Intervention de éric Dupond-Moretti

Réunion du mardi 2 mars 2021 à 17h30
Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la Justice :

Je suis heureux d'évoquer avec vous des questions qui sont au cœur des préoccupations du ministère ; je pense en particulier au suivi des mesures prises à l'issue de la concertation organisée par le Gouvernement dans le cadre du Grenelle des violences conjugales à l'automne 2019. Je souligne le chemin parcouru, d'abord sous l'égide de Mme Belloubet, à l'ouverture de ces travaux et depuis lors. Je traiterai, dans ce propos liminaire, des trois idées fortes qui ont inspiré les lois de décembre 2019 et de juillet 2020 que vous avez votées : proaction, protection, probation.

Proaction, pour commencer. La domination que l'un peut exercer sur l'autre au sein du couple – très souvent celle de l'homme sur la femme, mais pas toujours – est un processus destructeur que j'ai pu mesurer dans le cadre de mes anciennes activités professionnelles. L'emprise est une forme de violence physique qui doit être prise en compte par le juge avec attention et circonspection. Le péril qui en découle fait que l'intervention doit être rapide et, bien sûr, adaptée à la situation. Tel est l'esprit de la loi que vous avez votée en décembre 2019 et qui fixe à six jours le délai du prononcé d'une ordonnance de protection.

Un comité de pilotage national de l'ordonnance de protection, présidé par Mme Ernestine Ronai, a été installé fin juin 2020. Il est composé de tous les partenaires impliqués dans la procédure : magistrats, avocats, huissiers et associations. Des conseils locaux permettent de décliner les protocoles sur l'ensemble du territoire. Je souligne l'efficacité des filières de l'urgence définies au sein des tribunaux en s'appuyant sur un guide du traitement juridictionnel des violences conjugales établi par les services de la Chancellerie. Ce guide trace le parcours idéal de traitement judiciaire d'un dossier de violences conjugales, du dépôt de la requête ou de la plainte à l'exécution des décisions. Plus de quarante juridictions ont déjà adopté les circuits courts pour le traitement plus efficace de l'urgence et une meilleure communication entre les services.

C'est aussi parce que l'emprise enferme la victime dans le silence et l'empêche de révéler les violences subies que vous avez modifié les dispositions législatives relatives au secret médical, permettant ainsi aux médecins de révéler les faits de violence conjugale sans le consentement de la victime s'il estime qu'elle est en danger immédiat. Des vies ont ainsi été sauvées : les chiffres dont je vous ferai part montre une amélioration. Mais chaque meurtre ou assassinat d'un conjoint demeure un échec collectif et le nombre de victimes de violences au sein des couples reste important. Cela nous incite tous à continuer ce combat commun.

Un vade-mecum été rédigé, je vous l'ai dit, et des protocoles sont en cours de signature entre parquets et conseils départementaux de l'Ordre des médecins. Les médecins doivent être convaincus de la nécessité d'adhérer à cette solution qui permet d'éviter le drame absolu. Le conseil de l'Ordre, reçu à la Chancellerie, nous a dit qu'il en irait ainsi. C'est une évolution fondamentale pour la protection des victimes de violences conjugales.

Celles-ci ne concernent pas que le couple. Elles ont aussi un effet dévastateur sur les enfants, qui en sont les victimes collatérales sinon directes et qui doivent eux aussi être protégés. Vous avez adopté des dispositions qui permettent de remettre en cause l'exercice de l'autorité parentale par les conjoints violents, ce compris par le juge pénal. Il est d'ailleurs intéressant que certaines dispositions s'appliquent au civil et au pénal. C'est le cas aussi des ordonnances d'éloignement ; il y a quelques jours a été prononcée la première ordonnance d'éloignement en matière civile. Les mentalités sont donc en train de changer.

Ensuite vient la probation. Il ne peut y avoir de protection efficace des victimes sans contrôle strict des auteurs et sans prise en charge de leur violence. En cas d'ordonnance d'éloignement par exemple, rien ne serait pire que de ne pas se préoccuper du lieu où le conjoint violent sera hébergé, car s'il ne l'est pas, on a la quasi-certitude que, quelles que soient les mesures prises, il tentera de revenir sur les lieux de ses méfaits. Le double regard porté – bienveillant sur la victime, humain sur le parcours du conjoint violent – est essentiel à la protection des victimes. Ce serait une erreur de négliger ce deuxième volet, erreur que vous n'avez pas commise.

Au nombre des mesures de contrôle strict des auteurs et de prise en charge de leur violence, il y a le bracelet anti-rapprochement. Comme je m'y étais engagé, mille de ces dispositifs sont disponibles depuis fin septembre 2020. Peut-être ne sont-ils pas encore suffisamment utilisés, mais on est là dans le champ de la liberté juridictionnelle. En tous les cas, ils ont été distribués et sont à la disposition des magistrats. D'autre part, 1 716 téléphones grave danger avaient été déployés au début du mois de janvier dernier. La prise en charge des auteurs de violences passe aussi par les juridictions, en lien avec les services pénitentiaires d'insertion et de probation et avec les associations qui ont mis au point des stages de prévention de violence conjugale. L'augmentation du nombre d'obligations de stage prononcées comme alternative à la condamnation est impressionnante : de 1 500 stages en 2018, on est passé à plus de 9 000 en 2020. Enfin, la prévention de la récidive demande une prise en charge pluridisciplinaire, psychologique, sanitaire et sociale. J'ai rappelé dans la circulaire diffusée le 3 août 2020 que ces éléments sont indissociables, et les différents acteurs développent dans cet esprit des suivis renforcés tant en phase pré-sentencielle qu'après le jugement de condamnation.

J'en viens aux dispositions que le Gouvernement entend mettre en œuvre. D'abord est venue la proposition de loi présentée par Mme Annick Billon, que l'actualité récente a brutalement mise en lumière. J'ai dit à Camille Kouchner que son récit faisait œuvre d'utilité publique, mais je pense qu'il ne faut pas opposer la libération de la parole des victimes et la présomption d'innocence, et que la présomption d'innocence ne doit pas entraver la libération de la parole. Nous devons y être extrêmement attentifs.

Je suis tout disposé à répondre aux questions portant sur le seuil de consentement et sur les délais de prescription que vous voudrez me poser.

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