Intervention de Jean-Guy Huglo

Réunion du jeudi 18 juin 2020 à 9h30
Commission d'enquête sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire

Jean-Guy Huglo, doyen de la chambre sociale de la Cour de cassation :

Il faut tout d'abord que vous compreniez que c'était absolument l'idéal pour expliciter notre jurisprudence à l'extérieur, d'autant que, jusqu'à une période récente, les arrêts de la Cour de cassation se caractérisaient par une extrême concision, qui les rendait très difficiles à comprendre si l'on n'en détenait pas les clés. Nous sommes en train d'y remédier, et je plaide pour que nous soyons bien plus explicatifs, car expliciter nos décisions est aussi une question d'influence, non seulement en France, mais aussi à l'étranger : si vous allez à l'étranger avec une décision d'une demi‑page, vous n'avez aucune influence ni aucune autorité.

Ensuite, nous avions également un retour sur nos jurisprudences. Le public était, en effet, composé de juristes d'entreprise, de directeurs des ressources humaines, d'avocats spécialisés en droit du travail, et de syndicalistes également parce qu'un certain nombre de grandes fédérations syndicales parvenaient à acquitter les 1 400 euros de droit de participation pour la journée. Certains syndicalistes étaient là au titre de la formation continue payée par leur entreprise. La tribune était absolument paritaire, composée toujours d'un avocat défendant habituellement les salariés, d'un avocat défendant habituellement les employeurs, issus de grands cabinets connus sur la place de Paris, et d'un universitaire.

Ces séances de formation, d'abord, nous en avons refusé un grand nombre. Nous acceptions, toutefois, deux fois par an, celles qui s'intitulent « un an de jurisprudence sociale » dont l'objet est d'examiner la jurisprudence sociale de l'année écoulée, à 80 % constituée d'arrêts de la Cour de cassation auxquels s'ajoutaient quelques arrêts du Conseil d'État. Donc, alors même que nous avions encore en tête les délibérés qui venaient de se tenir et les discussions que nous avions eues, nous avions le retour du terrain, c'est‑à‑dire du monde de l'entreprise dans toutes ses composantes, et nous savions ce qu'en pensaient les praticiens avocats et les universitaires. Pour nous, c'était un réel enrichissement.

D'ailleurs, lorsque le Conseil d'État s'est mis à faire un peu plus de droit du travail à la suite de la loi de la sécurisation de l'emploi de 2013 qui a confié aux juridictions administratives le contrôle des plans de sauvegarde de l'emploi, un groupe de travail a été créé entre le Conseil d'État et la chambre sociale de la Cour de Cassation. Il se réunit très régulièrement parce qu'il y a des chevauchements incessants entre nos contentieux et nous considérons qu'il faut parvenir à une harmonie, car vous savez aussi bien que moi que si les controverses juridiques font plaisir aux juristes, ce sont toujours les justiciables qui en font les frais. Je me rappelle très bien que les membres du Conseil d'État, présidents de chambre à la section du contentieux, me demandaient d'où nous tenions nos retours sur nos jurisprudences et que je leur avais alors répondu que nous les tenions des organismes de formation privée existant sur la place de Paris. Il n'y en a que trois, dont deux dépendent, il est vrai, du groupe Wolters Kluwer.

Depuis cette affaire, depuis avril 2018, nous avons cessé d'y aller et, aujourd'hui, l'actuel président de la chambre, en accord avec ma position – nous l'avons prise à deux – considère que la césure est extrêmement claire : nous allons à l'extérieur dans les organismes publics qui ne peuvent jamais être justiciables devant nous, c'est‑à‑dire les universités, les chambres sociales de cours d'appel, les formations de l'ENM et tout ce qui est institutionnel, comme les colloques organisés par le Conseil d'État ou le Conseil constitutionnel. En revanche, nous ne nous rendons plus dans les structures qui relèvent du droit privé, susceptibles, un jour, d'être des justiciables devant nous. La conséquence est qu'aujourd'hui, Liaisons sociales organise toujours ses journées sur « Un an de jurisprudence sociale ». Y assistent des représentants du Conseil d'État, des représentants de la juridiction administrative donc, et aucun représentant de la juridiction judiciaire, et absolument pas de la Cour de Cassation, alors que 80 % des décisions dont il est question sont les nôtres !

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