Intervention de Cécile Untermaier

Réunion du mercredi 23 février 2022 à 15h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCécile Untermaier, rapporteure :

Madame Malbec, votre parcours est avant tout celui d'une magistrate du parquet et il vous a amené aux fonctions prestigieuses de procureure générale près la cour d'appel de Rennes puis de Versailles. Votre connaissance du fonctionnement de l'administration ne peut pas être mise en doute, puisque vous avez été inspectrice des services judiciaires, directrice de ceux-ci, directrice de la formation à l'École nationale de la magistrature (ENM) et secrétaire générale du ministère de la Justice.

Depuis juillet 2020, vos fonctions sont devenues plus politiques puisque vous avez été nommée directrice de cabinet du garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti.

Vous n'y êtes pour rien mais, comme ce matin, je profite de cette occasion pour dire que je regrette que les conditions dans lesquelles nous procédons à ces nominations n'aient toujours pas évolué. En comparaison des États-Unis ou de l'Allemagne, notre procédure est d'une grande faiblesse. Un processus plus transparent en matière de nominations éviterait les procès d'intention qui font tant de tort à la République.

Madame Malbec, vous n'êtes pas une personnalité publique – et ce n'est pas un défaut. Mais nous ignorons vos prises de position et souhaiterions mieux vous connaître avant de vous confier d'aussi hautes responsabilités. Vos réponses écrites sont intéressantes et j'ai beaucoup apprécié leur authenticité. C'est manifestement vous qui les avez écrites et je vous en sais gré. Pour autant, elles ne nous permettent pas toujours de comprendre pleinement votre vision personnelle de la mission du juge constitutionnel.

Cette audition doit être l'occasion de lever tous les doutes et de mieux vous connaître. Je vous poserai donc cinq questions.

La première concerne votre implication dans le traitement judiciaire d'une affaire concernant le président de l'Assemblée nationale, dont la presse s'est fait l'écho de nouveau aujourd'hui et qu'il est difficile d'écarter d'un revers de main. Il importe que vous précisiez votre degré d'intervention dans cette affaire, dans le cadre d'un parquet hiérarchisé. J'aimerais également que vous indiquiez dans quelles conditions et au terme de quelle procédure de sélection votre nomination a été proposée.

La deuxième question est générale. Est-il pertinent de désigner au sein de la plus haute instance juridictionnelle des personnes ayant un lien direct avec le Gouvernement en exercice, et ayant eu de ce fait à connaître d'un grand nombre de décisions qui pourront être contestées à l'avenir ? Le Conseil constitutionnel, dont les décisions ne sont pas susceptibles de recours, doit être exemplaire en ce qui concerne son indépendance et son impartialité. Comment mettrez-vous en œuvre ces principes ?

La troisième question porte aussi sur la déontologie. Je vous ai interrogée sur les déclarations d'intérêts et la place des lobbys au Conseil constitutionnel. Vous avez répondu prudemment par écrit, en expliquant que leur encadrement dépendait de la volonté du législateur. Dont acte. Mais nous voulons connaître votre opinion personnelle. Est-il justifié que les juges constitutionnels échappent à l'obligation de remplir une déclaration d'intérêt – à laquelle vous vous êtes d'ailleurs soumise en raison du poste que vous occupez actuellement. Ne doivent-ils pas se mettre sans attendre au même niveau d'exigence que celui des magistrats des différents ordres juridictionnels, des membres du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), des élus et des membres des cabinets ministériels ?

La quatrième question concerne votre appréciation du rôle du Conseil constitutionnel en tant que garant de l'équilibre des pouvoirs. J'avoue que vos réponses sur ce point m'ont parfois un peu inquiétée. Vous vous félicitez du contrôle en amont de la recevabilité des amendements au regard de l'article 45 de la Constitution alors même que, d'une certaine manière, cela entrave l'initiative et le débat parlementaires – car jusqu'à présent, la jurisprudence du Conseil était très souple en la matière. Inversement, il vous semble inopportun que le Conseil contrôle les études d'impact. Je trouve cela regrettable. Non seulement parce que vous semblez privilégier les prérogatives du Gouvernement à celles du Parlement. Mais surtout parce qu'il existe une procédure permettant au Premier ministre ou au président de l'Assemblée nationale ou du Sénat de saisir le Conseil constitutionnel lorsque les règles organiques qui encadrent les projets de loi ne sont pas respectées – je vous renvoie au quatrième alinéa de l'article 39 de la Constitution. Certes, cette procédure est trop rarement utilisée ; mais elle a déjà conduit le Conseil, dans une décision du 1er juillet 2014, à se prononcer sur la conformité d'une étude d'impact à la loi organique. J'aimerais donc que vous précisiez votre vision de l'équilibre entre l'exécutif et le législatif, et que vous nous rassuriez sur votre capacité et votre volonté de vous défaire de plusieurs années de proximité avec le Gouvernement dans les nouvelles missions que vous exercerez.

Enfin, la cinquième question concerne la transparence et la motivation des décisions.

Il ne faut pas être trop conservateur en matière de transparence. Le secret du délibéré est nécessaire ; vous avez raison de le signaler et de faire valoir que vous y êtes favorable. En revanche, du fait du rôle particulier du Conseil – qui contribue pleinement à l'élaboration de la norme – il me semblerait utile que des opinions dissidentes puissent s'exprimer. Ce n'est pas une idée fantaisiste, puisque Pierre Joxe l'a toujours défendue et que les cours constitutionnelles américaines et allemandes le font de manière très encadrée depuis des années.

Je voudrais également vous entendre sur la motivation des décisions. J'ai souvenir d'avoir voulu corriger un dispositif qui avait été censuré par le Conseil constitutionnel. Il m'avait été impossible de comprendre précisément pour quelle raison il avait été considéré inconstitutionnel. Des évolutions supplémentaires sont nécessaires en la matière et j'aimerais connaître les propositions d'amélioration que vous pourriez proposer en tant que membre du Conseil constitutionnel.

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