Intervention de Gérald Darmanin

Réunion du lundi 18 janvier 2021 à 17h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi confortant le respect des principes de la république

Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur :

Permettez-moi de citer les débats relatifs à la loi de 2004, qui a interdit le voile, ou plutôt, pardonnez-moi, les signes religieux ostensibles à l'école. « Un seul exemple : demain, le port du voile sera interdit mais celui du keffieh sera autorisé. Pourtant, le keffieh peut apparaître en particulier par les jeunes juifs, comme un signe d'agression. Je m'inquiète aussi pour l'intégration. Si là est la grande affaire, est-il bien raisonnable de commencer par stigmatiser et exclure ? Autant il faut combattre fermement toutes les formes de communautarisme, autant ce serait une erreur de voir dans toute expression d'une identité l'affirmation d'un quelconque communautarisme. Il n'y a d'ailleurs communautarisme que lorsqu'une communauté agresse les autres. [...] Le grand défi républicain réside désormais dans la sécularisation de l'islam ». Voilà ce que disait Marc Le Fur à l'époque.

S'agissant des divisions, je rappelle que vingt-neuf députés du groupe UMP n'ont pas voté le texte de 2004, pour des raisons d'ailleurs tout à fait compréhensibles qui tiennent à la liberté et à la culture politique. Je pourrais également citer d'autres parlementaires aujourd'hui dans vos rangs. Il y a, et c'est bien normal, des discussions politiques importantes au sein des groupes Les Républicains (LR), La République en marche, MODEM et d'autres encore. Il ne faut pas caricaturer : dire que nous n'avons pas prévu telle disposition parce que nous aurions peur de diviser la majorité, c'est faire peu de cas du débat politique. Êtes-vous tous d'accord, au sein du groupe LR, sur l'instruction à domicile ? J'ai vu qu'il y avait des différences notables entre M. Diard et Mme Genevard, comme entre certains députés LR qui disent qu'ils voteront le texte, quoi qu'il arrive, et d'autres qui déclarent qu'ils verront bien, ces différences étant, je le répète, bien normales…

Je rappelle également, cette fois au groupe socialiste, qu'en 2004 M. Glavany disait être contre la disposition présentée par le Gouvernement – c'était sous la présidence de Jacques Chirac –, parce qu'il trouvait que les députés UMP avaient la laïcité honteuse. Ils visaient les signes religieux « ostensibles » alors que le groupe socialiste demandait qu'il soit question des signes « visibles ». Il est peut-être vrai que la laïcité est avant tout une loi et une aspiration de gauche.

Je souhaiterais que l'on évite les arguments de tribune, qui sont faciles. Je pourrais également citer d'autres personnes…

Il est normal d'avoir des débats politiques et philosophiques sur des textes aussi importants. Le garde des sceaux a eu raison de rappeler que tout n'était pas si évident a priori. Je crois que nous pouvons avoir un débat serein en évitant de nous jeter à la figure des anathèmes, de nous accuser de lâcheté ou d'autoritarisme.

M. Breton, qui est entré dans le vif du sujet alors que d'autres ont évoqué la forme plutôt que le fond, a reproché au texte d'être à la fois trop mou et trop dur. Vous auriez sans doute aimé, monsieur Breton, que nous présentions un texte pour le culte musulman, ad hominem, en quelque sorte – c'est ce que je comprends de vos propos. Cela aurait été absolument contraire aux principes de la République, de notre Constitution et de la loi de séparation entre les Églises et l'État. Nous n'avons donc pas fait ce choix. D'autres pays l'ont fait mais, pour notre part, comme l'ont très bien dit le Garde des Sceaux et le ministre de l'éducation, nous souhaitons un texte qui s'adresse à tout le monde. Vous l'avez souligné, monsieur le président, la loi est l'expression de la volonté générale, elle s'applique d'une façon générale, et non pas en particulier. C'est un point très important : nous n'avons pas voulu faire une entorse considérable au principe de laïcité qui est celui de notre République. Elle ne nie pas certaines religions pour en reconnaître une autre. Tout le combat de l'État français, sous la monarchie, sous l'empire et sous les républiques a été de ne pas reconnaître un culte en particulier. Vous avez le droit d'avoir la position qui est la vôtre, mais elle est foncièrement contraire aux principes républicains. On comprend donc mieux pourquoi vous vous opposez à ce texte, qui vise à les renforcer.

Monsieur Corbière, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit. La directrice des renseignements territoriaux a eu raison de vous indiquer – j'ai lu avec attention le compte rendu de son audition – que quatre-vingt-neuf lieux posaient problème, car tel est le cas aux termes de la loi actuelle. Mais le projet de loi que nous vous soumettons a pour objet d'identifier, entre les deux catégories que constituent, d'une part, les lieux qui ne posent aucun problème et, d'autre part, ceux qui ont un lien avec le terrorisme, une cible politique : le séparatisme ou l'islamisme politique. Ainsi, demain, en tant que ministre de l'intérieur, je demanderai aux services de renseignement de travailler, non plus seulement sur la question du terrorisme, mais aussi sur celle du séparatisme. Des critères me permettront de classer un certain nombre de lieux de culte dans cette dernière catégorie, qui n'a pas forcément un lien direct avec le terrorisme – même si, nous l'avons vu, ce lien était évident dans le cas de l'assassinat de Samuel Paty. Longtemps, beaucoup ont pensé que l'islamisme politique était certes condamnable, mais n'était pas de même nature que le terrorisme. La force de ce texte est de considérer qu'il existe entre ces deux phénomènes une différence de degré et non de nature.

Parmi les lieux de culte qui posent problème du point de vue du ministère de l'intérieur – ce qui exige des vérifications complexes –, on dénombre, outre les 89 mosquées jugées inquiétantes pour la République – soit 91 moins 2, puisque nous en avons exclu certaines de la liste de celles que nous soupçonnions –, 147 lieux de culte classés « fréristes », c'est-à-dire appartenant au mouvement des Frères musulmans, dont 18 écoles – que la loi ne nous permet pas de fermer –, 136 lieux classés salafistes, dont 7 écoles de la même mouvance, et 200 lieux de culte – 150 selon le bureau central des cultes – de la mouvance tabligh, dont je rappelle qu'elle est actuellement représentée au sein du Conseil français du culte musulman (CFCM). Nous parvenons donc à un total de plus de 400 lieux de culte sur environ 2 400 : cela ne fait pas 4 %. La réponse de la patronne des RT est fondée, et c'est normal, sur la loi actuelle ; celle du ministre de l'intérieur que je suis sur l'objectif politique que je me fixe.

Nous voulons avoir les moyens de contrôler ces lieux de culte, mais il ne s'agit pas de les fermer pour les fermer : si nous n'avons aucune preuve que nos soupçons sont avérés, nous ne les fermons pas. Ainsi, sur les dix-huit mosquées qui avaient été considérées comme très dangereuses, neuf ont été fermées ; les neuf autres ne l'ont pas été, car nous n'en avions pas les moyens, et je me refuse à sanctionner un délit d'opinion. En tout état de cause, s'agissant des chiffres, nous n'avons rien à cacher.

Monsieur Cormier-Bouligeon, nous aborderons ce soir l'examen de l'article 1er. Nous pourrions discuter à l'envi de la définition du service public, mais nous nous en tenons aux éléments suivants : est un service public, soit ce que la loi désigne comme tel, soit les missions exercées par des fonctionnaires relevant du statut de la fonction publique et des personnels y concourant : apprentis, stagiaires, agents publics titulaires d'un contrat de droit privé – soit 20 % des agents publics – ainsi que tous les personnels d'une entreprise exerçant une délégation de service public ou relevant du code des marchés publics s'ils participent directement à l'exécution du service public – je pense aux transports publics, aux piscines… C'est un point essentiel.

Monsieur Rudigoz, jusqu'à présent, est considéré comme un lieu de culte un lieu où l'on exerce habituellement un culte. Ainsi, certains d'entre eux ne relèvent d'aucune structure juridique – ils peuvent être cachés, cela arrive, dans des halls d'immeuble ou des caves. Nous revenons sur ce paradigme historique, et le Conseil d'État accepte cette nouvelle définition : dorénavant, sera considéré comme un lieu de culte un lieu gouverné par une structure juridique ayant pour objet d'exploiter ce culte. Cela change tout ! Nous préférons que cette structure juridique soit une association loi de 1905, mais ce pourra être une association loi de 1901, avec des contraintes supplémentaires. Ce point est très important.

Dès lors, nous devons opter pour un régime de déclaration ou d'autorisation – jusqu'à présent, le ministère de l'intérieur délivrait un rescrit dont la durée était d'environ cinq ans. Nous souhaitions un régime d'autorisation. Le Conseil d'État, estimant que nous allions très loin, accepte que nous imposions l'existence d'une association pour chaque lieu de culte mais recommande que nous options pour un régime de déclaration. Nous l'avons suivi, en proposant une déclaration qui devra intervenir tous les cinq ans pour que nous ayons les moyens d'exercer un contrôle.

J'ai indiqué aux représentants des cultes protestant, catholique, musulman et juif que notre objectif n'était pas d'empêcher l'existence de lieux de culte qui respectent totalement les principes de la République et ses attendus. Nous allons donc proposer, avec le rapporteur, un amendement afin qu'une déclaration tacite, reconductible, suffise lorsque ces associations sont anciennes et que nous n'avons rien à leur reprocher. La mosquée de Paris, par exemple, construite en 1920 grâce au budget du Parlement, indépendamment de la loi de séparation des églises et de l'État, en fait partie. Il s'agit de prendre en considération, non pas des thèmes ou des religions, mais l'histoire, ce qui n'empêchera pas l'État d'exercer son contrôle. Nous allons proposer cette simplification, car j'ai bien compris la préoccupation de ceux qui pensent que nous ratons la cible.

En ce qui concerne la certification des comptes, j'ai indiqué aux représentants des cultes que nous ne renoncerions pas à imposer l'obligation de déclarer les sommes perçues de l'étranger lorsqu'elles excèdent 10 000 euros par an, l'État devant pouvoir s'opposer au versement d'argent provenant de l'étranger, quels que soient le culte et le montant. En revanche, je comprends que l'on souhaite que nous revenions sur le seuil de 10 000 euros qui déclenche l'intervention d'un commissaire aux comptes, notamment pour les associations loi de 1905. De fait, certains lieux de culte perçoivent parfois 10 000 ou 15 000 euros pour réaliser des travaux, par exemple ; s'ils doivent rémunérer un commissaire aux comptes, ils ne pourront plus réaliser ces travaux, de sorte que cette règle porterait atteinte à la liberté de culte. J'ai donc accédé à cette demande et déposé un amendement qui prévoit que, pour les associations loi de 1905, et uniquement pour celles-là, nous ne reviendrons pas sur le seuil qui déclenche l'intervention d'un commissaire aux comptes et qui est actuellement de 153 000 euros. En revanche, pour les associations loi de 1901, je proposerai que l'on maintienne le seuil prévu. Nous souhaitons, en effet, que les lieux de culte relevant d'une association loi de 1901 migrent vers des associations loi de 1905 ; nous faisons donc en sorte que le régime des premières soit plus contraignant que celui des secondes. La loi n'a pas été faite pour satisfaire la technocratie, mais pour embêter ceux qui nous embêtent.

Monsieur Vigier, vous souhaitez que les candidats fichés S ne puissent pas être éligibles. Tout d'abord, ce fichier n'a pas de lien avec les atteintes à l'ordre public : il s'agit d'un fichier de signalement. Au demeurant, nombre de personnes ne savent pas qu'elles figurent dans ce fichier, et c'est heureux car, si elles le savaient, elles adopteraient un autre comportement et, M. le garde des sceaux et moi-même, nous ne pourrions pas intervenir. Par conséquent, si vous souhaitez que certaines personnes soient inéligibles, mieux vaut vous appuyer sur le FIJAIT, qui regroupe des personnes condamnées ou mises en examen. En outre, il arrive qu'une personne fasse l'objet d'une fiche S, non pas parce que nous nous intéressons à elle mais parce que nous nous intéressons aux personnes avec lesquelles elle est en contact. Du reste, les islamistes sont minoritaires parmi les 22 000 fichés S, qui regroupent également des personnes appartenant à l'ultradroite, à l'ultragauche ou des militants très violents. Nous aurons l'occasion d'y revenir – je vous fais là une ouverture.

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