Intervention de Véronique Malbec

Réunion du mercredi 23 février 2022 à 15h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Véronique Malbec :

Je souhaite tout d'abord vous remercier pour votre accueil et pour les propos que vous venez d'avoir à mon égard.

C'est avec beaucoup d'humilité – et, je ne le cache pas, avec une certaine émotion – que j'aborde cette audition au cours de laquelle je vais d'abord vous présenter la diversité des fonctions que j'ai occupées dans la magistrature. Elles m'ont permis d'acquérir les compétences que je souhaite mettre au service du Conseil constitutionnel, si vous acceptez la proposition de nomination dont le président de votre assemblée m'a honorée.

Depuis mon entrée dans la magistrature en 1980, je dirais à grands traits que mes quarante-deux années de vie professionnelle se partagent entre deux tiers d'exercice de fonctions juridictionnelles et un tiers de fonctions consacrées à l'organisation, à la gestion et aux efforts de modernisation du ministère de la Justice.

Servir la justice et les justiciables, c'est l'engagement de toute ma vie. C'est le prolongement et la mise en œuvre des valeurs et des principes transmis par mes parents : le respect, l'attention aux autres, l'apaisement des conflits, le dépassement des difficultés – avec l'ambition de trouver des solutions à la fois acceptables et acceptées. C'est aussi la certitude que l'État de droit est le cœur de notre démocratie, l'âme de notre République, le bien précieux qu'il nous faut chérir et préserver pour que les droits et libertés de chacune et chacun de nos concitoyens soient préservés.

Toutes ces années passées à rendre la justice et à œuvrer pour elle n'ont pas émoussé la force de l'attachement que je lui porte. Et je peux dire aujourd'hui devant la représentation nationale que j'ai toujours rempli mes fonctions dans le respect du serment que j'ai solennellement prêté à l'âge de 21 ans comme auditrice de justice, puis deux ans plus tard comme magistrate, avec pour guides, dans mon esprit et dans mon cœur, les principes d'impartialité, d'intégrité et de dignité.

J'ai toujours respecté ces principes, sans jamais y avoir dérogé. Tout au long de ma vie professionnelle, j'ai pu constater à de très nombreuses reprises combien la vérité judiciaire pouvait être balayée par le poison du doute, qui est bien souvent instillé à coups de mensonges ou d'approximations. Le souci de la recherche de la vérité m'a toujours guidée. C'est pour cette raison que je me suis toujours attachée aux faits.

En ce qui concerne la polémique lancée à la suite de la proposition de me nommer au Conseil constitutionnel, je regrette que certains se soient contentés de jeter le soupçon, sans s'attacher à la réalité et en s'éloignant de la vérité du droit et des termes de la loi. Un procureur général doit être tenu informé des affaires sensibles de son ressort, pour assurer une remontée d'information. C'était ma mission. Mais il ne peut jamais – j'y insiste : jamais – donner l'ordre à un procureur de classer une affaire. Il peut seulement enjoindre d'engager des poursuites, par réquisition écrite figurant au dossier.

Les principes que j'évoquais m'ont toujours accompagnée, dans mon premier poste au siège comme juge d'instruction à Tours, puis au parquet, de substitut à procureure générale à Périgueux, Limoges, Poitiers, Paris, Rennes et Versailles. Ces fonctions m'ont toujours fait mesurer le poids des responsabilités qui incombent aux magistrats, compte tenu des conséquences de leurs décisions sur la vie des justiciables et sur le fonctionnement de la société. Je pense en particulier à mes premières ordonnances de mise en détention, prises à l'époque par le seul juge d'instruction. J'avais seulement 23 ans lorsque j'ai rendu ma première ordonnance de ce type ; je l'ai fait les mains tremblantes, en mesurant l'immense responsabilité qui m'incombait et les conséquences que cette décision aurait sur la personne concernée. Je m'en souviens encore très précisément.

L'importance de nos décisions nous oblige à nous méfier de nos préjugés et de nous-mêmes. Il faut considérer la règle de droit non seulement dans son abstraction, mais aussi sans oublier les effets concrets de son application pour les justiciables. Ce sont des considérations qu'il me semble utile de garder à l'esprit dans l'exercice de la fonction de juge constitutionnel.

Il en est de même des soucis de pédagogie, de clarté et d'intelligibilité – pour utiliser le vocable consacré – afin de permettre aux justiciables, et en particulier aux victimes, de comprendre les décisions rendues. C'est un souci partagé par les juridictions judiciaires et administratives, tout comme par le Conseil constitutionnel.

Les fonctions de magistrat du parquet m'ont permis d'appréhender l'ensemble des contentieux qui lui sont soumis, en étroite concertation avec de nombreux acteurs : les forces de sécurité intérieure, les partenaires de justice et, bien entendu, les élus. Au parquet du Mans, j'ai tout particulièrement appris à travailler en équipe et j'ai beaucoup apprécié la confrontation des idées et le croisement de regards différents afin de retenir la meilleure des solutions. Je suis très attentive aux apports de la collégialité, que vous pratiquez vous-mêmes au sein de cette commission et qui est au cœur du fonctionnement du Conseil constitutionnel.

En alternance avec mes fonctions juridictionnelles, j'ai exercé des responsabilités dans l'administration centrale, à l'inspection générale de la justice et à l'ENM. Ces expériences ont été très enrichissantes et complémentaires de celles précédemment évoquées. Elles m'ont fait découvrir la variété et la complexité des politiques publiques. On ne peut pas penser la justice, la comprendre et la moderniser sans prendre en compte son environnement.

De mon passage à l'ENM, je retiens l'excellence technique de notre modèle de formation, mais aussi la nécessité de son ouverture. Cette dernière passe par l'intégration dans la magistrature de profils et de parcours diversifiés, mais aussi par des échanges avec les partenaires de justice et les autres cadres de la fonction publique. Enfin, cette ouverture doit se manifester envers les plus démunis de nos concitoyens, que les auditeurs de justice vont prochainement pouvoir accompagner dans le cadre des « point-justice ». Je sais que le Conseil constitutionnel est également soucieux de son ouverture vers l'extérieur.

Lors de mon passage en administration centrale, notamment comme directrice des services judiciaires et secrétaire générale du ministère de la Justice, j'ai acquis la conviction que les sujets d'intendance, parfois considérés comme secondaires, sont en réalité essentiels au bon fonctionnement de la justice. Il en est ainsi, par exemple, de la gestion des ressources humaines, où une plus grande place doit être donnée à l'ouverture, à l'évaluation, au lancement et au suivi des grands projets immobiliers. Il est également nécessaire d'adapter les outils informatiques, pour faciliter la saisine des juridictions par les justiciables et le suivi des dossiers. La justice doit impérativement se moderniser. Le chantier est immense et je me suis efforcée d'y prendre ma part, mais je sais que beaucoup reste encore à faire.

Depuis presque deux ans, j'ai l'honneur de diriger le cabinet du garde des Sceaux et de l'aider notamment à porter un certain nombre des textes qui contribuent à l'amélioration de la justice. Cela m'a donné l'opportunité, avec mon équipe, de travailler étroitement avec le Parlement – et en particulier avec les membres de votre commission. J'ai ainsi pu appréhender très concrètement l'ensemble du processus d'élaboration de la loi, avec la préoccupation constante de donner à la représentation nationale les éclairages les plus utiles à son travail, dans le respect des prérogatives du Parlement auxquelles je suis profondément attachée.

Le juge constitutionnel est chargé de contrôler les lois dans le cadre que lui a fixé le constituant. Mais le Conseil constitutionnel n'omet jamais de rappeler dans ses décisions qu'à l'évidence, la Constitution ne lui confère pas un pouvoir général d'appréciation et de décision identique à celui du Parlement. Il ne lui appartient pas de substituer sa propre appréciation à celle du législateur. Je suis très attachée au respect des rôles et des missions de chacun. Si vous me faites l'honneur de confirmer ma nomination, c'est dans cet esprit que j'assumerai mes fonctions de juge au sein du Conseil constitutionnel.

La description de mon parcours et de mes convictions permet de dire que si je ne suis peut-être pas encore une spécialiste du droit constitutionnel, je connais le fonctionnement de la justice, avec ses forces et ses faiblesses. Je pense être une juriste pragmatique, soucieuse du respect de l'État de droit, attentive à la hiérarchie des normes et au principe de légalité, mais également attentive aux conséquences des décisions juridictionnelles sur le fonctionnement et les équilibres de la société.

Nous avons l'État de droit en partage avec les États membres de l'Union européenne. J'accorde une importance toute particulière à la qualité du dialogue des juges, afin d'assurer la cohérence des ordres juridiques ainsi que la bonne articulation des procédures et des jurisprudences du Conseil constitutionnel, de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) et de la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH).

Sur un plan plus personnel, l'approbation de cette candidature me permettrait de continuer à servir la justice de notre pays avec la passion qui m'anime depuis que j'ai commencé à étudier le droit. Je n'ai pas d'autre ambition que de pouvoir être encore utile à mon pays.

J'en viens aux questions de la rapporteure.

Madame, je crois avoir répondu à votre première question dans mon propos liminaire, mais je pourrais y revenir de manière plus précise.

Vous m'avez ensuite demandé comment j'envisageais mes fonctions au Conseil constitutionnel, ayant eu un lien direct avec le Gouvernement pendant plusieurs années. Il est exact que j'occupe mes fonctions actuelles auprès du garde des Sceaux depuis presque deux ans. C'est peu au regard de l'ensemble de ma carrière ; c'est beaucoup au regard de l'implication de tous les instants que cela demande. Bien évidemment et comme c'est l'usage, je me déporterais si des textes dont je me suis occupée pendant cette période venaient à être examinés par le Conseil constitutionnel – je pense tout particulièrement à la loi pour la confiance dans l'institution judiciaire. En outre, il faut rappeler qu'avant de siéger au sein du Conseil constitutionnel, ses membres doivent prêter devant le président de la République le serment de respecter les règles d'impartialité.

Voilà de quelle la manière j'exercerai ces fonctions.

Si le Conseil constitutionnel a invalidé un article qui prévoyait que ses membres devaient déposer une déclaration d'intérêt et de patrimoine, ce n'est pas pour des raisons de fond mais pour un motif de procédure. Il a estimé que la disposition en question constituait un cavalier législatif. En ce qui me concerne, j'ai déjà été amenée à déposer une telle déclaration – au début et à la fin de mes fonctions de secrétaire générale du ministère de la Justice, puis lors de la prise de fonctions de directrice du cabinet du garde des Sceaux. Je n'ai donc aucune prévention en la matière et je me conformerais à la législation si elle venait à être modifiée. Je précise que tous les magistrats ne sont pas soumis au dispositif de la déclaration d'intérêt et de patrimoine ; seuls ceux qui occupent des fonctions particulières le sont, et notamment ceux qui siègent au Conseil supérieur de la magistrature (CSM).

La question des cavaliers législatifs et de l'application de l'article 45 de la Constitution taraude à la fois les membres du Parlement et le Conseil constitutionnel. L'ensemble du travail que vous effectuez est extrêmement important – je peux en attester. La rédaction de l'article 45 a été précisée et désormais tous les amendements ayant un lien même indirect avec le texte sont recevables. Cela a tout de même accru vos possibilités. Quant au Conseil constitutionnel, il joue son rôle. Mais invalider un cavalier législatif ne revient pas à porter un jugement sur le fond de la disposition en question. Le doyen Vedel disait que le Conseil constitutionnel manie la gomme, pas le crayon. Le crayon vous appartient : c'est à vous d'écrire la loi, dans les limites que prévoit l'article 45 de la Constitution. Le règlement de votre assemblée a également modifié les règles de recevabilité des amendements, pour éviter que des cavaliers législatifs viennent en discussion.

Je comprends que la réponse écrite que j'ai faite au sujet des études d'impact ne vous a pas complètement satisfaite. J'ai eu l'occasion de réaliser de telles études dans le cadre de mes fonctions actuelles, ainsi que lorsque j'étais directrice des services judiciaires. C'est un travail considérable, qui est réalisé en liaison très étroite avec le secrétariat général du Gouvernement (SGG) et le Conseil d'État. Le contrôle effectué par ces derniers est extrêmement important. Le Conseil constitutionnel doit-il aussi s'intéresser à la qualité des études d'impact ? Je n'en suis pas persuadée. Le travail qui est fait en amont est peut-être suffisant, même s'il est certainement perfectible. On se rend compte que parfois, malgré la grande qualité des études d'impact, la loi ne les a pas prises pas en compte et on doit appliquer un texte sans avoir les moyens de le faire.

Doit-on divulguer les positions dissidentes ? C'est un vaste débat, qui est loin d'être clos et qui occupe de nombreux professeurs de droit constitutionnel. J'ai toujours été très attachée au secret du délibéré et je considère que le Conseil constitutionnel n'est pas une troisième chambre. Il a un rôle d'apaisement. Prenons l'exemple de la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe. Le débat sociétal avait été extrêmement rude. Quand le Conseil constitutionnel a jugé la loi conforme à la Constitution, cela a permis d'apaiser les choses. Publier les opinions dissidentes risque, d'une part, de poser des difficultés de fonctionnement interne pour l'institution et, d'autre part, de relancer le débat. Je n'y suis donc pas favorable.

En ce qui concerne la motivation des décisions, celles-ci sont beaucoup plus limpides qu'elles ne l'étaient il y a quelques années puisque le Conseil constitutionnel a changé la manière de les écrire. Il a abandonné la rédaction utilisée par le Conseil d'État ainsi que les considérants, pour passer au style direct. La compréhension en est facilitée, d'autant qu'un communiqué de presse et une explication de la décision sont publiés très rapidement.

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