Intervention de Véronique Malbec

Réunion du mercredi 23 février 2022 à 15h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Véronique Malbec :

Monsieur Tourret, vous m'avez demandé si je n'avais pas pris certaines décisions par naïveté. Il n'est pas aisé de répondre à une telle question ; ce sont plutôt les personnes de mon équipe qui seraient en mesure de le faire.

Vous vous êtes aussi interrogé sur le risque de blocage du fonctionnement du Conseil constitutionnel lié à l'augmentation du nombre de saisines, notamment dans le cadre de la QPC. Le Conseil respecte les délais prescrits, c'est-à-dire un mois pour le contrôle a priori – délai ramené à huit jours dans le cas où le Gouvernement demande l'examen en urgence – et trois mois dans le cadre de la QPC. Ses neuf membres sont donc en mesure de le faire, soutenus par les juristes très aguerris qui les assistent. La structure fonctionne bien et, en l'état, n'est pas bloquée.

Dans votre troisième question, vous avez évoqué la judiciarisation de la société, la « République des juges » et la perception des magistrats par les citoyens. C'est un point très pertinent. Il faut que les juges expliquent leur rôle et les décisions qu'ils rendent. C'est ainsi qu'ils seront mieux compris. Notre vocabulaire est parfois très ésotérique et il faut que l'on modifie tout cela. Comme je l'ai indiqué dans mon propos liminaire, le Conseil constitutionnel utilise désormais le style direct. Peut-être faut-il que les juridictions judiciaires et administratives rendent des décisions plus compréhensibles. Les débats en cours dans le cadre des états généraux de la justice mettent en évidence une incompréhension de nombre de nos citoyens. Il nous appartient d'y remédier.

Cela doit amener notamment à mieux se faire connaître. Le président Fabius y est extrêmement attentif et il a noué en ce sens un partenariat très étroit avec l'Éducation nationale, en mettant des outils pédagogiques à la disposition des enseignants. Il a aussi créé « La Nuit du Droit ». Cette manifestation annuelle permet de faire découvrir le fonctionnement de la justice et du Conseil constitutionnel à nos concitoyens. Tout cela va dans le bon sens et il faut poursuivre dans cette voie.

Votre dernière question portait sur la justice restaurative. Un certain nombre d'expérimentations ont eu lieu en matière pénale, associant des victimes et des auteurs – étant précisé qu'il ne s'agit pas de mettre en relation une personne avec l'auteur de l'infraction dont elle a été victime. Cela concerne des victimes qui acceptent de discuter avec des personnes qui ont été définitivement condamnées. Les retours d'expérience sont assez positifs. Faut-il aller plus loin et généraliser cette démarche ? C'est beaucoup plus compliqué. Pour que l'expérience soit bénéfique, il faut que les intéressés soient volontaires. Je resterai prudente, même si je sais que c'est une évolution qui prend de l'ampleur dans les pays de droit anglo-saxon.

Je remercie M. Paris pour les propos qu'il a tenus à mon endroit.

M. Leseul a demandé si je considérais être astreinte à un devoir d'ingratitude en rejoignant le Conseil constitutionnel. Le président Fabius avait indiqué qu'il n'était pas là pour rendre service, mais bien pour rendre des décisions. Le juge constitutionnel doit se débarrasser de tous ses préjugés et rendre des décisions en conscience. Telle est aussi ma conception.

M. Bricout a évoqué le contexte de ma nomination et a demandé si cela n'entamait pas ma légitimité. Ma réponse plus claire et plus complète s'adressera aussi à la question de Mme Obono et à celle de la rapporteure, à laquelle j'avais omis de répondre précédemment.

En ce qui concerne le processus de nomination, je répète que je ne connaissais absolument pas le président de l'Assemblée nationale quand j'étais en poste en Bretagne. Il n'était jamais venu aux audiences d'installation auxquelles j'avais participé. Je l'ai rencontré pour la première fois lors d'une visite de courtoisie, après ma nomination au poste de directrice de cabinet du garde des Sceaux. Nous avons ensuite eu l'occasion de discuter à deux ou trois reprises au sujet de projets de textes, dont l'un portait sur la possibilité pour l'Assemblée nationale de se constituer partie civile lorsque des élus sont victimes d'agressions. Plus récemment, le président de l'Assemblée nationale a demandé à me rencontrer et a évoqué la possibilité de me proposer pour siéger au Conseil constitutionnel. Je lui ai dit que je souhaitais réfléchir et je n'ai fait acte de candidature auprès de lui qu'un peu plus tard. Il m'a rappelé par la suite pour me dire qu'il allait proposer ma nomination. Voilà le contexte très précis dans lequel elle est intervenue.

Monsieur Bricout, madame Obono en tant que procureure générale près la cour d'appel de Rennes, je n'ai jamais donné d'ordre de classement aux procureurs de Brest qui se sont succédé dans ce dossier. Le premier d'entre eux est parti à égalité avant que la procédure ne soit classée. Un second est arrivé en avancement, pour son dernier poste, avant de prendre sa retraite. C'est lui qui a classé la procédure. Deux personnes ont porté leur regard sur cette procédure et je n'ai donné aucune instruction qui aille à l'encontre de ce que le droit permet au procureur général. Ce dernier ne peut pas classer une procédure, il peut simplement donner des instructions de poursuite, sur la base de réquisitions écrites.

Qu'est-ce que le lien hiérarchique qui unit un procureur à son procureur général, lui-même étant dans la ligne hiérarchique du ministre de la Justice ? Tout simplement, la remontée d'informations entre le procureur, le procureur général et la Chancellerie ainsi que l'obligation, pour le procureur général, d'évaluer le procureur. Il faut relativiser la portée de cette évaluation. D'une part, si le procureur n'est pas d'accord, il peut déposer un recours devant la commission d'avancement. D'autre part, les deux procureurs qui se sont succédé à Brest occupaient des postes hors hiérarchie. Ils étaient au sommet de l'institution des magistrats du parquet – selon l'importance du parquet, les postes sont occupés par un magistrat de second grade, premier grade ou hors hiérarchie. Les postes de procureur reviennent à des magistrats de premier grade ou hors hiérarchie. En l'espèce, ils étaient hors hiérarchie et l'étendue de mon pouvoir sur eux, si tant est que vous ayez la malignité de croire que j'aurais pu mal les évaluer, était très réduite. Voilà en quoi consiste le pouvoir hiérarchique du procureur général sur le procureur. Il ne concerne pas les procédures. Le procureur général n'a pas le pouvoir d'ordonner à un procureur de classer une affaire et je n'ai jamais pris de décision contraire à la loi, et à mon serment.

Monsieur Larrivé, il n'est pas prévu, pour le moment, de donner la possibilité aux rapporteurs des assemblées, ou aux présidents des commissions des Lois, de défendre un texte devant le Conseil constitutionnel. Cependant, le président du Conseil constitutionnel a établi un règlement sur la procédure de la QPC et devrait bientôt en rédiger un sur la procédure du contrôle a priori. Il a ainsi permis que les contributions extérieures soient publiées. Les lettres de saisine qui comportent les arguments des saisissants sont parfois complétées par des mémoires. Le secrétariat général du Gouvernement, en réponse, peut donner des éléments aux saisissants. Enfin, ceux-ci ont pu, régulièrement, s'exprimer oralement devant le rapporteur du Conseil constitutionnel. Je ne réponds pas complètement à votre question mais je veux vous montrer que le Conseil constitutionnel évolue vers une procédure plus contradictoire. Faut-il aller plus loin ? La réponse vous appartient.

Madame la rapporteure, je ne me suis pas offusquée des questions qui m'ont été posées. Au contraire, il est très sain que je puisse, devant la représentation nationale, expliquer très clairement ce qui s'est passé et vous prouver que je n'ai, à aucun moment, enfreint le serment que j'ai prêté.

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