Intervention de Didier Guérin

Réunion du jeudi 18 juin 2020 à 14h00
Commission d'enquête sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire

Didier Guérin, membre du Conseil supérieur de la magistrature, président suppléant de la formation compétente pour les magistrats du siège :

Nous représentons toutes les facettes du CSM, avec un magistrat du siège, un magistrat du parquet et deux personnalités extérieures : Mme Pauliat, professeure d'université bien connue pour ses travaux sur la justice, et M. Bergougnous qui fut haut fonctionnaire dans votre Assemblée.

Le Conseil est composé des chefs de la cour de Cassation, de huit membres extérieurs et de douze magistrats répartis en deux formations siégeant séparément. La tradition française est de toujours vouloir rebattre les cartes quant à la composition des institutions, mais n'attendez pas de nous l'affirmation que le Conseil devrait être composé autrement… Je puis vous dire, après un an et demi de fonctionnement, que nous formons une équipe au sein de laquelle on communique beaucoup. Si nous ne sommes pas d'accord en tout, nous acceptons avec beaucoup de tolérance le point de vue de chacun, car nous sommes convaincus que du frottement des esprits sort plus souvent la vérité que d'un esprit seul, cabré sur ses convictions. Une véritable collégialité existe donc, et que le Conseil soit en majorité composé de membres extérieurs à la magistrature est une chose positive.

Si nous siégeons au CSM, ce n'est ni par souci d'honorabilité, ni pour occuper une fin de carrière, ni pour satisfaire un hobby, mais parce que notre parcours à tous nous a conduits à croire aux vertus cardinales de la justice que sont l'indépendance et l'impartialité. Nous réfléchissons souvent aux problèmes généraux, comme le montre le communiqué que nous avons publié le 12 mai dernier, à la fin de la période de confinement, adressé à l'ensemble des magistrats de France pour souligner que, dans la crise actuelle, la justice devait poursuivre sa mission essentielle de protection de la liberté individuelle.

L'article 10 de la loi organique sur le CSM nous le rappelle : nous avons des exigences d'indépendance, d'impartialité, d'intégrité et de dignité. Ces règles qui nous guident s'imposent aussi à l'ensemble des magistrats du corps judiciaire. Notre tâche occupe ceux d'entre nous qui sont magistrats deux jours par semaine, et les personnalités extérieures trois jours par semaine ; c'est une charge très lourde, car les dossiers s'étudient aussi en dehors de ces jours-là. En 2019, le CSM a rendu plus de 3 000 avis sur des propositions de la garde des Sceaux et lui a proposé quatre-vingt-seize nominations. Nous avons visité neuf cours d'appel et cinquante-quatre tribunaux judiciaires. Nous nous efforçons aussi de rendre des avis sur des points importants soulevés dans le débat public sur la justice. Ainsi avons-nous examiné le rapport de la mission Thiriez et réagi à ses conclusions relatives à l'École nationale la magistrature (ENM) ; nous avons aussi donné un point de vue sur le rapport du Premier président Canivet relatif à l'évaluation des chefs de cours.

Nous avons aussi des attributions disciplinaires. Vous êtes spécialement intéressés par la décision rendue le 19 décembre 2019 ; nous ne dévoilerons pas le secret du délibéré, mais nous avons écrit une décision fort complète.

L'exercice des missions du CSM supposerait qu'il soit doté de moyens supplémentaires. Il devrait notamment disposer de moyens d'inspection qu'ont souvent les conseils de justice équivalents au nôtre et sans lesquels nous n'avons pas d'outil autonome par rapport au ministère de la justice, puisque l'inspection générale de la justice dépend de la garde des Sceaux ; d'ailleurs, les inspecteurs généraux de la justice sont nommés sans intervention de notre Conseil.

La formation du siège du CSM a particulièrement conscience que l'exercice des attributions de gestion des chefs de juridiction et les moyens qui leur sont offerts sont des éléments essentiels de l'indépendance de la justice. Aussi nous sommes-nous efforcés de rationaliser le processus de nomination relevant de notre compétence en deux mouvements annuels ; nous achevons le premier mouvement de l'année 2020. Parce que nous avons conscience que la mobilité dans la magistrature est parfois trop ample, il est prévu que les nominations faites à dater de janvier 2021 le soient pour une durée minimale de trois ans.

Les listes de candidats aux postes de chef de tribunal et de chef de cour d'appel que nous avons à examiner sont très courtes. Cela nous conduit à nous interroger sur la faible attractivité de certains postes de responsable de juridiction, mais le pouvoir de gestion du CSM s'arrête là : il n'a aucun pouvoir de gestion des juridictions, de répartition des magistrats, d'attribution des moyens budgétaires : ces attributions sont – c'est une singularité de la France – confiée au ministère de la justice. Le CSM n'a aucune prérogative en matière de formation des magistrats et ne donne même pas son avis sur la nomination du directeur de l'ENM, qui forme à peu près un millier de futurs magistrats. La question se pose d'ailleurs pour toutes les postes de direction des écoles qui dépendent de la Chancellerie. On pourrait aussi s'interroger, et je le fais à titre personnel, sur la nomination du directeur des services judiciaires. Il n'en reste pas moins que nous collaborons quotidiennement avec la direction des services judiciaires (DSJ), service qui dépend du ministère de la justice.

Je conclurai ce propos liminaire par une interrogation faite à titre personnel : le renforcement des pouvoirs du CSM s'inscrit-il dans la tradition d'un pays souvent très méfiant vis-à-vis de l'autorité judiciaire ?

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