Intervention de Marie-Pierre Rixain

Réunion du mardi 2 mars 2021 à 17h30
Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Pierre Rixain, présidente :

Monsieur le garde des Sceaux, nous voulons d'abord nous entretenir avec vous des suites données au Grenelle des violences conjugales, marqueur du quinquennat qui doit, nous l'espérons, permettre de briser le cycle fondant ce phénomène. La Délégation y a largement contribué par le biais d'un Livre blanc où sont formulées 200 recommandations. Comment ces mesures se sont-elles concrétisées, singulièrement les bracelets électroniques anti-rapprochement et les unités médico-judiciaires, dispositifs cruciaux pour la prise en charge des victimes, et qui ont fait l'objet d'abondements sans précédent en 2020 et en 2021 ?

Quand on parle de violences conjugales, on ne prend pas toujours la mesure des violences économiques ou administratives que le terme recouvre. Constitutives d'un système d'emprise globale, elles parachèvent pourtant une mainmise totale que caractérise son ampleur – détournement de revenus, contrôle des opérations bancaires, des moyens de paiement, des allocations familiales… – et sa durée : toutes les victimes témoignent qu'il leur est très difficile de gérer à nouveau les biens et les avoirs dont elles ont été dépossédées. Trop longtemps, les violences économiques ont été légitimées par l'État ; il a fallu attendre la loi du 13 juillet 1965 pour qu'une femme puisse ouvrir un compte bancaire en son nom propre et sans l'accord de son mari, ou travailler sans le consentement de celui-ci. Après que le Groupe d'experts sur la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique du Conseil de l'Europe, dans son rapport d'évaluation de novembre 2019, a appelé les autorités françaises à établir des dispositifs juridiques aptes à protéger les femmes des violences économiques, notre Délégation a consacré, le 25 novembre dernier, un colloque à ce sujet. Aux nombre des recommandations qui figurent dans le rapport qui en découle, nous proposons en premier lieu la reconnaissance dans notre droit des violences économiques, sur le modèle du harcèlement moral, pour améliorer la prise en charge des victimes ; qu'en pensez-vous ?

J'en viens aux suites données à l'arrêt de la Cour de cassation du 14 octobre 2020, dont les considérants me semblaient révéler des insuffisances dans le droit protégeant les mineurs victimes de violences sexuelles. Nous vous avions adressé un courrier à ce sujet ; quelle est votre réaction ?

Les violences sexuelles commises sur les mineurs persistent. L'enquête Virage conduite par l'Institut national d'études démographiques indique que 52,7 % des viols ou des tentatives de viol déclarés par les femmes et 75,5 % de ceux déclarés par les hommes surviennent avant que les victimes soient âgées de 18 ans. Ces agressions, qui ont principalement lieu au sein de la famille, sont destructrices pour les victimes et pour notre société, car quand un être humain est ainsi violenté, blessé physiquement et psychiquement, tous les principes républicains sont bafoués. Un acte de violence sexuelle n'est pas qu'une question privée ne concernant que la victime et son agresseur, mais c'est également une question sociétale qui appelle une révolution irréversible dans sa prise en charge. Récemment, des textes puissants, tel le récit de Camille Kouchner, ont suscité des milliers de témoignages révélant l'ampleur de ces violences et des contraintes sociales, familiales et juridiques qui pèsent sur les victimes.

Dans ce contexte, la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes a constitué une avancée importante, en portant à 30 ans après la majorité des victimes présumées le délai de prescription des crimes sexuels commis sur des mineurs et en renforçant l'arsenal juridique qui sanctionne les violences sexuelles à leur encontre. Néanmoins, des clarifications sont nécessaires. Les propositions de loi de notre collègue Isabelle Santiago, membre de la Délégation, et de Mme Annick Billon, présidente de la Délégation aux droits des femmes du Sénat, nous offrent l'opportunité d'améliorer le droit, dans le sens des propositions faites par la Délégation en 2018 à l'occasion des travaux que j'ai menés avec nos collègues Sophie Auconie et Erwan Balanant. Nous proposions de criminaliser toute forme d'atteinte sexuelle commise sur un mineur et je me réjouis que cette proposition trouve une issue favorable.

M. Balanant et Mme Battistel ont rendu un excellent rapport sur la proposition de loi de Mme Santiago ; je partage leur volonté de nommer clairement les infractions nouvelles et de fixer un seuil de consentement permettant l'établissement d'un interdit clair, protecteur pour nos enfants. Tous deux ont été reconduits dans leur fonction de rapporteurs sur la proposition de loi de Mme Annick Billon, dont l'approche complémentaire est précieuse. Je salue la mobilisation de nos homologues du Sénat, qui travaillent de longue date à mieux protéger les victimes de violences sexuelles. Vous avez manifesté votre soutien à ce texte, moyennant certains aménagements ; pourrez-vous nous en dire davantage ? Je me réjouis de notre volonté partagée de progrès rapides.

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