Intervention de Ariane Chemin

Réunion du vendredi 15 janvier 2021 à 14h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi confortant le respect des principes de la république

Ariane Chemin :

Il est intéressant que vous parliez des « Renault. » Si nous avons voulu inscrire ce livre dans la durée, c'est parce que nous voulions aussi raconter l'histoire de l'immigration. Trappes est très intéressante pour cela puisque c'était une sorte de cité dortoir pour toutes les entreprises automobiles. Cela concernait des personnes qui étaient d'abord passées par les bidonvilles de Nanterre et qui étaient arrivées à Trappes après. En racontant l'histoire de Trappes, nous avons aussi raconté l'histoire de l'immigration, qui est très peu connue et très peu racontée en France. Nous avons raconté les hommes seuls qui venaient du Maroc. Ils venaient en promettant à leur épouse ou à leur fiancée de rentrer après deux à trois années. Finalement, leur épouse ou leur fiancée finissait par venir à contrecœur, pensant qu'ils repartiraient trois ou quatre ans plus tard. Les enfants naissaient ensuite, allaient à l'école et ne voulaient plus partir car ils ne connaissaient pas le Maroc. C'est la France qui les faisait venir dans les années 1950 et 1960. Nous avons voulu raconter cela et cette rencontre avec le communisme municipal.

Une figure nous a beaucoup frappées : c'est le curé de Trappes, qui est un peu le héros de notre livre parce qu'il est formidable. Il vient de Versailles, d'une famille aisée, et il se donne entièrement à sa paroisse. Ce n'est pas simple parce qu'il a vécu les attentats de Charlie Hebdo, le Bataclan, l'assassinat de Samuel Paty ainsi que les départs au djihad. C'est quand nous nous sommes intéressées à Trappes que nous avons réalisé qu'elle détenait le record de départs pour le djihad, chose qui n'avait jamais été racontée. Les départs y sont plus nombreux qu'à Molenbeek-Saint-Jean.

Nous avons tenté de donner des éléments de réponse à cette question : pourquoi Trappes ? Comme Raphaëlle Bacqué l'a dit, les réponses tiennent à la présence des tabligh à la fin des années 1990, à un nid de GIA qui s'est installé à Évreux et qui a irrigué jusqu'à Trappes, et aussi à ces fameux squares, que l'on ne trouve que dans deux villes en France et qui sont plus petits que les cités. Des enfants de Trappes sont parfois partis par grappes entières de ces squares parce qu'ils formaient une famille. On les a retrouvés en Syrie ou en Égypte. C'est la raison pour laquelle la ville de Trappes est aussi inouïe. En enquêtant, nous avons découvert que tout commençait et finissait à Trappes. Les premiers départs au djihad se font à partir de Trappes et ce sont des enfants de Trappes qui ont revendiqué les attentats de Charlie Hebdo. Au même moment, un jeune garçon de Trappes, qui se trouvait dans les locaux de Charlie Hebdo, a assisté à la première tuerie des frères Kouachi et a vu son copain, qui venait lui-même de Trappes, se faire tuer. C'était comme une sorte de cercle qui se refermait.

Les villes comme Trappes sont tout le temps stigmatisées, mais les choses sont souvent faites un peu vite. Je me souviens d'un sujet de Valeurs actuelles qui donnait l'impression qu'il n'y a que des femmes voilées à Trappes, ce qui n'est quand même pas tout à fait le cas. Nous avons traîné dans un café pour comprendre ce qu'il se passait vraiment et cela nous a fait penser au sujet qui a été fait sur le café de Sevran. Nous n'avions pas besoin d'arriver en caméra cachée ou en nous cachant. Il faut discuter avec les personnes. Je me souviens que nous étions avec une jeune femme qui donnait des colis au Secours populaire et qui voulait récupérer l'un des colis. Son frère se trouvait à la terrasse du café et nous ne comprenions pas pourquoi elle ne s'approchait pas. Il y avait un périmètre et son frère, beaucoup plus religieux qu'elle, ne voulait pas qu'elle s'en approche. Il faut donc du temps pour comprendre les choses.

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