. Or, il était apparu au cours de nos travaux que ces critères étaient si étroitement définis que les téléphones grave danger, bien que disponibles, étaient attribués en nombre insuffisant. Qu'ils soient plus largement déployés signifie-t-il que les critères de délivrance ont été assouplis ?

S'agissant du mode de prise en charge des violences sexuelles commises à l'encontre des mineurs, notre Délégation a tranché mais je comprends que la question de l'écart d'âge entre deux mineurs fasse débat. Nous ne sommes pas les censeurs de la vie sexuelle de nos adolescents mais le dispositif envisagé doit être suffisamment protecteur. L'une de nos préoccupations est que des victimes et parfois même des violeurs ignorent que le viol est « un acte de pénétration commis par contrainte, violence, menace ou surprise ». Il résultait de nos échanges que certaines victimes ne savaient pas qu'elles avaient été violées et que certains auteurs ne comprenaient pas pourquoi ils étaient accusés de viol. Il faut donc faire connaître plus largement la définition de ce crime. Cela implique l'intervention du ministère de l'Éducation nationale. Je crois en la vertu pédagogique des mesures que nous allons adopter et de l'interdit de la relation sexuelle entre un majeur et un mineur, en prenant aussi en compte la question de l'écart d'âge.

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éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux

La direction des affaires criminelles et des grâces vient de faire savoir qu'en 2020, 106 homicides conjugaux ont été perpétrés ; 90 victimes sont des femmes. Ce chiffre est le plus bas depuis que l'on a commencé à recenser les féminicides, en 2006. En 2019, 173 de ces crimes avaient été commis ; 146 femmes en avaient été les victimes. Même si la situation n'est toujours pas satisfaisante, car chacun de ces meurtres est un échec, ce progrès est encourageant. Il est dû aux mesures que vous avez adoptées et au fait que l'appréhension judiciaire de ces crimes a changé. Beaucoup a été fait en matière de prévention. Les téléphones grave danger peuvent désormais être attribués en cas de danger avéré imminent, même si l'auteur des violences n'a pas pu être interpellé et est en fuite. Quand je souligne, dans les juridictions, que cette télé-protection est un outil essentiel, c'est à des magistrats déjà convaincus que je m'adresse, comme ils le sont de l'utilité du bracelet anti-rapprochement – même si l'on n'empêchera jamais un fou furieux de s'affranchir de ces barrières virtuelles.

En matière de viol, un arrêt curieux a été rendu en 2014, dans lequel on tergiverse sur les actes bucco-génitaux. Pour ma part, je considère tout acte bucco-génital imposé à un enfant comme un viol, cunnilingus compris – toute gamine à qui il est imposé en ressentira le même traumatisme qu'un jeune garçon subissant une fellation. Au sujet de la notion de viol, il arrive aussi que des hommes nient avoir violé puisque « n'ayant mis qu'un doigt », ils n'ont « rien fait de mal ». Eh bien, si : ils ont violé – et parfois, en effet, leurs victimes ne savent pas qu'elles l'ont été au sens de la loi.

J'en viens à la proposition de loi de Mme Annick Billon, texte sur lequel le Gouvernement est très ouvert. Nous souhaitons affirmer dans la loi que nul ne pourra prétendre qu'un mineur de 15 ans a consenti à des pratiques sexuelles. L'inscription de ce seuil marquera un formidable progrès en consacrant l'interdit. Cependant, il faut prendre en considération le fait que des jeunes gens ont une vie sexuelle avant cet âge ; tout à l'heure encore, un de vos collègues me disait avoir trouvé des préservatifs dans le tiroir de sa fille âgée de 14 ans… C'est ainsi, et je ne veux pas me poser en censeur de la vie sexuelle consentie de nos enfants, faire de Roméo un criminel parce qu'il entretient une relation avec Juliette. Pour autant, s'il y a viol entre mineurs, l'infraction demeurera. Fixer un écart d'âge signifie que dans cette tranche d'âge on ne peut pas d'emblée considérer qu'il y a viol et, s'il y a consentement, on ne peut criminaliser les actes commis.

D'autre part, le droit positif demeure intouché. Si une gamine âgée de 14 ans et six mois a une relation sexuelle avec celui qu'elle considère être l'amour de sa vie, lui-même âgé de 18 ans et un jour, on ne peut pas renvoyer le garçon aux assises. Le droit positif, qui n'est pas abrogé, conduit à appréhender cette situation sous l'angle de l'atteinte sexuelle, et certains parlementaires souhaitent que la notion d'écart d'âge s'applique aussi pour l'atteinte sexuelle ; je n'y suis pas favorable. Deux cas se présentent. Si les deux jeunes gens déclarent qu'ils s'aiment, le parquet considérera l'atteinte sexuelle présumée comme des amours adolescentes et tendra à classer l'affaire sans suite, ce qui n'est pas anormal. Infliger une comparution en correctionnelle à un tout jeune majeur si les deux jeunes gens disent s'aimer n'aurait pas de sens ; j'adresserai d'ailleurs une circulaire en ce sens aux parquets. Mais il peut aussi se produire qu'une gamine ne connaissant pas grand-chose de la sexualité soit emmenée par des amies en un lieu où elle subira des relations sexuelles avec plusieurs individus sans qu'elle le refuse, sans que l'on puisse prouver la violence, la contrainte, la menace ou la surprise ; que fait-on ? Selon moi, dans cette hypothèse, il faut pénaliser. C'est le système actuel et il ne faut pas le modifier.

Nous souhaitons que le seuil de 15 ans devienne la règle générale, l'exception concernant les amours adolescentes. Certains parlementaires veulent, pour qu'une dérogation soit possible, que la relation entre les jeunes gens concernés soit « pérenne ». Mais, quand on a 14 ans, trois jours sont une éternité ! Et que fait-on si le garçon, volage, s'en va voir ailleurs puis revient ? En droit, c'est injouable ! Je ne crois pas en la pérennité de amours de gosses, et le Conseil constitutionnel nous surveille : comment définit-on cette pérennité en droit pénal ? Je souhaite la mention de l'écart d'âge pour ne pas criminaliser une relation adolescente consentie. Certains feront valoir que dans certaines situations, cela ne fonctionne pas. C'est exact, mais il en est toujours ainsi quand on fixe un seuil : on n'atteint jamais la perfection. Il faut l'accepter parce que le texte renforce considérablement la protection des mineurs. La règle est fixée : on ne touche pas aux enfants mineurs de 15 ans.

Enfin, les amours adolescentes ne sont pour la plupart pas portées à la connaissance de la justice, sauf quand, parfois, des parents portent plainte ; si le parquet découvre qu'il y a eu consentement, il décidera de classer sans suite. Je rappelle enfin que, comme il s'agit d'une victime mineure, c'est le juge des enfants qui sera compétent. Je comprends que le fait de maintenir le droit positif relatif à l'atteinte sexuelle puisse paraître injuste mais le système fonctionne depuis toujours. L'apport de la loi dont nous allons discuter, c'est une protection renforcée des mineurs.

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Nous nous réjouissons que différentes initiatives législatives visent à renforcer la protection des mineurs victimes de violences sexuelles. C'est l'objet de la proposition de loi déposée par notre collègue Isabelle Santiago adoptée le mois dernier par notre Assemblée et du texte de Mme la sénatrice Annick Billon ; notre collègue Alexandra Louis a contribué à ces propositions. Notre Délégation a désigné M. Balanant et moi‑même rapporteurs d'information sur ces deux textes. Nous nous réjouissons de la création d'incriminations spécifiques protégeant les mineurs mais il nous semble nécessaire de dire les choses et de mentionner la notion de viol ; quelle est votre opinion à ce sujet ? Le seuil d'âge retenu dans la proposition de loi de Mme Santiago est 15 ans ; Mme Billon propose de le fixer à 13 ans. Pourriez-vous préciser le choix du Gouvernement ? Enfin, Mme Billon prévoit la création d'un nouveau délit d'incitation à commettre un acte sexuel par voie électronique ; qu'en pensez-vous ?

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Je me félicite de savoir que les téléphones graves danger ne dorment plus dans les tiroirs, mais qu'en est-il des bracelets anti-rapprochement ?

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Vous avez fait allusion à Romeo et Juliette mais comment prendre en compte l'influence que peut exercer le plus âgé des deux, même si l'écart d'âge n'est que de 5 ans, sur une jeune personne sensible ou qui éprouve des difficultés familiales ? Puisqu'en l'état le parquet classe parfois ces affaires, pourquoi ne pas en rester là, ne pas fixer d'âge précis dans la loi et laisser le parquet établir si les relations présentées comme sérieuses ne tiennent pas plutôt de la manipulation ?

Dans un autre domaine, la sortie de prison des condamnés pour violences conjugales est source de très forte angoisse pour celles qui ont été leurs victimes. Souvent, elles n'ont pas changé de domicile depuis l'incarcération de leur conjoint ; elles appréhendent des tentatives de retour et qu'il essaye de récupérer les enfants à la sortie de l'école ou de la crèche. Comment les protéger ?

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Pourquoi, monsieur le garde des Sceaux, avoir choisi cinq ans pour écart d'âge ?

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le garde des sceaux

Ayant reçu à la Chancellerie, à la demande du président de la République, toutes les associations de protection de l'enfance, j'ai constaté que tous les sujets ne font pas consensus parmi elles, ni même en leur sein. Ainsi, il n'y a pas d'accord sur la durée souhaitable de la prescription – et lors de la discussion de la proposition de loi de Mme Isabelle Santiago, j'ai observé que certains parlementaires proposaient 50 ans mais que d'autres préféraient que l'on ne modifie pas le délai en vigueur. Si le consensus existe sur le seuil de consentement à 15 ans, il n'apparaît pas s'agissant de l'écart d'âge – et ceux qui approuvent le principe s'interrogent sur l'écart lui-même : pourquoi cinq ans plutôt que quatre, me demande-t-on ainsi ? Nous avons fait au mieux, en retenant ce qui nous paraissait cohérent et reflétant les choses de la vie.

Définir un seuil de consentement était important, après qu'une cour d'assises avait pris la décision d'acquitter un homme poursuivi pour le viol d'une fillette de 11 ans, faute d'avoir pu caractériser la violence, la contrainte, la menace ou la surprise. De telles décisions ne seront plus possibles. Les amours adolescentes existent, mais qui n'est doué de suffisamment de bon sens pour distinguer les relations sexuelles entre un homme de 60 ans et une jeune fille de 14 ans des relations qui peuvent se nouer entre une jeune fille du même âge et un adolescent de 17 ans ? L'écart d'âge de 5 ans que nous avons retenu n'est pas un axiome ; il résulte de réflexions et de consultations.

Madame Battistel, la notion de viol est bien reprise dans le texte, tout comme celles d'agression sexuelle et d'atteinte sexuelle. Pour la raison dite, je veux que les actes bucco‑génitaux soient inclus dans les éléments constitutifs du viol. La jurisprudence avait déjà établi que le cunnilingus est une pénétration sexuelle ; maintenant, la règle sera claire.

Nous sommes favorables à la sanction pénale de la complicité d'incitation au crime qu'est la sextorsion. Pourquoi se battrait-on contre la haine en ligne tout en laissant filer ceux qui incitent à la commission d'un viol ou d'une agression sexuelle ?

J'avais fixé l'objectif que mille bracelets anti-rapprochement soient mis à la disposition des magistrats en septembre 2020 ; il est tenu. Quarante-et-une obligations de le porter ont été prononcées en matière pénale, deux en matière civile. Le chiffre est assez faible, mais le dispositif a été lancé à la fin de l'année 2020 ; la justice est une vieille dame et les juridictions doivent s'habituer à l'outil. Certains procureurs, très entreprenants, sont en pointe à ce sujet ; il faut désormais diffuser et homogénéiser les bonnes pratiques, en cette matière comme dans les autres.

Depuis mon arrivée à la Chancellerie, une conseillère aux bonnes pratiques se rend dans les juridictions et rapporte les initiatives prises. Des dispositifs remarquables ont été instaurés. Ainsi, au Cateau-Cambrésis, de jeunes médecins hospitaliers ont instauré un dispositif d'accueil des femmes victimes de violences conjugales. La femme qui arrive aux urgences est soignée, un psychologue la rassure, un assistant social s'occupe de son cas – c'est essentiel pour qu'une plainte soit déposée quand il y a des enfants – puis les gendarmes, alertés par les médecins, viennent et enregistrent sa plainte si elle le souhaite. Ensuite arrivent procureur et avocat. Tout cela se fait à l'hôpital, dans de petites salles assurant le secret, en partenariat avec la justice et la préfecture. Cette formidable chaîne d'assistance doit être généralisée partout où cela est possible et nous avons pris des mesures en ce sens. Á Amiens, c'est autre chose : l'institut médico-légal se rend chez la victime pour faire le constat des coups et préserver les droits de celui qui est accusé de les avoir portés s'il réfute l'accusation.

Pour ce qui est d'apprécier une possible manipulation, madame Trastour-Isnart, le juge compétent est le juge des enfants, et il connaît ce processus. S'il est convaincu qu'un mineur est manipulé, on en revient à la notion de contrainte, et il y a viol. Aujourd'hui, l'auteur d'un viol peut affirmer que sa victime, mineure de 15 ans, était consentante ; si la loi est votée, il ne pourra plus dire cela. Si deux mineurs ont des versions différentes des faits, l'incrimination de viol ou d'agression sexuelle pourra s'appliquer : ce n'est pas parce que l'on est dans l'écart d'âge légal que l'on est exonéré de responsabilité en matière criminelle.

S'agissant de la protection à la sortie de prison, l'ordonnance de protection permet à qui en bénéficie de se voir attribuer un logement social en priorité, de débloquer une épargne salariale et d'obtenir une carte de séjour temporaire en dépit de la cessation de la vie commune. C'est le protocole à la sortie de prison, conçu pour éviter le retour de l'auteur des violences à son ancien domicile. Á cela s'ajoute une prise en charge psychologique, sanitaire et sociale, accompagnement nécessaire.

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Le département du Nord est de ceux qui connaissent le plus de féminicides. C'est bien par la prise en charge du conjoint violent mais aussi par son éviction que l'on protège les victimes et les enfants. Des lieux existent où les auteurs des violences sont pris en charge par des assistants sociaux, des médecins et des psychologues, mais rien n'est prévu pour la nuit. Á Lille, avec Mme la procureure Carole Étienne, très engagée dans ce domaine, et avec le service de contrôle judiciaire, nous avons cherché des hébergements nocturnes pour ces hommes. C'est indispensable : sinon, ils sont hébergés par leur famille ou par des amis, et la prise de conscience ne peut se faire dans un environnement familier. Deux logements étaient possibles à Lille, et des nuitées offertes par la préfecture ; ce n'était pas vraiment satisfaisant. J'ai la grande satisfaction de dire que nous allons obtenir les clés de trois autres logements ; ce fut difficile. Il faudrait multiplier ces actions à l'échelon national. La Chancellerie peut-elle aider à l'éviction des conjoints violents et à leur prise en charge, de manière à ce que les femmes soient mises à l'abri ?

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Je salue la présomption de non-consentement pour les mineurs de 15 ans, mesure que je défends de longue date. Vous avez demandé aux procureurs d'ouvrir systématiquement des enquêtes en cas d'accusations de violences sexuelles sur des mineurs, même si les faits sont prescrits ; or, les parquets sont surchargés. Envisagez‑vous des moyens supplémentaires donnés à la justice pour lui permettre de répondre à votre demande ?

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Le 3 septembre 2019, le Gouvernement lançait le Grenelle contre les violences conjugales ; des travaux menés par les onze groupes thématiques sont issues 46 mesures dont dix mesures d'urgence, déjà mises en œuvre. Comme nombre de députés, je me suis fortement impliqué dans l'organisation d'un « Grenelle » local contre les violences conjugales en milieu rural, avec l'objectif de mesurer les efforts déployés et ceux qui devraient l'être davantage pour lutter contre ce fléau. Un premier comité de suivi du Grenelle contre les violences conjugales a eu lieu il y a un an et je ne manquerai pas de vous inviter, monsieur le ministre, au comité de suivi à deux ans. Les mesures déjà déployées répondent aux attentes des femmes victimes, qui se sont félicitées des avancées réalisées, mais des progrès restent à faire, notamment pour les victimes plus silencieuses des violences conjugales que sont les enfants, chez qui elles entraînent de terribles conséquences sur leur développement physique, psychique, affectif et social. Le nombre des espaces de rencontres protecteurs des enfants a augmenté, comme les auditions dans les unités d'accueil médico-judiciaire ; est-ce suffisant ? Quels axes le Gouvernement compte-t-il suivre pour recueillir la parole de l'enfant ? Comment protéger au mieux les enfants victimes indirectes de violences conjugales ? Lors du premier comité de suivi, les femmes victimes ont particulièrement insisté sur la nécessité d'un accompagnement psychologique.

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le garde des sceaux

Madame Liso, le budget de la justice a augmenté de 8 % en 2020 par rapport à l'année précédente et les crédits de l'aide aux victimes d'infractions pénales, couverts par le programme 101 du budget, sont passés de 6,7 millions d'euros en 2019 à 8,1 millions dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2021. Vous soulignez les progrès réalisés et les efforts qui restent à accomplir. Á Lille, la procureure est très en pointe sur ces sujets, mais plusieurs autres parquets ont aussi conclu avec des préfectures des conventions leur donnant accès à un parc de logements ou à des nuitées d'hôtel. Á Amiens, Beauvais, Besançon, Bordeaux, Bourges, Brest, Chartres, Dijon, Mulhouse, Nantes, Senlis, Valenciennes et ailleurs encore, cette question a été prise à bras-le-corps. Je porterai une mesure nouvelle à ce sujet lors de la discussion du PLF pour 2022. Pour 2021, le financement de l'expérimentation par redéploiement pourrait être envisagé au regard des crédits disponibles. Une réponse plus brève à votre question est donc « Oui, madame la députée ». Dans ce domaine comme dans d'autres, nous savons depuis longtemps que le taux de récidive est beaucoup plus élevé quand les sorties de prison sont « sèches » que lorsqu'elles sont accompagnées. Il faut la volonté politique de mettre les dispositifs en œuvre et je présenterai bientôt des mesures à ce sujet.

Madame Anthoine, j'ai effectivement demandé aux procureurs, il y a quelques jours, d'ouvrir une enquête même quand les faits paraissent prescrits. Il y a trois raisons à cela. La première est que l'on ne sait pas d'emblée si la prescription est acquise ; l'enquête peut le révéler, mais il peut se produire aussi que la prescription que l'on pouvait penser acquise ait été suspendue et en ce cas, on peut poursuivre. Enquêter dans tous les cas a aussi pour intérêt d'entendre la plaignante et de lui expliquer le mécanisme de la prescription ; cela n'est pas toujours fait dans le cadre d'une enquête préliminaire, s'il n'y a pas d'avocat, si bien que la victime peut avoir le sentiment de n'avoir pas été entendue, voire pas crue. La troisième raison est qu'il ne faut pas négliger le droit de celui qui est accusé. Les dénonciations calomnieuses sont rares mais elles existent, et l'extrême prudence s'impose dans ces affaires. Je l'ai dit : la libération de la parole ne doit en rien entraver la présomption d'innocence, ni la présomption d'innocence entraver la libération de la parole. Le risque, si on est accusé à tort, est celui d'une mort civile et professionnelle, parce que les réseaux sociaux reprennent l'accusation en boucle. Ouvrir une enquête permet de cocher la case « prescription » mais aussi, éventuellement, la case « infraction non constituée ». Aussi, dans cette circulaire équilibrée, je rappelle les droits de celles qui accusent et ceux des accusés.

Je ne vois que des avantages à mobiliser les procureurs à cet effet. Nous avons procédé au plus grand plan d'embauche de la justice depuis vingt-cinq ans : mille personnes ont été affectées dans les juridictions, essentiellement en première instance, pour aider les magistrats et les parquetiers, et nous avons doublé le nombre de délégués du procureur. Aussi les parquets sont-ils pleinement mobilisés, comme il le faut, et l'époque nous contraint à réagir davantage à ces histoires – en cela, je l'ai dit, l'ouvrage de Camille Kouchner est d'utilité publique, et il a aussi pour intérêt de déconstruire certains préjugés sociaux relatifs à l'inceste. En résumé, l'exceptionnel budget de la justice permet parfaitement de supporter la charge supplémentaire de ces enquêtes. Je demande aux procureurs d'avoir un contact avec les plaignantes. Parfois, on sait très vite que la prescription est acquise, et cela peut être expliqué rapidement ; parfois, il faut enquêter davantage pour établir si elle est acquise ou non. Les dossiers de classement sans suite ne sont pas les plus épais : la charge de travail n'a rien à voir ni avec un dossier d'instruction ni avec une enquête préliminaire classique.

Depuis l'affaire dite d'Outreau, on sait que l'on peut faire dire n'importe quoi à un enfant et qu'un effort particulier est indispensable dans la manière dont on recueille sa parole. Une formation spécifique est donc nécessaire, qui suppose l'engagement de plusieurs ministères, puisque sont concernés enquêteurs, magistrats, médecins et psychologues. On a vu dans une affaire particulière à quel point les choses peuvent déraper, et il y a un véritable investissement car on sait désormais que les conditions du recueil initial de la parole de l'enfant sont déterminantes. Les associations sont très impliquées et l'École de la magistrature a élaboré un kit pédagogique visant à sensibiliser les différents acteurs intervenants dans le recueil de la parole de l'enfant. Des améliorations sont sans doute encore possibles, mais des progrès notables ont déjà été faits.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

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