Intervention de Raphaëlle Bacqué

Réunion du vendredi 15 janvier 2021 à 14h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi confortant le respect des principes de la république

Raphaëlle Bacqué :

Au sujet du séparatisme et de ce qu'a dit Annie Genevard, il est vrai qu'à Trappes, la situation commence bien par une séparation. Dans les années 1960, par la volonté du communisme municipal, il s'est produit un mélange dans les cités et dans les squares. Le square de la Commune, qui est un très grand ensemble de logements sociaux, est mélangé entre Français d'origine et immigrés dans les années 1960 et 1970. Puis il se crée une séparation et les Français d'origine s'en vont dans les années 1980. On ne peut pas complètement oublier cet aspect social et sociologique. Cela existe avant l'arrivée des religieux. Le film La Smala de Jean-Loup Hubert, qui a été tourné en 1983 dans le square de la Commune, offre une vision idyllique de cet endroit, où tout le monde est mélangé, mais la réalité est que, déjà à cette époque, la séparation entre les gens était à l'œuvre. Je crois que cela commence comme ça, par un contexte social, un appauvrissement très réel des habitants et plus encore des immigrés, qui font que cette grande communauté de ceux qui vivaient ensemble jusque-là, Marocains, Portugais, Espagnols, Français, mais aussi juifs et musulmans, va peu à peu se déliter. Je crois que c'est très important et que l'on ne peut pas l'oublier.

Le communisme municipal, jusqu'ici, permettait de souder tout le monde. Il est vrai que Jamel Debbouze, Omar Sy, Nicolas Anelka et La Fouine, que nous mettons en avant dans notre livre, sont des produits du communisme municipal. La Fouine fait du rap au conservatoire, Nicolas Anelka est dans le club de football de Trappes et Jamel Debbouze fait de l'improvisation au lycée. Ils sont les produits de ce communisme municipal. Il se trouve que le déclin du communisme entraîne aussi le déclin de la prise en charge des enfants, d'où qu'ils viennent et quel que soit le niveau de revenus ou d'éducation de leurs parents. Cette séparation – puisque l'on peut parler de séparation – va se faire petit à petit. Les religieux n'arrivent qu'ensuite et, dès les années 1990, l'on voit arriver les premiers prédicateurs du Tabligh, qui répondent aussi à une demande de la population. Alors que la drogue s'est installée dans les quartiers au moment de l'explosion du sida et que beaucoup de jeunes gens meurent à la fois d'overdoses et de contaminations, les tabligh répondent à un besoin auquel ni la mairie ni la police ne réussissent à faire face. Ils jouent un rôle dans ces quartiers. Ils essaient de convaincre, ils y parviennent, ils font sortir les jeunes des caves pour les ramener à la mosquée. Ils ont joué un rôle social et l'on ne peut pas séparer le contexte social de l'influence des religieux. C'est un contexte qui saute aux yeux quand on est à Trappes.

Après, l'influence de la guerre d'Algérie joue son rôle puisque des réfugiés du Groupe islamique armé (GIA) vont arriver à Trappes. Il y a vraiment un contexte politique international, social et religieux. Le tout est combiné. Ce n'est pas arrivé d'un seul coup, mais de multiples éléments font que, peu à peu, la séparation s'installe. Peu à peu, des communautés se forment. Dans ce qui était avant la grande communauté des habitants de Trappes où tout le monde était mélangé, chacun va retrouver sa communauté d'origine. C'est à la fois un lieu de réassurance et de chaleur et cela peut être un lieu pour toutes les dérives, mais ce n'est heureusement pas systématique.

Enfin, en ce qui concerne les femmes, je crois que le voile n'est pas la seule difficulté. On a bien vu le changement qui s'est opéré pour les femmes à Trappes. Les femmes immigrées étaient beaucoup plus émancipées dans les années 1960 et 1970. Aujourd'hui, il existe toujours des femmes émancipées, qui se battent et qui sont extrêmement courageuses. Nous avons fait un chapitre sur le café qui se trouve en plein centre-ville, sur la place du marché. Ce qui nous a frappées, c'est qu'il n'y avait pas de femmes. Il n'existe aucun interdit et le patron du café voudrait que les femmes viennent, mais, de fait, il est difficile pour elles d'y aller et de se mettre en terrasse. Il y a eu beaucoup de tentatives et une sous-préfète venait ainsi avec plusieurs femmes pour s'installer en terrasse. Des mouvements de femmes le font encore. La situation des femmes à Trappes est frappante. Nous voyons surtout des femmes courir les bras chargés d'enfants et de courses. On a l'impression qu'elles font tout et je pense que beaucoup de choses reposent sur leurs épaules.

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